PFAS: un risque invisible que la Suisse préfère ignorer

Publié le 19 septembre 2025
Malgré la présence avérée de substances chimiques éternelles dans les sols, l’eau, la nourriture et le sang de la population, Berne renonce à une étude nationale et reporte l’adoption de mesures contraignantes. Un choix politique qui privilégie l’économie à court terme au détriment de la santé publique.

Article publié sur Infosperber le 13.09.2025, traduit et adapté par Bon pour la tête 


C’était un projet ambitieux: suivre 100 000 participants durant vingt ans pour analyser l’impact des polluants environnementaux sur la santé. Budget prévu: dix à douze millions de francs par an. Mais début septembre, l’OFSP, l’Office fédéral de la santé publique, a mis fin à cette étude de longue haleine, officiellement pour des raisons financières. Une décision lourde de conséquences, car les effets toxiques de nombreux produits chimiques – pesticides, phtalates, métaux lourds ou PFAS – ne deviennent visibles qu’après des décennies, parfois même à la génération suivante.

Privée de données systématiques et représentatives, la Suisse se prive aussi d’un outil de prévention crucial. Les différences régionales, comme celles liées aux pollutions locales par les mousses des extincteurs de feu également utilisées par les pompiers, resteront dans l’ombre. Impossible, dès lors, de mesurer les tendances ou les interactions entre substances chimiques à grande échelle.

Des polluants omniprésents

Les substances per- et polyfluoroalkylées (PFAS), surnommées «produits chimiques éternels», s’accumulent dans l’environnement et dans les organismes. Une étude pilote menée dans les cantons de Berne et de Vaud a révélé que l’ensemble des 630 adultes testés présentait des traces de PFAS dans le sang, dont 5 % à des niveaux préoccupants. «Des conséquences importantes sur la santé sont possibles», alertait le chimiste Martin Scheringer (ETH Zurich) dans les colonnes du Tages-Anzeiger.

Mais faute de programme national, nul ne peut dire si ces résultats sont représentatifs du pays. Les données européennes servent de repère, alors même que l’OFSP reconnaissait lui-même, jusqu’à récemment, l’importance d’inscrire la Suisse dans la recherche internationale, notamment via le Projet européen sur les risques des produits chimiques (Projet PARC).

Législation: des signaux contradictoires

La question des PFAS a fait irruption à Berne l’an dernier avec le scandale de Saint-Gall: de la viande contaminée avait été vendue sans mention, alors que l’UE venait d’adopter de nouvelles valeurs limites. En réponse, le Conseil national a instauré une obligation de déclaration et prévu un soutien financier aux agriculteurs touchés. Mais la proposition d’instaurer une «taxe PFAS» pour responsabiliser les pollueurs a été balayée.

En pratique, la collectivité assumera les coûts du traitement de l’eau potable et de la dépollution des sols, estimés à plusieurs milliards. Le conseiller national UDC Mike Egger résumait ainsi l’enjeu: «Il en va de la survie de certains». Une survie qui, selon les chercheurs, devrait surtout passer par une interdiction ferme de l’usage des PFAS, sauf cas réellement indispensables. Une demande formulée par le PS, les Verts et le PVL, mais rejetée début septembre.

Un calendrier repoussé

Pour l’heure, le Conseil fédéral renvoie la problématique aux calendes grecques. Le ministre Albert Rösti promet un plan d’action sur les PFAS pour 2026, en attendant la législation européenne prévue l’an prochain. Mais même à Bruxelles, le vent tourne: l’Agence européenne des produits chimiques (ECHA) envisage d’exclure plusieurs secteurs de l’interdiction totale des PFAS, notamment l’armement, la médecine ou la construction mécanique, soit près de 9 % des usages.

Une concession qui, selon les ONG, risque de pénaliser les industriels investissant déjà dans des alternatives et de prolonger l’exposition de la population. «Bon appétit», ironisent certains observateurs, tant la présence des PFAS dans l’alimentation et l’eau est déjà avérée.

Reporter, encore et toujours

À chaque étape, la Suisse choisit de repousser la prévention. Abandon d’une étude clé, renvoi des décisions au niveau européen, refus d’une fiscalité des pollueurs: le schéma se répète. Résultat, la population reste exposée à des substances qui ne disparaissent pas et dont la dépollution coûtera des milliards.

Pendant que les responsables politiques temporisent, les produits chimiques éternels continuent de s’accumuler dans les corps et dans l’environnement. Avec une certitude: plus la décision tarde, plus la facture – sanitaire comme financière – sera lourde.


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