Yvette Jaggi: «Cette grève permet de prendre la mesure de ce qui reste à faire»

Publié le 19 juin 2019
La grève de 1991 avait pour but l’égalité des droits, un objectif politique qui n’a cessé de s’étendre et qui a laissé la place, au fil des années qui ont suivi l’évolution de cette loi entrée en vigueur en 1996, à d’autres requêtes plus sociales. Interviewée pour cette grande occasion, Yvette Jaggi, 1ère syndique de Lausanne (1990), met en parallèle ces deux événements dont les multiples revendications se sont déployées.

Véronique Emmenegger


BPLT: Quelles sont les différences que vous observez entre les revendications des grèves de 1991 et 2019?

Y.J: La première grève du 14 juin 1991 avait pour objectif politique la mise en œuvre de l’article constitutionnel sur l’égalité des droits voté dix ans plus tôt. L’important, c’était d’obtenir une loi d’application finalement adoptée en mars 1995 et entrée en vigueur le 1er juillet 1996. Mais il ne suffit pas de changer les mots, il faut changer la vie! Cette deuxième grève du 14 juin 2019 est une manifestation mieux préparée, beaucoup plus organisée, chaque mot est pesé, du travail de professionnelles, il y a beaucoup d’événements programmés, le tout servi par une communication bien maîtrisée, y compris sur les réseaux sociaux!

En 1991, les femmes ont revendiqué haut et fort ce droit à l’égalité!

L’objectif était bien l’égalité des droits mais, à l’époque, les femmes voulaient aussi faire sentir leur poids dans la vie économique et sociale avec ce slogan «Femmes bras croisés, le pays perd pied». La grève de 91 a fait beaucoup de bruit et ça a bien marché. L’égalité des droits proclamée, il restait à les faire entrer dans la loi et surtout dans la pratique.

Vous dites qu’il n’y a pas de femme libérée sans homme libéré…

Evidemment. Les discriminations et les inégalités que subissent les individus affaiblissent la société dans son ensemble.

La liste de revendications de la grève des femmes et féministes de 2019 s’est étendue par rapport à la grève des femmes de 1991!

Les raisons de faire grève, telles qu’énumérées dans le Manifeste rédigé par les Collectifs romands, concernent aussi bien les inégalités salariales et toutes les formes de sexisme que le travail domestique, éducatif et de soins. Plus largement encore, les grévistes revendiquent la liberté de choix en matière de sexualité, étendent le droit d’asile en cas de danger, refusent toute forme de violence sexiste, homophobe et transphobe. Les effets de la loi sur l’égalité de 1995 se sont certes déployés mais sa mise en pratique et l’évolution de la société ont fait apparaître de nouvelles revendications, telles le congé paternité, le mariage pour tous ou celles des mouvements LGTB. La grève de 2019 prend le tout en compte! C’est un beau signe de confiance en la capacité de développement des personnes et des institutions.

La grève de 2019 peut-elle être considérée comme une réponse à celle de 1991?

Ce 14 juin est une étape importante parce qu’elle permet de prendre la mesure de l’écart entre ce qui a été fait (tant mieux) et ce qui reste à faire (au travail!).

On peut donc parler d’évolution dans tous les sens du terme?

Oui, même le choix de la couleur violette 2019 est une évolution du fuchsia 1991: le violet, c’est la combinaison du rose des filles et du bleu des garçons.

S’abonner
Notification pour
0 Commentaires
Le plus ancien
Le plus récent Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires

À lire aussi

Accès libre

«Le christianisme originel a été perverti par les Eglises»

Il y a des livres dont on a d’autant plus de joie à dire du bien que nous ne souscrivons pas à leurs thèses centrales. Ainsi en va-t-il du «Plaidoyer pour un renouveau européen», de Martin Bernard, paru ce printemps aux éditions lausannoises BSN Press. Petit essai élégant et agréable, (...)

Bon pour la tête
Accès libre

En direct de Gaza, un journaliste palestinien nous parle

La fièvre américaine, le désarroi français… encore des raisons de détourner le regard du Moyen-Orient. Or les bombes tuent tous les jours à Gaza, la colonisation de la Cisjordane avance à marche forcée. Les témoignages sur la tragédie humanitaire s’accumulent. Nous avons pu interroger sur d’autres aspects un journaliste de (...)

Jacques Pilet
Accès libre

Comprendre le conflit ukrainien: le point de vue de Michael von der Schulenburg

L’ancien diplomate allemand Michael von der Schulenburg a donné courant mai un riche entretien à la «Weltwoche» autour de la guerre en Ukraine. Il y est question de diplomatie, des dynamiques de pouvoirs dans la région, et de la recherche de la paix dans l’ancien bloc soviétique. Cet entretien a (...)

