La guerre des enfants fait rage en Suède

Publié le 29 septembre 2023

Des policiers suédois en train de relever des indices. © ARD Weltspiegel

Le trafic de drogue, la crise identitaire des jeunes issus de l'immigration, entraînent toujours davantage de mineurs dans la spirale de la violence. Presque tous les jours, en Suède, des ados meurent sous les coups de leurs pairs. La clémence du droit pénal et le système scolaire, favorisant la ségrégation sociale, sont aujourd'hui pointés du doigt par les experts.

Pascal Sigg, article publié sur Infosperber le 22 septembre 2023, traduit par BPLT


Au moins sept morts rien qu’au cours des deux dernières semaines: une spirale de violence s’est mise en place à Uppsala et Stockholm. Elle se caractérise par son intensité, un nombre de victimes record en quelques jours, et ses auteurs, étonnamment jeunes. Des adolescents de 15 ans ont été arrêtés, un autre de 13 ans a récemment été abattu.

Le fait que la Suède soit si fortement touchée par la violence est en revanche moins surprenant. Il y a quelques années déjà, il n’était pas rare que des fusillades soient à déplorer chaque semaine. Aucun autre pays européen n’enregistre autant de décès par arme à feu que la Suède. Cependant, selon un rapport de 2021 du Conseil suédois pour la prévention de la criminalité (Brottsförebyggande Rådet – BRÅ), c’est surtout la tendance qui est inquiétante: aucun autre pays de l’étude ne montre d’augmentation comparable. Dans la plupart des autres pays, le nombre de cas de violence mortelle en général et de violence mortelle par arme à feu en particulier est en baisse. La tendance montre en outre qu’en Suède, les victimes sont généralement de jeunes hommes de moins de 30 ans.

Tué d’une balle dans la tête: la police a publié la photo et le nom d’une victime âgée de 13 ans. © Aftonbladet

Il n’existe pas de rapport comparatif pour l’année 2022. Mais la Suède a enregistré à elle seule 61 cas de violence mortelle par arme à feu. Le Danemark et la Norvège ont enregistré 4 cas chacun, la Finlande 2 et la Suisse 11 (8 en 2021).

De plus en plus de morts, des auteurs de plus en plus jeunes

La Suède a ceci de particulier que la grande majorité des meurtres ont lieu dans des quartiers spécifiques et dans le cadre d’un trafic de drogue organisé en réseaux criminels. La grande majorité des auteurs sont issus de l’immigration, mais l’immigration ne peut pas être considérée comme la seule raison. Entre 2000 et 2003, la Suède se trouvait en effet à l’autre extrémité des statistiques, malgré une immigration relativement élevée. Et d’autres pays européens à forte immigration comme la France ou l’Allemagne ne connaissent pas ce problème.

Une autre tendance est par ailleurs alarmante: les délinquants sont de plus en plus jeunes. Le nombre de procédures pénales contre des jeunes de 15 à 17 ans est à nouveau le plus élevé depuis 2019. Au premier semestre 2023, 42 adolescents mineurs ont été soupçonnés de tentative de meurtre. Sur l’ensemble de l’année 2022, ils étaient 38.

Une crise identitaire

Selon de nombreux experts, comme le journaliste Diamant Salihu, la raison principale de la violence est une profonde crise identitaire, conséquence d’une intégration ratée. Les enfants issus de familles réfugiées n’ont aucune perspective au sein de la société suédoise. «Ils grandissent dans une société au sein de laquelle nombre de leurs parents n’ont pas pu s’établir. Dans le même temps, ces enfants sont confrontés à un climat de méfiance généralisé dans la société suédoise, par exemple en ce qui concerne leur religion ou leur apparence. Ils se retrouvent dans une situation intermédiaire. Dans les entretiens que j’ai menés, beaucoup ont confié qu’ils ne se sentaient chez eux nulle part».

Les réseaux – apparemment pas des gangs avec une hiérarchie claire – offrent des perspectives, de l’argent facile et un statut. Dans les banlieues des grandes villes, des groupes se disputent le trafic de drogue, explique Carin Götblad, la policière la plus haut placée de Stockholm. En 2010 déjà, elle avait averti dans un rapport que 5’000 enfants étaient en passe de commettre des délits graves, car ils n’avaient pas les bons modèles et avaient déjà commis des infractions mineures. Le trafic de cocaïne, en particulier, en serait une cause importante. «Beaucoup de cocaïne arrive directement d’Amérique du Sud en Suède et est vendue ici en Europe. Cela alimente ces conflits», a récemment déclaré Götblad au Guardian.

Le système scolaire favorise la ségrégation

Beaucoup mettent également en cause le système scolaire suédois. En Suède, le choix de l’école est libre, chaque enfant reçoit un bon de financement et choisit lui-même l’école à laquelle il veut verser l’argent. Un système mis en place en 1992 par le gouvernement de Carl Bildt. Cependant, jusqu’en 1997, les écoles privées ne recevaient que 85% des frais de scolarité d’un enfant, tandis que les écoles publiques se voyaient rembourser l’intégralité des frais.

Pour les écoles publiques situées dans des quartiers où il y a des problèmes sociaux, cela signifie que ceux qui veulent moins de problèmes changent d’école. Cela a renforcé la ségrégation au cours des dernières années. En 2020, un rapport commandé par le gouvernement suédois a proposé d’augmenter les frais de scolarité, donc les subventions, des écoles publiques afin d’atténuer ce phénomène. Cette proposition a toutefois été rejetée en dernier lieu.

Un autre rapport du BRÅ il y a quelques mois établissait que «les jeunes qui fréquentent une école socialement plus difficile risquent davantage de devenir des criminels.»

Statut et appartenance

A cela s’ajoute le fait que la Suède pratique un droit pénal des mineurs plutôt clément. On sait que les gangs utilisent sciemment des mineurs pour commettre un meurtre parce qu’ils ne risquent pas une longue peine de prison, a par exemple déclaré Thomas Bälte, procureur d’Uppsala, à Sveriges Radio. Le journaliste Diamant Salihu expliquait il y a quelques jours à la chaîne de télévision suédoise SVT que les gangs recrutaient désormais les jeunes dans tout le pays. Ils chercheraient également, en particulier, dans les foyers pour mineurs, «des jeunes perdus, sans identité, prêts à commettre des actes de violence». L’attraction est si forte que des enfants issus de la classe moyenne et non issus de l’immigration se tournent aussi vers les réseaux criminels.

Ecoles privées et influences d’extrême droite

Face à ce phénomène, le gouvernement suédois, de centre-droit, veut avant tout renforcer la répression et punir plus sévèrement les jeunes délinquants. Jusqu’à présent, il n’est pas question de réformer le système scolaire. Cela peut s’expliquer par le fait que les intérêts personnels sont nombreux. Plusieurs politiques de premier plan occupent aussi des postes d’administration dans des écoles privées.

Le grand public a aussi récemment appris que les fondateurs du groupe scolaire Internationella Engelska Skolan, qui réalise un chiffre d’affaires annuel de plus de trois milliards de couronnes (environ 250 millions de francs), finançaient des médias d’extrême droite. Jimmie Åkesson, chef du parti d’extrême droite des Démocrates suédois, rend l’immigration globalement responsable de la violence. Il a affirmé il y a quelques jours: «100% de la violence est uniquement liée à l’immigration».

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