Le double discours de l’Europe à son comble

Les missiles russes qui ont frappé la ville du nord de l’Ukraine visaient un rassemblement festif des chefs de la 117e brigade et d’autres. Le bilan est lourd. Le commandant de la place a été limogé pour cette bévue. Plusieurs habitants des lieux ont aussi perdu la vie. C’est à condamner, mais cela n’a rien à voir, comme ose le dire Bernard-Henri Lévy, avec un «Guernica», le bombardement de Franco en 1937 qui détruisit toute une ville et causa plus de mille morts.
En revanche on ne voit pas à quoi comparer ce qui se passe à Gaza. Le martyre absolu entre l’enclume du Hamas et le marteau d’Israël. Depuis un an et demi, ce petit territoire est sous le feu quotidien de Tsahal, sa population sans cesse déplacée, prisonnière, sans savoir où aller. Elle végète entre les ruines, sous des tentes souvent visées. Il y a quelques jours un bombardement «ciblé» a fait 330 morts.
De plus c’est une famine organisée qui s’étend. «Aucune aide humanitaire n’entrera à Gaza», a déclaré ce mercredi le ministre israélien de la Défense, Israël Katz. D’autres membres du gouvernement ne cachent plus que le but est l’annexion de cette terre. Neuf immeubles sur dix sont détruits, ainsi que les hôpitaux, les écoles, les universités, les sièges des ONG. Et plus que cela: les cimetières, les vestiges historiques. Le passé de ce haut lieu de la civilisation du Moyen-Orient doit aussi être effacé. Y compris les traces chrétiennes. Le dernier hôpital de la partie nord qui vient d’être bombardé était propriété de l’Eglise anglicane.
Une honte! Pour la Suisse aussi…
Peu importent les mots utilisés, génocide, nettoyage ethnique… Les juristes y planchent. Mais cette volonté d’effacer un peuple sans condamnations fortes des Européens, sans aucune sanction, leurs regards détournés, c’est une honte. Comme le dit le président du CICR dans une interview au Temps, «la situation à Gaza va nous hanter pendant des décennies».
Il y a certes des sursauts réconfortants. La décision in extremis du Conseil des Etats de maintenir un soutien fédéral, même réduit, à l’UNRWA. Les cinq millions votés par le Grand Conseil genevois pour l’aide humanitaire. Reste que l’indifférence complice du Conseil fédéral, la mollesse des médias face aux forfaits criminels quotidiens sont de plus en plus choquantes. Lors de ces épisodes polémiques, il est apparu combien divers lobbies se sont affairés dans l’ombre. En faisant interdire ceci ou cela, en diffusant des justifications acrobatiques. Quant à l’administration fédérale, elle se crispe méchamment dès que le mot «palestinien» apparaît sur un dossier.
Nos médias font l’impasse sur la situation en Cisjordanie
Ce dernier samedi, des milliers de personnes ont défilé dans les rues de Genève, comme dans plusieurs villes européennes, pour dire leur solidarité avec les prisonniers palestiniens en Cisjordanie occupée et en Israël. Cette protestation a eu bien peu d’échos médiatiques. Elle éclaire pourtant un autre pan de la tragédie. Ils seraient environ 10 000, dont un grand nombre détenu sans jugement, sans limite de temps. Même les corps de ceux qui décèdent en prison ne sont pas rendus à leur famille. Les arrestations se multiplient ces derniers mois au fur et à mesure que les colons augmentent leurs pressions et leurs humiliations, attaquent les maisons, détruisent les cultures. Avec l’ambition avouée des extrémistes israéliens de faire de ces terres voisines une part de l’Etat juif.
Jamais un théâtre d’horreurs guerrières n’a été aussi largement montré à la face du monde. Par les images et les vidéos qui circulent. En dépit du fait que les journalistes internationaux ne sont pas admis à Gaza et que les journalistes palestiniens sont systématiquement visés. 160 d’entre eux ont été tués. Plusieurs organisations internationales, à commencer par l’ONU, certaines avec des représentants sur place, attestent de l’ampleur du massacre. Encore faut-il que les médias de chez nous les écoutent, ouvrent les yeux. Certains s’y osent, comme Le Temps et Le Courrier, mais le gros de l’appareil médiatique passe sur le sujet comme chat sur braise.
Notre parole n’a plus de poids
On ne peut pas pleurer sans cesse sur les malheurs du monde, on a aussi nos soucis, direz-vous peut-être. Voyons pourtant que l’attention que nous portons ou pas à cette situation n’est pas seulement affaire de morale. Les Européens, pourtant historiquement si liés à la création de l’Etat d’Israël aujourd’hui aux mains de criminels, paient un prix politique considérable pour leur lâcheté et leur inconséquence. A l’exception de trois pays, l’Espagne, l’Irlande et la Norvège. Que le président français envisage de reconnaître symboliquement l’Etat de Palestine change peu la donne.
L’Europe est vue dans le reste du monde comme le champ des doubles discours. Elle matraque la Russie avec d’innombrables sanctions – tout en achetant son fuel en douce via l’Inde! –, elle s’arme ardemment face à elle. En revanche l’UE ne prend aucune mesure concrète, juste la mine un peu triste devant l’expansionnisme violent, tous azimuts, de l’Etat juif. Qui se désigne ainsi lui-même, tournant le dos aux principes que nous rabâchons sur la non-discrimination ethnique ou religieuse.
Pas étonnant dès lors qu’en Afrique, pas seulement arabe, en Asie, en Amérique du sud et ailleurs, nous ne soyons plus pris au sérieux. Notre parole n’a plus de poids. Hors de toute considération morale, ce n’est pas une bonne nouvelle.
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