Nos médicaments encore plus chers? La faute à Trump!

Publié le 5 septembre 2025
En Suisse, les médicaments sont 50 à 100 % plus coûteux que dans le reste de l’Europe. Pourtant, malgré des bénéfices records, les géants suisses de la pharmaceutique font pression sur le Conseil fédéral pour répercuter sur le marché suisse ce qu’ils risquent de perdre aux Etats-Unis en raison des taxes douanières.

Article publié sur Infosperber le 3.09.2025, traduit et adapté par Bon pour la tête 


Prix élevés, marges bénéficiaires énormes, bonus exorbitants, lobbying grossier et obsession maladive pour les cours élevés des actions: pour une fois, il ne s’agit pas des banquiers notoirement cupides et avares de capitaux propres au détriment de la collectivité, mais de l’industrie pharmaceutique.

Roche, par exemple, a annoncé en juillet qu’elle allait retirer pour l’instant le médicament anticancéreux Lunsumio du marché suisse en raison d’un différend sur le prix avec l’Office fédéral de la santé publique (OFSP). Peu après, le directeur général de Novartis, Vasant Narasimhan, a menacé de ne plus proposer de médicaments en Europe si les pays européens ne payaient pas plus cher qu’auparavant.

Enrichissement sur le dos des Américains

Les dirigeants bien rémunérés des groupes multimilliardaires s’inquiètent en effet de la politique économique et commerciale de Trump. Car si les droits de douane américains de 39 % épargnent pour l’instant l’industrie pharmaceutique, ce n’est que partie remise. La Suisse réalise en effet des excédents commerciaux importants avec les Etats-Unis dans le domaine des produits pharmaceutiques. Grâce aux prix exorbitants qu’ils y pratiquent, Novartis et Roche réalisent près de la moitié de leur chiffre d’affaires aux Etats-Unis et les bénéfices qu’ils en retirent sont en constante augmentation.

Les grands groupes pharmaceutiques sont de plus en plus axés sur le profit


Les géants pharmaceutiques internationaux s’enrichissent considérablement. Vous trouverez ici une version plus grande du graphique. © Graphique: Christof Leisinger

Aux Etats-Unis, de nombreux médicaments sont aujourd’hui plus de deux fois plus chers qu’en Suisse – alors que dans notre pays, selon une étude suédoise, les prix sont déjà de 50 à 100 % plus élevés que la moyenne européenne. Des prix qui contribuent ainsi pleinement à la dérive des dépenses de santé aux Etats-Unis, lesquelles ont plus que triplé au cours des 60 dernières années pour atteindre par moments près de 20 % du produit intérieur brut (PIB). Les dépenses de santé par habitant y sont presque deux fois plus élevées que dans d’autres pays industrialisés, tandis que l’espérance de vie, elle, a diminué.

Dans le collimateur de Trump

Il n’est donc pas étonnant que Donald Trump se soit engagé à réduire le prix des médicaments. Ces dernières semaines, il a même menacé d’imposer des droits de douane pouvant atteindre jusqu’à 250 % sur les importations étrangères. Sans parler du fait que les Européens ont par ailleurs eu l’audace de répercuter sur les Américains les dépenses élevées de la recherche pour le développement de nouveaux médicaments.

Non pas que Trump se soucie réellement du système de santé américain complexe, opaque et coûteux en raison des frais cachés et des remises secrètes accordées aux intermédiaires. Pas plus qu’il ne se positionne contre l’enrichissement des groupes pharmaceutiques et leurs énormes marges. A condition que d’autres les paient.

Les Américains sont ceux qui dépensent le plus pour les produits pharmaceutiques


Les Américains sont ceux qui dépensent le plus pour les médicaments. 
Ici, vous trouverez une version plus grande du graphique.© Graphique : Christof Leisinger

Répercussion sur le prix des médicaments en Suisse

Le président américain offre ainsi à ce secteur très lucratif, par exemple au directeur général de Novartis, Vasant Narasimhan qui dispose d’un réseau important à Washington, une passe décisive pour les négociations futures, y compris en Suisse. Selon des articles parus récemment dans les médias, les lobbyistes de Roche, Novartis et Cie seraient d’ailleurs en train de tout mettre en œuvre à Berne pour faire augmenter le prix des médicaments fixés par l’Etat. Car moins de marges signifie moins d’investissements pour la recherche, avec le risque que cette dernière, ainsi que la production, soient délocalisées, entraînant avec elles d’importants contribuables suisses. Tel est l’argument massue répété inlassablement par ceux qui représentent les intérêts des grands groupes pharmaceutiques, comme René Buholzer, par exemple, directeur général d’Interpharma.

