Te laisse pas faire

© Pascal Parrone / Bon pour la tête
Pour moi, ça s’est passé au moment où il a été question de créer des cellules psychologiques au Palais fédéral. C’est là que je me suis dit: cette histoire de dénonciation du harcèlement sexuel, ça vire au délire. J’ai applaudi à la déferlante #metoo, j’ai jubilé face à la digue qui lâche, à ce grand moment utile de l’histoire des mœurs. Mais je regarde Yannick Buttet répéter comme un automate hébété ses confessions publiques et je me dis que quelque chose est en train de dérailler. Je ne peux pas m’empêcher de penser à ces chinois en noir et blanc, filmés par Joris Ivens, en séance d’autocritique pendant le révolution culturelle.
Un malaise commence à s’exprimer, il ne dit pas juste la nostalgie pour le mâle ordre ancien. Je le ressens aussi mais comment le cerner? Je n’ai aucune nostalgie pour le mâle ordre ancien. Je n’ai d’ailleurs rien à dire non plus qui n’ait été dit sur les situations de violence sexuelle caractérisée. Je pense surtout aux nombreuses femmes qui vivent chaque jour des trucs pas nets, des petites humiliations machistes à la limite ou de grosses avances lourdingues qui tachent plus qu’elles ne tuent.
Et je peux résumer mon malaise dans cette conviction: face à celui qui veut vous rabaisser, rien ne vaut la satisfaction d’une riposte bien sentie sur le moment. Aller se plaindre après coup, ça soulage faute de mieux. Mais trouver, en soi, sur le sable encore chaud de l’affrontement, la phrase qui envoie l’importun dans les cordes; prendre le risque de la bataille, se sentir fière d’avoir eu ce courage et cette présence d’esprit, c’est ça qui fait vraiment du bien. C’est ça qui fait avancer le schmilblick du féminisme réel, je veux dire de la puissance augmentée des femmes. Mieux que n’importe quelle loi ou démarche juridique. A l’inverse, rien ne compense la frustration que l’on ressent après coup, lorsqu’on se reproche d’être restée sans voix et qu’on se dit: mince! Voilà comment j’aurais dû réagir, et avec quels mots.
Le problème, c’est bien sûr que la présence d’esprit, le sens de la riposte du tac au tac, ce n’est pas donné à tout le monde. Mais justement, ça s’apprend et ça s’exerce: pourquoi n’a-t-on pas encore inventé les cours de self-défense verbale? Plutôt que des cellules psychologiques, créons des cellules de stratégie contre-offensive! De mère en fille, de copine à copine, de coach à cliente, c’est ce savoir-faire là qui devrait circuler et s’enrichir. On ferait des simulations, on se raconterait les dernières nouveautés en matière de mots qui tuent, on apprendrait à la jouer à la fois ferme et fûtée dans les cas hiérarchiquement les plus délicats. On cultiverait l’art de ne pas se laisser faire.
En un mot, comme option numéro un, on encouragerait la combattivité plutôt que la plainte. Et les hommes seraient les bienvenus. Parce que se laisser faire, je ne sais pas si vous avez remarqué, mais ça n’a rien d’une spécialité féminine.
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