Peindre le chaos: entretien avec la peintre Iris Terdjiman

Publié le 10 novembre 2023
Peintre à l'outrance assumée et imprégnée de littérature et de musique, Iris Terdjiman, née en 1984 à Montpellier, a présenté cet automne l’exposition «Ghost Track» à la galerie KBK de Bruxelles, puis, en mai 2024, la galerie Moto de Hall-in-Tirol en Autriche accueillera son exposition «Tzu Gezunt». Début 2024, une monographie de son travail «Chaos Canzone» paraîtra aux éditions Joie Panique. Entretien pour mieux approcher l'artiste et son œuvre.

 «Les -ismes apparaissent, disparaissent, l’art seul demeure», écrivait Vladimir Nabokov. On ne peut que lui donner raison concernant la peinture d’Iris Terdjiman. Toute tentative d’affiliation à un mouvement tendrait à vouloir étriquer ce monde de profusion toujours au bord de l’éclatement, dont elle a, mi Virgile, mi Charon, ouvert les portes. Rien ne valant le regard d’un artiste sur son art, nous lui avons posé quelques questions sur les figures récurrentes de son travail, sa conception de la peinture, ses inspirations.

Iris Terdjiman, «L'Evénement». © DR
Olivia Resenterra: Lorsqu’on est en présence de vos toiles, la première fois, on est frappé par une impression de profusion anarchique. Je pense aux notamment aux coulures, aux liquéfactions omniprésentes, mais également aux corps écorchés qui rappellent les belles heures des planches anatomiques, ces squelettes enjoués tout droit échappés des danses macabres, cette surabondance de signes et symboles…
Iris Terdjiman: Ces coulures sont là parce qu’elles sont inévitables. Une manière de dire l'impermanence et l'interpénétration des choses. La gravité aussi. Et la verticalité. Enfin le rapport au mur je veux dire. C'est une condition pour qu'il y ait peinture, cette verticalité. Pollock qui travaille pourtant à plat, ou Spoerri avec ses tableaux-pièges conçus horizontalement, redressent ensuite leur travail pour que celui-ci accède au statut de tableau. Ainsi, dans ma peinture, le feu ou une tête ou un mot peuvent «couler», et ce faisant, ce qui est sur le passage de la coulure va se désagréger, s'altérer. La coulure n'étant qu'à moitié maîtrisée, il y a le risque qu'elle traverse un visage ou autre… Ce hasard me plaît. C’est même assez jouissif. Ces coulures me permettent d'éviter à tout prix une trop grande netteté...

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