Des stratégies malhonnêtes

Pourtant, le secteur utilise déjà toutes les possibilités à sa disposition pour presser comme un citron ce marché fortement influencé par la bureaucratie. Avec l’«evergreening», par exemple, qui consiste à modifier légèrement la formulation pharmaceutique d’un produit commercialement réussi afin de pouvoir prolonger autant de fois que nécessaire son brevet. Un enjeu crucial puisque l’Etat accorde pour un temps aux entreprises pharmaceutiques le monopole sur les médicaments nouvellement développés afin de s’assurer que les coûts élevés de la recherche soient récupérés sur le plan économique. Les détenteurs de brevets retardent ainsi autant que possible le moment où leurs concurrents pourront vendre des produits génériques contenant les mêmes principes actifs mais à des prix nettement inférieurs.

Selon une étude empirique du Parlement européen, grâce à la stratégie de l’«evergreening», près des trois quarts des brevets accordés ces dernières années l’ont été pour des médicaments qui, en réalité, existent déjà depuis longtemps.

En outre, si les groupes pharmaceutiques se plaisent à mettre en avant les coûts importants de la recherche et du développement ainsi que le risque élevé d’échecs, ils dépensent en réalité bien davantage en marketing et en lobbying. Les principes actifs prometteurs, eux, sont souvent achetés par le biais de fusions ou d’acquisitions d’entreprises, et non pas développés par les entreprises elles-mêmes. Les risques sont donc bien moindres que ce que le secteur prétend.

Des prix toujours plus hauts

Il n’empêche que ce dernier entend bien profiter du conflit douanier avec les Etats-Unis pour imposer ses intérêts – et donc l’augmentation du prix des médicament sur le marché national – par la force. En argumentant, comme le font les représentants d’Interpharma, sur le fait que l’industrie pharmaceutique est de loin le plus gros contribuable et que la moitié des coûts de santé en Suisse sont financés par les recettes fiscales.

Lors d’une conférence de presse il y a quelques jours, l’OFSP a quant à elle mis en garde contre l’augmentation des primes d’assurance maladie que provoquerait la répercussion des prix des médicaments à la baisse aux Etats-Unis sur les citoyens suisses. Si le Conseil fédéral devait céder aux exigences du secteur pharmaceutique, qui réalise pourtant des bénéfices considérables, il le ferait au détriment des assurés, déjà fortement sollicités. Et alors que les dépenses en médicaments en Suisse ne cessent d’augmenter.

En 2023, les coûts des médicaments sur ordonnance pris en charge par l’assurance maladie dans le domaine ambulatoire s’élevaient à 9 milliards de francs, soit 11 à 12 % des 100 milliards de dépenses globales annuelles de la santé. Des chiffres qui ne tiennent pas compte des médicaments en vente libre, payés par les patients eux-mêmes, ni de ceux utilisés dans les hôpitaux. Si on y ajoute ces derniers, les médicaments représentent alors près d’un quart des coûts, ce qui souligne l’importance de ce poste de dépenses dans le domaine clé de l’assurance maladie.

Avec ou sans augmentation des prix, les dépenses en médicaments continueront quoi qu’il en soit d’augmenter en raison du recours à de nouvelles thérapies coûteuses et du vieillissement de la population. Quant à l’utilisation de génériques, elle reste faible en Suisse en comparaison à la moyenne européenne.

Coûts des médicaments dans le domaine ambulatoire de l’assurance de base


Le coût des médicaments en Suisse ne cesse d’augmenter. Voici une version agrandie du graphique. © Graphique: Christof Leisinger


Lire l’article original 

S’abonner
Notification pour
0 Commentaires
Le plus ancien
Le plus récent Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires

À lire aussi

Santé

Le parlement suisse refuse de faire baisser les coûts de la santé

Chaque année, à l’annonce de l’augmentation des primes d’assurance maladie, on nous sert comme argument l’inévitable explosion des coûts de la santé. Or ce n’est pas la santé qui coûte cher, mais la maladie! Pourtant, depuis des années, une large majorité de parlementaires rejette systématiquement toute initiative en lien avec (...)

Corinne Bloch
Politique

Le déclassement géopolitique de la Suisse est-il irréversible?

Même s’il reste très aléatoire de faire des prévisions, il est légitime de se demander aujourd’hui ce que nos descendants, historiens et citoyens, penseront de nous dans 50 ans. A quoi ressemblera la Suisse dans un demi-siècle? A quoi ressembleront l’Europe, si elle n’a pas été «thermonucléarisée» entre-temps, et le (...)

Georges Martin
Accès libre

Superintelligence américaine contre intelligence pratique chinoise

Alors que les États-Unis investissent des centaines de milliards dans une hypothétique superintelligence, la Chine avance pas à pas avec des applications concrètes et bon marché. Deux stratégies opposées qui pourraient décider de la domination mondiale dans l’intelligence artificielle.

Une claque aux Romands… et au journalisme international

Au moment où le Conseil fédéral tente de dissuader les cantons alémaniques d’abandonner l’apprentissage du français au primaire, ces Sages ignorants lancent un signal contraire. Il est prévu, dès 2027, de couper la modeste contribution fédérale de 4 millions à la chaîne internationale TV5Monde qui diffuse des programmes francophones, suisses (...)

