L’interface cerveau-machine: «un dialogue» pour réparer le corps

Publié le 13 septembre 2018

L’interface cerveau-machine: une avancée considérable pour l’humanité. – © aytuguluturk/pixabay, CC BY-SA

Retrouver la fonction perdue après un accident: tel est le but des interfaces cerveau-machine, que ce soit pour retrouver l’usage de ses jambes ou de ses bras après une lésion de la moelle épinière, pour améliorer la marche chez des malades de la Maladie de Parkinson, etc. Mais que signifient les mots «interface cerveau-machine»? C’est littéralement la fusion entre le cerveau et l’électronique avec l’établissement d’un dialogue entre ces entités afin de réparer la perte d’une fonction.


Erwan Bezard, Directeur de Recherches INSERM, Université de Bordeaux


L’acception «interface cerveau-machine» recouvre en fait de nombreuses applications qui n’en sont pas réellement. Cette fusion entre cerveau et électronique implique un dialogue, donc une communication dans les deux sens, du cerveau vers l’électronique et de l’électronique vers le tissu biologique (ici le cerveau ou les organes effecteurs que sont les muscles).

Prenons l’exemple de la marche chez les paraplégiques. Ces personnes sont porteuses d’une lésion accidentelle de la moelle épinière qui interrompt le transfert de l’information du cortex moteur (centre de décision) vers les centres générateurs de mouvements situés dans la moelle épinière en dessous de la lésion.

En théorie donc, le cortex moteur (les cortex impliqués dans le mouvement en fait) est capable de décider de l’exécution de la marche mais rien ne se passe car l’information n’arrive pas aux centres générateurs de mouvements, fonctionnels après la lésion) qui eux vont directement agir sur les muscles effecteurs en coordonnant subtilement leur engagement dans le comportement de marche. Comment faire pour que l’information passe «par-dessus» la lésion?

Un «pont» électronique

Il faut pour cela créer ce que les spécialistes nomment un pont électronique. Ce travail de recherche translationnelle (du laboratoire à l’hôpital) est coordonné par le Pr. Grégoire Courtine de l’École Polytechnique de Lausanne avec l’aide de nombreux scientifiques et médecins du monde entier.

Cela commence par enregistrer l’activité du cortex moteur c’est-à-dire concrètement enregistrer l’activité électrique unitaire d’une centaine de neurones dans la région du cortex moteur commandant les jambes.

Ce travail de recherche translationnelle (du laboratoire à l’hôpital) est coordonné par le Pr. Grégoire Courtine de l’École Polytechnique de Lausanne © EPFL


Il faut ensuite «décoder» cette activité électrique afin de comprendre l’intentionnalité et la typologie de mouvement comme vu sur la figure ci-dessus: à savoir, quand le patient souhaite-t-il se déplacer, à quelle vitesse, sur terrain plat ou dans un escalier, etc.?

Ce décodage se fait sur la base d’algorithmes complexes autoapprenants afin de bénéficier de l’expérience propre à chaque patient. Bien sûr ces opérations complexes (enregistrement et décodage) doivent se faire en temps réel afin que le patient exécute l’action souhaitée dans le même temps que sa pensée ou à tout le moins dans un laps de temps tellement court (quelques millièmes de seconde) qu’il ne doit pas se rendre compte du décalage entre intention et action.

Une fois décodés, donc compris électroniquement, ces ordres sont transmis par Bluetooth à un stimulateur connecté à une électrode placée sur la partie dorsale de la moelle épinière.

L’électrode de stimulation médullaire susmentionnée a été conçue pour être positionnée en regard de partie spécifique de la moelle épinière contrôlant différents groupes de muscles impliqués dans la marche. Il faut donc particulièrement soigner l’implantation de l’électrode qui est ajustée à chaque patient (en taille et en fonctionnalité physiologique) afin que les plots de stimulation correspondent bien aux muscles souhaités.

Nous avons alors une véritable interface cerveau-machine, utilisant un «traducteur» électronique» de la volonté du patient afin de faire bouger de façon coordonnée ses jambes pour remarcher après une lésion de la moelle épinière.

Efficacité prouvée du rongeur au primate

Cette extraordinaire démonstration a été effectuée dans différents modèles expérimentaux, chez le rongeur en 2018, le primate), et enfin chez de véritables patients au Centre Hospitalier de Lausanne (Suisse) (article soumis à publication).

Les travaux chez l’animal suggèrent que de telles approches ne requièrent pas d’entraînement et peuvent être utilisées immédiatement après la lésion.

Chez l’homme, étant en phase test, ces investigations à la frontière des avancées de la recherche sont menées sur des volontaires motivés ayant perdu l’usage de leurs jambes depuis de nombreuses années. Un entraînement est donc nécessaire. Nous pouvons toutefois espérer que le succès des interfaces cerveau-machine permette d’implanter à l’avenir les patients dès la sortie de la phase aiguë de l’accident.

En quelques années, plusieurs publications scientifiques ont reçu une attention particulière des médias, ici, ici ou encore ici et enfin ici. Si certaines sont bien des interfaces complètes, nombre des applications proposées, certes intéressantes, ne sont que des interfaces partielles.

«Extraire du sens»

Le point de départ de toutes ces applications consiste en l’enregistrement de l’activité électrique de neurones seuls en grand nombre ou de signaux émis par des populations de neurones (la différence se fait sur la technique d’enregistrement, la qualité de l’information recueillie étant dépendante de la précision de l’enregistrement au niveau du neurone seul).

L’enregistrement d’assemblée neuronale, donc de grands nombres de neurones avec une qualité de «compréhension» du langage neuronale quelque peu dégradée, permettant de contrôler un exosquelette satisfait à une partie de la définition mais il n’y a pas de retour de l’exosquelette sur la biologie du sujet autre que la mobilisation de sa proprioception. Bien que la qualité de compréhension soit «dégradée», le futur des interfaces cerveau-machine réside certainement dans la capacité à extraire du sens de ces enregistrements de populations de neurones plus que dans l’enregistrement de nombreux neurones unitaires, la durée de vie des électrodes permettant ces enregistrements et l’interface entre celles-ci et le tissu biologique étant bien meilleure pour des enregistrements en population.

The ConversationIl faut donc bien distinguer les diverses approches qui toutes ont toutefois un intérêt, l’idéal étant l’autonomisation du patient avec le moins de matériel visible pour une meilleure vie sociale. Ces recherches font de grandes avancées et nous pouvons espérer qu’elles seront disponibles en routine hospitalière dans les quinze prochaines années.


L’article original a été publié sur The Conversation: L’interface cerveau-machine: «un dialogue» pour réparer le corps

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