Spiritualité et psychédéliques, quels bienfaits sur les addictions?

Publié le 26 janvier 2024

Cristaux de diméthyltryptamine, substance constitutive de la plupart des psychédéliques. © DR

Au cours de sa carrière, le professeur Jacques Besson a été parmi les pionniers dans l’étude des effets de la spiritualité, mais aussi de certains psychédéliques, sur les addictions, la dépression et les psychotraumatismes. C’est ce qu’il détaille dans un entretien diffusé récemment sur ma chaîne Antithèse.

Il est aujourd’hui reconnu que les pratiques spirituelles (prière, méditation, etc.) diminuent l’anxiété et libèrent dans le cerveau des opioïdes endogènes qui prennent, en quelque sorte, le relais des drogues (en particulier de l’alcool, de l’héroïne et de la cocaïne). «Il existe un lien naturel entre les addictions et la spiritualité», souligne Jacques Besson, addictologue et professeur honoraire à la Faculté de biologie et de médecine de l’université de Lausanne. C’est ce que Carl Gustav Jung, dans une lettre au fondateur des Alcooliques anonymes, avait résumé dans la formule «Spiritus contra spiritum», la spiritualité contre les spiritueux. Ainsi que de nombreuses études l’ont mis en évidence, dont l’une, suisse, à laquelle Jacques Besson a contribué auprès de 9’000 jeunes conscrits de l’armée, un facteur de protection contre les addictions est, précisément, leur degré de spiritualité (religieuse ou non, telle qu’évaluée par questionnaires). La spiritualité, confessionnelle ou non, a indéniablement un impact favorable sur la santé, en tant que facteur de prévention, mais aussi pour stimuler le rétablissement.

Une maladie du sens

L’addiction est un «trouble mental», qui se caractérise par une perte de contrôle des consommations concernées, avec une automatisation du comportement malgré ses conséquences négatives. Les facteurs de risques sont connus: la perte de liens avec autrui et la perte du sens de la vie. «L’addiction peut donc aussi être définie comme une maladie du lien et du sens. C’est la raison pour laquelle la spiritualité est si efficace dans le traitement de l’addiction: elle restaure le lien et le sens», explique Jacques Besson.

L’Autrichien Viktor Frankl, fondateur de la logothérapie, a développé une réflexion originale sur la cause profonde des addictions. De sa déportation dans les camps de la mort nazis, il a tiré l’analyse suivante: il existe un inconscient individuel, comme l’a noté Freud, mais aussi un inconscient «spirituel», qui se loge dans la culture. Si cet inconscient spirituel est refoulé se développent des névroses de civilisation (ou névroses «noogènes»), dont le premier symptôme est le vide existentiel. Ce dernier conduit à trois conséquences: la dépression, l’addiction et l’agression, qui sont autant de symptômes bien visibles aujourd’hui de l’état maladif de nos sociétés. 

Les psychédéliques en médecine

Il est courant de mettre toutes les «drogues» dans le même panier. Elles n’ont pourtant pas les mêmes effets. Il existe en réalité trois grands groupes de substances psychoactives:

  • Les sédatifs, qui ont une action dépressive sur le système nerveux central (alcool, héroïne, morphine, etc.)
  • Les stimulants, qui augmentent l’activité du système nerveux sympathique (caféine, cocaïne, amphétamine, etc.) 
  • Les perturbateurs/hallucinogènes (LSD, psilocybine, cannabis, MDMA ou ecstasy, Kétamine, etc.)

Les psychédéliques entrent donc dans la famille des perturbateurs. «Ces derniers ont pour caractéristique d’être peu addictogènes et peu dangereux (sauf en cas de mélanges ou de contre-indications comme la schizophrénie)», précise Jacques Besson. L’imagerie cérébrale a même permis de montrer qu’ils peuvent avoir des effets bénéfiques dans le traitement des dépressions résistantes, l’alcoolisme résistant et les psychotraumatismes. Ils ont en effet comme pouvoir d’activer simultanément les deux hémisphères du cerveau, d’induire de la plasticité neuronale et d’engendrer de nouvelles connexions cérébrales. «Cette modification des circuits neuronaux permet de considérer le traitement des traumatismes psychiques et de l’addiction sous un nouvel angle de vue, avec des rémissions importantes», ajoute Jacques Besson. Attention, il est déconseillé d’utiliser ces substances hors d’un cadre médical contrôlé, sans l’accompagnement d’un-e médecin ou d’un-e psychothérapeute qui puisse faire le suivi de l’expérience.

