Un vendredi soir à Genève… et ceci pourrait ne pas être un article

Publié le 6 mai 2022
Les auteures d’un livre jugé «transphobe» ont essayé de donner une conférence sur «La fabrique de l’enfant-transgenre» répondant à l’invitation du Centre de psychanalyse de Suisse romande. C’était sans compter sur les activistes.

Vous l’avez peut-être déjà lu dans le Blick quelques heures après l’événement, grâce aux vidéos envoyées par des participants à la conférence. Ou vu dans le 19h30 de la RTS, édition du samedi 30 avril. Mais, à ma connaissance, ces journalistes n’étaient pas au cœur de ce moment qui restera emblématique d’une totale inversion des valeurs, où au nom de la liberté d’expression, une minorité musèle et censure une majorité. Ce constat amène une citation du livre dont il sera question dans cet article: «On acquiert ainsi l’impression que la civilisation est quelque chose d’imposé à une majorité récalcitrante par une minorité ayant compris comment s’approprier les moyens de puissance et de coercition.» (Sigmund Freud, L’Avenir d’une illusion)

Alors s’il n’existe plus rien d’autre que le droit à l’autodétermination, étant donné que ce texte ne peut pas me dire ce qu’il est, puisque les mots qui le constituent viennent de moi, je le laisserai se définir lui-même. Dans ce cas, ceci n’est pas un article. Je vais simplement vous partager un vendredi soir surréaliste qui m’a marquée, ainsi que tous ceux qui l’ont vécu, voici mon récit.

Nous sommes le vendredi 29 avril 2022, il est 19h et des poussières. Le Centre de psychanalyse de Suisse romande accueille ses membres pour une conférence publique dans les murs de l’Uni Bastions à Genève – qui précisons-le, n’était nullement liée à l’organisation. L’Université a d’ailleurs déclaré à des confrères, s’engager contre la transphobie par différentes actions. Nous avons en tête celle, récente, de supprimer l’indication «Monsieur» ou «Madame» sur les diplômes délivrés dès 2023, même pour ceux – majoritaires – qui ne se sentent pas offensés par cette formule d’appel. 

Tout le monde est donc installé, les derniers soucis techniques pour la retransmission sur Zoom sont en train d’être réglés, quand un groupe de militants et d’étudiants entre dans la salle en criant: «Cette conférence n’aura pas lieu, vous pouvez rentrer chez vous.»

Petit florilège de leur discours au mégaphone

«La transidentité n’est pas une maladie ou un nouveau virus qui se repend à travers TikTok et Instagram et les réseaux sociaux comme vous le dites. C’est une réalité sociale dont la complexité est entravée par un système de santé centré sur des normes binaires, blanches et hétérosexuelles, qui ne se préoccupent pas des besoins des personnes concernées, qui tentent de se questionner, de vous questionner sur vos discours et pratiques cliniques transphobes binaires et paternalistes. Les pratiques psychiatriques, psychanalytiques nous heurtent, nous font douter de notre existence et nous poussent dans nos retranchements psychologiques les plus douloureux. Souvenez-vous que les suicides de nos adeptes trans sont des meurtres accomplis dans le silence le plus total. Meurtres exercés par le système médical, juridique, économique et policier, qui entretient notre exclusion. Les enfants transgenres et non binaires ne sont pas des impostures, il est temps d’écouter les enfants transgenres et les soutenir dans leur parcours.»

Quand Céline Masson essaie de discuter, invite même les crieurs à prendre part au débat, la réponse est «Non, parce que votre psychanalyse elle tue, votre transphobie elle tue.» Suivi par une sorte de litanie disant: «Et vos enfants seront comme nous», avant de scander à l’unisson «PSYS, TRANSPHOBES, ASSASSINS!»

A quoi ressemblait le militant d’hier? Celui de mai 68 par exemple. Car ceux d’aujourd’hui sont pour le moins curieux. Ils sont investis de la mission d’imposer à autrui leurs convictions. Leurs croyances, leurs valeurs sont-elles supérieures aux autres? N’est-ce pas leur piètre affirmation d’eux qui les enferme dans un dogme boiteux? Car même dans la bienpensante Convention européenne des droits de l’homme, le prosélytisme ne correspond pas à un droit indérogeable. Il est possible d’émettre des restrictions à ce droit. «La liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l’ordre, de la santé ou de la morale publiques, ou à la protection des droits et libertés d’autrui.»

La religion de ces gentils manifestants s’est octroyé des droits moralisateurs qui violent même la sacro-sainte liberté. Quoi qu’il en soit, le dialogue est resté fermé, les voies de leur seigneur sont impénétrables. 

