Pourquoi tant de Honduriens se retrouvent au pied du mur de Donald Trump?

Publié le 22 avril 2019

Un graffiti sur un mur de Melbourne, en Australie. – © Pixabay

Nueva Capital, Tegucigalpa, Honduras. «Il n’y a pas de travail, pas de sécurité, pas de médicaments dans les hôpitaux: qui veut encore vivre dans ce pays?! C’est pour ça qu’on émigre mais ce n’est pas facile non plus.» Julia*, la quarantaine, est une des 50 patientes quotidiennes de la clinique de Médecins sans frontières dans le quartier de Nueva Capital, à la périphérie de la capitale du Honduras, Tegucigalpa.

Logement sommaire dans le quartier de Nueva Capital. © Yves Magat

Ce quartier est un des principaux points de départ des émigrants honduriens qu’on retrouve quelques semaines plus tard devant le mur-frontière entre le Mexique et les États-Unis. De nombreux habitants se sont joints aux trois récentes «caravanes» de migrants qui ont animé la polémique sur l‘extension de ce mur par Donald Trump. Ils fuient la violence, les menaces et les extorsions.

Plus de 16’000 personnes vivent à Nueva Capital dans des maisons pauvrement construites au lendemain du terrible cyclone Mitch qui avait dévasté en 1998 de nombreux villages dans toute l’Amérique Centrale. Vingt ans plus tard il n’y a toujours pas d’eau courante ni de rues goudronnées. Le seul centre médical est celui crée par MSF en 2017.

Salle d’’attente des patients à la clinque MSF de Nueva Capital. © Yves Magat

Une guerre invisible

Ici, le taux d’homicide est un des plus élevés du monde: 41,3 pour 100’000 habitants en 20181. (Même s’il a fortement baissé ces dernières années, c’est quand même cent fois plus qu’en Suisse2!) Le quartier est contrôlé par deux gangs, les fameuses «maras» créées par d’anciens émigrés expulsés des États-Unis après des séjours dans les prisons californiennes. Leurs membres pratiquent au quotidien extorsions, enlèvements, viols, assassinats et trafics en tous genres dans une quasi impunité. Leur risque majeur est un affrontement avec une bande adverse. C’est une guerre quotidienne mais invisible aux yeux du reste du monde.

Les femmes: cibles principales

Les principales victimes de la violence sont les femmes: «Elles sont utilisées comme objets de vengeance par les maras», explique Jorge Castro, psychologue de MSF. On a dénombré en 2018 dans le pays 382 cas de «féminicides», plus d’un par jour1. Et encore ce chiffre est en baisse de moitié par rapport au «record» de 2013. 90% de ces assassinats sont restés impunis, estime José Antonio Silva, coordinateur de projet de MSF au Honduras. «Il n’existe pas de politique publique pour lutter contre la violence à l’égard des femmes», ajoute-t-il.

Consultation psychologique à la clinique MSF de Nueva Capital. © Yves Magat

Claudia* suit régulièrement les consultations psychologiques proposées par la clinique. Elle m’explique en pleurant qu’elle avait été abusée à l’âge de douze ans. Elle a maintenant une trentaine d’années et lorsqu’elle a été agressée récemment devant ses enfants par un voisin, les traumatismes anciens ont resurgi: «Quand je sors dans la rue, j’ai tout de suite peur. Je regarde derrière moi ce qui peut m’arriver ou si je revois la personne qui m’a agressée.» Elle a pensé à émigrer mais ne se sent pas encore prête.

Violence conjugale

A cela s’ajoute une violence conjugale sans limite. «Dans notre culture, on nous a toujours appris qu’il faut accepter notre sort», explique Charon Rodriguez, psychologue à la clinique de MSF. «Des femmes sont maltraitées de toutes les manières imaginables par leur conjoint, ajoute-t-elle. Ils les insultent, les humilient, les agressent sexuellement. Une patiente m’a dit que la seule manière de ne plus se faire maltraiter par son mari, c’était de s’en aller. Elle a été obligée par son conjoint de se prostituer pendant de nombreuses années. Elle est battue à coups de poing ou avec des objets et a pris la décision d’émigrer.» Et dans ces quartiers, de plus en plus de familles ou d’adolescents prennent la route de l’exil pour échapper à l’enrôlement forcé des jeunes garçons par les «maras».

«Le suicide est une forme d’émigration.»

Pendant ce temps, le pays se vide. D’octobre 2018 à février 2019, plus de 10’000 familles honduriennes par mois ont été interceptées à la frontière américaine pour avoir tenté d’entrer illégalement aux États-Unis: trois fois plus que l’année précédente3. Pour compléter le tableau, le Honduras a enregistré ces derniers mois une forte hausse du taux de suicide. «Lorsqu’on se retrouve sans travail, sans les bonnes connexions politique et sans le recours d’un système judiciaire équitable après avoir été victime de violence, explique la psychologue Brenda Villacorta, le suicide est alors une forme d’émigration.»

*prénoms fictifs

1) Observatoire de la violence, Université Nationale Autonome du Honduras

2) Office Fédéral de la Statistique

3) US Customs and Border Protection


Une ville sans hôpital

Choloma, Honduras. Choloma, au nord du Honduras, est devenue la troisième ville du pays. C’est une banlieue dortoir pour la main d’œuvre essentiellement féminine des fabriques de montage (les «maquilas») en bordure de la capitale économique du pays, San Pedro Sula. Aujourd’hui, cette agglomération compte officiellement 250’000 habitants mais on estime que la population réelle approche du double. Il n’y a pas un seul hôpital. Seuls huit postes de santé fonctionnent en semaine, jusqu’à 13h… Pour se faire soigner, les habitants doivent se rendre en bus à San Pedro Sula.

Grossesses précoces à la clinique MSF de Choloma. © Yves Magat

MSF a donc ouvert à Choloma en 2017 une clinique gynécologique doublée d’une maternité. 700 accouchements ont pu se dérouler dans de bonnes conditions en 2018. Le personnel médical, les assistants sociaux et les psychologues portent ici aussi une attention toute particulière aux femmes victimes de violences sexuelles et aux adolescentes enceintes. Selon Sophie Moreau, coordinatrice du projet, «souvent les femmes ont plusieurs grossesses déjà à un âge très jeune. L’avortement est totalement interdit, quelles que soient les raisons. C’est un des pays les plus restrictifs au monde.» Même la pilule du lendemain est interdite au Honduras, depuis le coup d’état de 2009 qui a renversé le président José Manuel Zelaya. Les églises évangélistes et les secteurs les plus conservateurs de l’église catholique dictent la morale appliquée par le gouvernement actuel, dont la légitimité est des plus contestables. Pas étonnant qu’au Honduras, un quart des femmes enceintes ont moins de 19 ans (Enquête Nationale de Démographie et Santé, 2018).


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