En Suisse, la prescription des psychédéliques est autorisée dans certains cas, sur demande du corps médical (une unité des HUG propose ce genre de traitement). Autrement, ils restent interdits. Depuis les années 1970, ces substances sont en effet prohibées. Associées au mouvement hippie, elles sont mal vues des cercles de pouvoir. Dans le contexte de la guerre du Vietnam, l’administration Nixon avait notamment remarqué que les soldats qui consommaient des psychédéliques rechignaient ensuite à se battre. Dans les pays européens, c’est le principe de précaution qui a prévalu dans le choix des autorités. 

Diméthyltryptamine et «mystères» antiques

La plupart des psychédéliques contiennent une même substance: la diméthyltryptamine ou DMT. Cette substance est aussi produite naturellement, à petite dose, dans le cerveau. Elle est libérée par l’épiphyse ou «glande pinéale» lors des crises d’épilepsie ou d’expérience de mort imminente, par exemple. Fait intéressant, Descartes considérait que le siège de l’âme se trouvait dans… la glande pinéale!

De fait, l’usage des hallucinogènes est sans doute très ancien. Les chamanes utilisent depuis des temps immémoriaux certaines plantes, breuvages ou pratiques permettant d’accéder à des états de conscience modifiée. Des pipes destinées à la consommation de DMT, datant du VIIIème siècle après Jésus-Christ, ont été découvertes au Chili par des archéologues. En Grèce antique, les mystères d’Eleusis étaient consacrés à la déesse Déméter. Il est probable que l’ergot de seigle contenant de l’ergotamine (une substance proche de la DMT) a été utilisé pour induire chez les participants aux mystères des expériences de mort et de renaissance. L’accès aux mystères était des plus contrôlés et ce qui s’y passait devait rester secret. A Delphes, les Pythies pourraient avoir été choisies en raison de leur propension à faire des crises d’épilepsie (peut-être provoquées). L’épilepsie était en effet synonyme d’inspiration divine pour les Grecs, comme en témoigne le terme hippocratique de «maladie sacrée» la concernant.

Aujourd’hui, la science médicale s’intéresse de plus en plus aux effets de la DMT. Celle-ci fait actuellement l’objet d’une étude menée par l’Hôpital universitaire de Bâle. La substance est injectée par voie intraveineuse à des volontaires afin d’en étudier les effets sur le corps et l’esprit. La DMT «pourrait être utilisée comme médicament», révèle Matthias Liechti, le responsable de l’étude, cité par 20 minutes. Nul doute, donc, que les années à venir seront riches en découvertes novatrices dans ce domaine.


Voir ou revoir l’entretien avec Jacques Besson.

S’abonner
Notification pour
0 Commentaires
Le plus ancien
Le plus récent Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires

À lire aussi

SantéAccès libre

PFAS: la Confédération coupe dans la recherche au moment le plus critique

Malgré des premiers résultats alarmants sur l’exposition de la population aux substances chimiques éternelles, le Conseil fédéral a interrompu en secret les travaux préparatoires d’une étude nationale sur la santé. Une décision dictée par les économies budgétaires — au risque de laisser la Suisse dans l’angle mort scientifique.

Pascal Sigg
Politique

A confondre le verbe et l’action, on risque de se planter

De tout temps, dans la galerie des puissants, il y eut les taiseux obstinés et les bavards virevoltants. Donald Trump fait mieux. Il se veut le sorcier qui touille dans la marmite brûlante de ses colères et de ses désirs. Il en jaillit toutes sortes de bizarreries. L’occasion de s’interroger: (...)

Jacques Pilet
Philosophie

Notre dernière édition avant la fusion

Dès le vendredi 3 octobre, vous retrouverez les articles de «Bon pour la tête» sur un nouveau site que nous créons avec nos amis d’«Antithèse». Un nouveau site et de nouveaux contenus mais toujours la même foi dans le débat d’idées, l’indépendance d’esprit, la liberté de penser.

Bon pour la tête
PolitiqueAccès libre

PFAS: un risque invisible que la Suisse préfère ignorer

Malgré la présence avérée de substances chimiques éternelles dans les sols, l’eau, la nourriture et le sang de la population, Berne renonce à une étude nationale et reporte l’adoption de mesures contraignantes. Un choix politique qui privilégie l’économie à court terme au détriment de la santé publique.

Politique

Les fantasmes des chefs de guerre suisses

Il arrive que le verrou des non-dits finisse par sauter. Ainsi on apprend au détour d’une longue interview dans la NZZ que le F-35 a été choisi pas tant pour protéger notre ciel que pour aller bombarder des cibles à des centaines, des milliers de kilomètres de la Suisse. En (...)