Plusieurs personnes ont tenté de discuter, j’en fais partie. Vu que les protestataires se plaignaient notamment de ne jamais avoir l’occasion de s’exprimer, malgré les nombreux films, articles et autres vitrines à leur cause, je me suis présentée comme journaliste. Ignorée par tous, j’ai réussi à interpeller une personne que je ne vais pas me risquer à mégenrer. 

Drôle de dialogue

Lena: – Pourquoi vous ne voulez pas discuter?

Personne 1: – Parce qu’on ne veut pas parler avec des transphobes!

Lena: – Vous considérez les psychanalystes comme étant transphobes, mais moi je suis journaliste. 

Personne 1: – Vous êtes venue assister à la conférence alors c’est pareil. 

Lena: – Vous interrompez une conférence, on vous offre l’occasion de vous exprimer, pourquoi rester fermés?

Personne 1: – On a déjà dit tout ce qu’on avait à dire, vous avez entendu notre discours.

Lena: – Oui mais crier dans un mégaphone n’est pas le meilleur moyen de livrer un message clair, les idées passent mieux quand on parle calmement.

Là, la personne commence à me frapper le bras en me défiant du regard.

Lena: – Je t’énerve? Tu veux me frapper? Alors vas-y, mais je ne crois pas que cela va servir ta cause. 

Personne 1: – De quel droit tu viens te mettre là au milieu de nous? Tu l’as cherché. 

Ils ont en tout cas réussi à faire déplacer l’ensemble des participants, en pleine Critical Mass, pour assister à la conférence dans d’exigus locaux privés. 

Pourquoi cet ouvrage est-il hérétique aux yeux du C.R.A.Q?

Ceux qui ont bloqué la tenue de la conférence à l’université de Genève, c’est le C.R.A.Q. (Collectif Radical d’Action Queer), «un collectif militant basé à Genève en non-mixité transpédégouinebi.» Le livre qui fait tant couler d’encre, c’est celui des psychanalystes Caroline Eliacheff et Céline Masson, La fabrique de l’enfant-transgenre, dont le sous-titre est «Comment protéger les mineurs d’un scandale sanitaire?» Les activistes jugent son contenu transphobe. «Un mot détourné de son sens qui ne veut plus dire grand-chose» selon les deux femmes. «On ne peut pas avoir la phobie des gens.» 

Leur livre porte sur l’augmentation des demandes de changement de sexe chez les enfants et les adolescents. Le facteur de multiplication se situe entre x10 et x40 depuis une dizaine d’années. «C’est ce phénomène qui nous interpelle et non les choix des adultes transgenres appelés auparavant transsexuels: ils ont toujours existé de façon très minoritaire et, pas plus que d’autres minorités, ne doivent faire l’objet de discriminations. Que ces personnes aient « droit à l’indifférence », c’est-à-dire le droit de vivre de façon banalisée, voilà qui est incontestable: c’est un impératif moral de toute société démocratique.» 

Téméraires mais pas courageux

J’ai pensé que l’étrange petit échange précédemment retranscrit dans cet article était dû à l’effet de groupe. Mais plus tard dans la soirée, j’ai eu l’occasion d’invalider cette théorie. Dans le tram, j’ai croisé deux autres personnes qui avaient pris part à la manifestation. Pour l’une d’elles, je n’avais aucun doute, son look était reconnaissable. Je suis allée leur parler.

Lena: – C’est vous qui êtes intervenus à l’Uni Bastions avant?

Pas de réponse.

Lena: – Je vous reconnais, vous êtes venus bloquer la conférence.

Personne 2: – Je ne vois pas de quoi vous parlez.

Lena: – Attendez, j’ai une photo. C’est bien vous là?! 

Personne 2: – Non c’est pas moi. 

Où est le courage des opinions? On entame des actions qu’on n’assume pas derrière? On voudrait changer le monde mais on n’ose pas se confronter aux grands méchants adultes?

Je peux comprendre, car savoir qui on est, s’accepter, s’aimer, s’affirmer, ça prend du temps et, c’est peut-être par là qu’il faudrait commencer avant de s’autodéterminer, au risque sinon de se réveiller un matin, avec une nageoire de dauphin sur le dos comme Gerald Broflovski. (Personnage de la série animée South Park qui a, sur un coup de tête, subi une dolphinoplastieSaison 9 – épisode 1).

Comme l’a dit le pédiatre Donald Winnicott «La vie est elle-même une thérapie qui a du sens.»

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