Peter Maurer sur le trône de Klaus Schwab

Publié le 8 avril 2022

Klaus Schwab lors d’une conférence sur la Thaïlande au WEF en 2019. – © Gvt of Thailand/ CC-BY-2.0

Les grandes manœuvres pour la succession de Klaus Schwab à la tête du World Economic Forum ont commencé. Le 30 mars dernier, l’indéboulonnable sultan de Cologny a eu 84 ans et le poids des années commence à se faire sentir même pour lui.

Le sujet est évidemment l’un des tabous les plus sacrés de la Genève internationale, d’autant plus qu’il a déjà valu bien des malheurs à ceux qui ont fait mine de s’y intéresser, voire pour les plus casse-cou, de briguer le poste. Tous les successeurs pressentis, y compris ceux qui ont été sollicités par le grand maitre, ont trébuché: ils finissaient par lui faire trop d’ombre, ou trop vite. On se souvient de tel grand patron de multinationale ou tel ancien président de pays, dont les noms ont disparu du ciel wefien aussi rapidement qu’ils y étaient apparus.

L’histoire du Forum, fondé en 1971, a également été soigneusement époussetée. Je me souviens encore des confessions de feu le professeur Henri Schwamm, et d’autres membres qui appartenaient au petit cercle de l’institut de management de Conches dont Klaus Schwab était proche. Le tableau d’honneur les a rapidement oubliés. Le génie du grand homme est incandescent.

Le style de direction du WEF, qui est devenu entretemps une organisation internationale avec statut ad hoc, pose en effet problème pour une institution internationale, qui se devrait d’appliquer à elle-même les règles de transparence et de démocratie exigées partout ailleurs. Les lois du privé n’y sont plus tout à fait applicables. Or Klaus Schwab dirige le WEF depuis 52 ans, soit un règne deux fois plus long que celui de Poutine, dont on critique beaucoup la longévité en ce moment. A Genève, seul Kenneth Roth, qui dirige Human Rights Watch depuis 29 ans avec une égale main de fer, fait aussi bien. La gouvernance monarchique n’est donc pas une exclusivité russe.

Quoi qu’il en soit, il se pourrait qu’un changement intervienne bientôt. En septembre prochain, Peter Maurer, actuel président du CICR, passera le témoin à la diplomate Mirjana Spoljaric Egger. Agé de tout juste 65 ans, membre du conseil du WEF, il a servi de caution à la transformation du WEF d’ONG privée en OI publique. Il serait donc logique qu’il traverse le lac et prenne au moins la place de grand vizir, sachant qu’il faudra réserver une place d’honneur au souverain sortant. Une monarchie constitutionnelle pourrait voir le jour. 

Il y en effet fort à faire pour relustrer l’image d’une institution qui est devenue le symbole de la mondialisation oligarchique et de l’idéologie du «grand reset» qui fait l’objet d’un déferlement de rage complotiste sur les réseaux sociaux. De ce point de vue, Peter Maurer, avec son pedigree de social-démocrate à la Tony Blair, parfaitement compatible avec la culture des grandes multinationales et du «capitalisme inclusif», autre tarte à la crème typique de la phraséologie du WEF, ne peut que faire merveille. Il saura plaire aux Américains, qu’il s’est gardé d’importuner avec la prison de Guantanamo et les crimes de guerre en Irak et en Afghanistan, et qu’il a achevés de séduire en américanisant le CICR, dont le siège ressemble de plus en plus à un campus californien. 

Et en plus il parle l’allemand, et même le bernertütsch, aussi bien que le français du quartier des banques privées genevoises. Un candidat idéal, je vous le dis! C’est simple: si le droit de vote existait au WEF, je voterais pour lui.

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