Jacques Pilet
Politique

L’identité numérique, miracle ou mirage?

Le 28 septembre, les Suisses se prononceront à nouveau sur l’identité numérique (e-ID). Cette fois, le Conseil fédéral revient avec une version révisée, baptisée «swiyu», présentée comme une solution étatique garantissant la souveraineté des données. Mais ce projet, déjà bien avancé, suscite des inquiétudes quant à son coût, sa gestion, (...)

Anne Voeffray
Politique

Démocratie en panne, colère en marche

En France, ce n’est pas tant le tourniquet des premiers ministres et la détestation de Macron qui inquiètent, c’est le fossé qui se creuse entre la société et le cirque politicien, avec son jeu d’ambitions qui paralyse le pays. Le tableau n’est guère plus réjouissant en Allemagne, en Grande-Bretagne, en (...)

Jacques Pilet
EconomieAccès libre

Nos médicaments encore plus chers? La faute à Trump!

En Suisse, les médicaments sont 50 à 100 % plus coûteux que dans le reste de l’Europe. Pourtant, malgré des bénéfices records, les géants suisses de la pharmaceutique font pression sur le Conseil fédéral pour répercuter sur le marché suisse ce qu’ils risquent de perdre aux Etats-Unis en raison des (...)

Christof Leisinger
Politique

Le voyage chahuté d’Ursula

Il est fait grand bruit autour d’une fable alarmiste, d’un incident minuscule lors du vol de la présidente de la Commission européenne entre la Pologne et la Bulgarie: la perturbation du GPS attribuée à la Russie et facilement surmontée comme cela est possible sur tous les avions. Quasiment rien en (...)

Jacques Pilet
Politique

Le trio des va-t-en-guerre aux poches trouées

L’Allemand Merz, le Français Macron et le Britannique Starmer ont trois points communs. Chez eux, ils font face à une situation politique, économique et sociale dramatique. Ils donnent le ton chez les partisans d’affaiblir la Russie par tous les moyens au nom de la défense de l’Ukraine et marginalisent les (...)

Jacques Pilet
Santé

Ma caisse-maladie veut-elle la peau de mon pharmacien?

«Recevez vos médicaments sur ordonnance par la poste», me propose-t-on. Et mon pharmacien, que va-t-il devenir? S’il disparaît, les services qu’ils proposent disparaîtront avec lui. Mon seul avantage dans tout ça? Une carte cadeau Migros de trente francs et la possibilité de collecter des points cumulus.

Patrick Morier-Genoud
PolitiqueAccès libre

Microsoft s’enrichit sur le dos des Palestiniens

Selon des révélations étayées par des sources issues de la multinationale américaine et des services secrets israéliens, un cloud spécial a été mis en place pour intercepter les communications de millions de Palestiniens. Des données qu’Israël utilise pour mener sa guerre de représailles ethniques dans la bande de Gaza et (...)

Bon pour la tête
Politique

La géopolitique en mode messianique

Fascinés par le grand jeu mené à Anchorage et Washington, nous avons quelque peu détourné nos regards du Moyen-Orient. Où les tragédies n’en finissent pas, à Gaza et dans le voisinage d’Israël. Où, malgré divers pourparlers, aucun sursis, aucun accord de paix ne sont en vue. Où un nouvel assaut (...)

Jacques Pilet
PolitiqueAccès libre

Pourquoi les Etats-Unis n’ont-ils pas encore interdit TikTok?

L’an passé, le congrès américain a décidé que le réseau social devait être interdit s’il restait en mains chinoises, ceci afin d’éviter que les données des étatsuniens soient récupérées par Pekin. Il s’agissait prétendument d’une question de «sécurité nationale». Mais le président Trump a pour la troisième fois reporté l’interdiction, (...)

Urs P. Gasche
Politique

Les Européens devant l’immense défi ukrainien

On peut rêver. Imaginons que Trump et Poutine tombent d’accord sur un cessez-le-feu, sur les grandes lignes d’un accord finalement approuvé par Zelensky. Que feraient alors les Européens, si fâchés de ne pas avoir été invités en Alaska? Que cette hypothèse se confirme ou pas, plusieurs défis controversés les attendent. (...)

Jacques Pilet
Culture

Des nouvelles de la fusion de «Bon pour la tête» avec «Antithèse»

Le nouveau site sera opérationnel au début du mois d’octobre. Voici quelques explications pour nos abonnés, notamment concernant le prix de l’abonnement qui pour eux ne changera pas.

Bon pour la tête