Tariq Ramadan: une présence inappropriée et intrigante

Publié le 22 mars 2019
Poursuivi pour viols en France et en Suisse, l’islamologue a choqué en se mêlant, lundi, à Saint-Denis, en banlieue parisienne, à une réunion publique consacrée aux violences faites aux femmes.

Il faut avoir du cran ou un sacré toupet pour assister à une réunion publique dédiée à la lutte contre les violences faites aux femmes, lorsque, comme Tariq Ramadan, on est mis en examen pour viols. L’islamologue genevois s’est en effet invité lundi dans les locaux de la mairie de Saint-Denis, en banlieue parisienne, où était organisée une rencontre de ce type.

Le Suisse, placé sous contrôle judiciaire depuis sa remise en liberté en novembre après dix mois d’incarcération préventive, habite la ville communiste, cœur battant du tiers-mondisme français. Lui-même tiers-mondiste tout autant que clerc autrefois adulé d’un islam de «résistance» dans l’hémisphère nord «impérialiste» , cet admirateur et propagateur de la pensée subversive de Malcolm X, avec lequel il partage maintenant l’expérience de la prison (les motifs n’étant pas pareils) est donc venu en voisin se montrer.

Sa présence a fortement déplu à toute une partie de la salle, ainsi qu’aux organisateurs issus de la mairie. L’indésirable a fini par quitter les lieux au bout d’une heure, selon Le Parisien.

Quelles raisons ont bien pu pousser le prédicateur de 56 ans à prendre part, en tant que spectateur, à un tel débat, lui qui est confronté à des accusations de violences sexuelles en France et en Suisse? Lui que la justice française a maintenu en examen dans une décision datant du 14 mars? Un peu comme au poker, peut-être pour voir – et se faire voir au passage. Auquel cas, il aura réalisé qu’il n’était pas le bienvenu. Mais probablement devait-il s’en douter.

Il se sera alors imposé à une assemblée dionysienne comme le gêneur qu’il est devenu après avoir été, ici même, à Saint-Denis où il a son «bureau» en France, une conscience politique et morale pour beaucoup. Il n’a cependant jamais fait l’unanimité chez ses «frères» et «sœurs» altermondialistes, son conservatisme religieux ne plaisant pas à tout le monde dans ce milieu.

Mais ce n’était pas tant sur la condition des femmes que sur la lutte contre l’islamophobie qu’il était écouté, l’intersectionnalité des luttes réunissant toutefois des causes qui n’ont en commun que ce qu’on veut bien y voir de commun, à savoir l’opposition à la «domination blanche», selon une lecture indigéniste implacable. De fait, Tariq Ramadan eut longtemps son rond de serviette à la table des intervenants de cette seconde cause, dont Saint-Denis, respectivement la Bourse du travail, s’est fait une spécialité locale et militante. Madjid Messaoudene, adjoint municipal Front de gauche à l’égalité hommes-femmes, a longtemps partagé les tribunes dionysiennes avec Tariq Ramadan, mais lundi, celui qui a chapeauté la réunion publique sur les violences faites aux femmes, n’a pas apprécié la venue de son ancien compagnon de lutte, a-t-il déclaré après coup à l’AFP.

Comme le relève à ce propos un observateur de la scène ramadanienne, «Tariq Ramadan met ses ex-soutiens dans l’embarras». C’est, qui sait, ce qu’il cherchait à faire, afin de se rappeler au bon souvenir de ceux qui, aujourd’hui, lui tournent le dos, tant la cause des femmes est devenue prioritaire sur bien d’autres choses au sein de la gauche contestataire.

Mais sa présence surréaliste à ce débat visait peut-être aussi à envoyer un signe à la justice et à l’opinion: celui d’un homme ayant confiance dans son avenir judiciaire, alors que la plaignante suisse, dont la plainte a été déposée en avril 2018, n’a toujours pas, aux dernières nouvelles, été entendue par le ministère public genevois. S’attend-il à un non-lieu à Paris et en terre lémanique? Rien n’est exclu. S’il ne pourra plus apparaître comme un modèle de vertu en raison de ses infidélités avouées, il peut rester, d’autant plus s’il est blanchi des accusations de viol, cette voix d’un «islam humilié» en quête de «dignité», autrement dit de ce qui fait le fond de l’islam politique. 


Antoine Menusier est l’auteur de Le livre des indésirés. Une histoire des Arabes en France, éditions du Cerf, paru le 31 janvier 2019.

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