Jacques Pilet
Accès libre

PFAS: un risque invisible que la Suisse préfère ignorer

Malgré la présence avérée de substances chimiques éternelles dans les sols, l’eau, la nourriture et le sang de la population, Berne renonce à une étude nationale et reporte l’adoption de mesures contraignantes. Un choix politique qui privilégie l’économie à court terme au détriment de la santé publique.

Les fantasmes des chefs de guerre suisses

Il arrive que le verrou des non-dits finisse par sauter. Ainsi on apprend au détour d’une longue interview dans la NZZ que le F-35 a été choisi pas tant pour protéger notre ciel que pour aller bombarder des cibles à des centaines, des milliers de kilomètres de la Suisse. En (...)

Jacques Pilet

Netanyahu veut faire d’Israël une «super Sparte»

Nos confrères du quotidien israélien «Haaretz» relatent un discours du Premier ministre Benjamin Netanyahu qui évoque «l’isolement croissant» d’Israël et son besoin d’autosuffisance, notamment en matière d’armement. Dans un éditorial, le même quotidien analyse ce projet jugé dangereux et autodestructeur.

Simon Murat

Quand les PTT ont privatisé leurs services les plus rentables

En 1998, la Confédération séparait en deux les activités des Postes, téléphones et télégraphes. La télécommunication, qui s’annonçait lucrative, était transférée à une société anonyme, Swisscom SA, tandis que le courrier physique, peu à peu délaissé, restait aux mains de l’Etat via La Poste. Il est utile de le savoir (...)

Patrick Morier-Genoud

L’identité numérique, miracle ou mirage?

Le 28 septembre, les Suisses se prononceront à nouveau sur l’identité numérique (e-ID). Cette fois, le Conseil fédéral revient avec une version révisée, baptisée «swiyu», présentée comme une solution étatique garantissant la souveraineté des données. Mais ce projet, déjà bien avancé, suscite des inquiétudes quant à son coût, sa gestion, (...)

Anne Voeffray

Les délires d’Apertus

Cocorico! On aimerait se joindre aux clameurs admiratives qui ont accueilli le système d’intelligence artificielle des hautes écoles fédérales, à la barbe des géants américains et chinois. Mais voilà, ce site ouvert au public il y a peu est catastrophique. Chacun peut le tester. Vous vous amuserez beaucoup. Ou alors (...)

Jacques Pilet
Accès libre

Comment les industriels ont fabriqué le mythe du marché libre

Des fables radiophoniques – dont l’une inspirée d’un conte suisse pour enfants! – aux chaires universitaires, des films hollywoodiens aux manuels scolaires, le patronat américain a dépensé des millions pour transformer une doctrine contestée en dogme. Deux historiens dévoilent cette stratégie de communication sans précédent, dont le contenu, trompeur, continue (...)

Coulisses et conséquences de l’agression israélienne à Doha

L’attaque contre le Qatar du 9 septembre est le cinquième acte de guerre d’Israël contre un Etat souverain en deux ans. Mais celui-ci est différent, car l’émirat est un partenaire ami de l’Occident. Et rien n’exclut que les Américains aient participé à son orchestration. Quant au droit international, même le (...)

Jean-Daniel Ruch

Tchüss Switzerland?

Pour la troisième fois en 20 ans, le canton de Zurich envisage de repousser au secondaire l’apprentissage du français à l’école. Il n’est pas le seul. De quoi faire trembler la Suisse romande qui y voit une «attaque contre le français» et «la fin de la cohésion nationale». Est-ce vraiment (...)

Corinne Bloch

USA out, Europe down, Sud global in

Le sommet de l’Organisation de coopération de Shanghai et les célébrations qui se sont tenus en Chine cette semaine témoignent d’un nouveau monde. L’Europe n’en fait pas partie. A force de pusillanimité, d’incompétence géopolitique et à trop jouer la carte américaine, elle a fini par tout perdre. Pourtant, elle persévère (...)

Guy Mettan

Et si on parlait du code de conduite de Nestlé?

Une «relation amoureuse non déclarée avec une subordonnée» vient de coûter son poste au directeur de Nestlé. La multinationale argue de son code de conduite professionnelle. La «faute» semble pourtant bien insignifiante par rapport aux controverses qui ont écorné l’image de marque de la société au fil des ans.

Patrick Morier-Genoud

Le trio des va-t-en-guerre aux poches trouées

L’Allemand Merz, le Français Macron et le Britannique Starmer ont trois points communs. Chez eux, ils font face à une situation politique, économique et sociale dramatique. Ils donnent le ton chez les partisans d’affaiblir la Russie par tous les moyens au nom de la défense de l’Ukraine et marginalisent les (...)

Jacques Pilet