Bon pour la tête

Le 7 octobre et l’inanité du conflit Nord-Sud

Les atrocités commises le 7 octobre par le Hamas ont été suivies de l’invasion de Gaza par les forces armées israéliennes, qui continue de causer la mort de milliers de civils. Ces événements ont des répercussions au niveau planétaire, où ils sont lus comme étant la manifestation d’un affrontement entre (...)

Boas Erez
Accès libre

Génocide des Tutsis au Rwanda il y a 30 ans : « L’engagement de Paris reste une grenade dégoupillée »

Le journaliste français Patrick de Saint-Exupéry, auteur de plusieurs ouvrages de référence sur la question (*), fut l’un des premiers à évoquer la responsabilité de la France dans le génocide des Tutsis au Rwanda il y a tout juste 30 ans. Malgré quelques avancées, cette question demeure ultrasensible. Dans une (...)

Catherine Morand

Peindre le chaos: entretien avec la peintre Iris Terdjiman

Peintre à l’outrance assumée et imprégnée de littérature et de musique, Iris Terdjiman, née en 1984 à Montpellier, a présenté cet automne l’exposition «Ghost Track» à la galerie KBK de Bruxelles, puis, en mai 2024, la galerie Moto de Hall-in-Tirol en Autriche accueillera son exposition «Tzu Gezunt». Début 2024, une (...)

Olivia Resenterra
Accès libre

J.-F. Colosimo: «Nous n’aurons pas de paix en Europe, tant que nous n’aurons pas réparé la Russie»

Jean-François Colosimo, intellectuel, théologien et historien des religions est un homme engagé et aussi un homme de foi. De confession orthodoxe, horrifié par l’invasion russe, il écrit, le cœur ému et vibrant, sans rien perdre de sa rigueur intellectuelle, «La crucifixion de l’Ukraine» (2022). C’est pour parler de cet ouvrage, (...)

Loris Salvatore Musumeci

Les grandes universités américaines privilégient les étudiants les plus riches

La Cour Suprême des Etats Unis a décrété fin juin dernier que la discrimination positive basée sur la couleur de la peau, pratiquée dans les universités, est contraire à la Constitution. Beaucoup pensent que ceci permettra un recrutement plus juste. Une étude parue fin juillet démontre cependant que les enfants (...)

«Le loup nous protège des avalanches»

Juin 2023, pendant que la population réfléchit sur la transition énergétique, le Parlement fédéral discute de comment mieux préserver la biodiversité. Ce concept est difficile à saisir et c’est peut-être pour cette raison que les accords internationaux sur la biodiversité sont mal compris et vécus comme des ingérences. Nous en (...)

On se la raconte comme jamais

Sélectionné au Prix du Làc 2023, «Le Comte foudroyé», premier roman du Montreusien Francisco Arenas Farauste, nous emmène dans l’Andalousie de la fin du XIXème, début du XXème, sur les traces d’un comte qui n’est pas sans évoquer Don Quichotte. Entretien.

«Pourquoi les Occidentaux veulent-ils que leur ennemi devienne automatiquement celui des Africains?»

Auteur de plusieurs ouvrages – dont des «Chroniques afro-sarcastiques» publiées en 2011 aux éditions Favre à Lausanne – le journaliste-écrivain Venance Konan est un fin observateur de l’actualité politique ouest-africaine. Il répond aux questions de BPLT sur l’influence de la Russie et la montée d’un sentiment anti-français dans la région.

La philosophie du juste milieu

On ne présente plus Adrien Gygax. Dans son dernier roman intitulé «Départ de feu», ce trentenaire qui a déjà publié au Cherche-Midi, chez Grasset et maintenant chez Plon brosse un portrait incisif d’une génération et d’une époque caractérisée entre autres par l’invasion numérique, la superficialité et une forme de bêtise. (...)

La fuite en avant d’un père en roue libre

Sous le titre ironique de «Fête des pères», Jean-Michel Olivier propose un livre passionnant et admirablement construit qui met en scène le déchirement de ces pères du dimanche, contraints de voir grandir leur enfant de sept en quatorze.

«Comment on m’a jeté en prison». Entretien avec le président péruvien Pedro Castillo et son avocat

Fin décembre, j’ai été mis en été contact avec l’ONG Red Nacional de Derechos Humanos basée à Caracas et Madrid pour réaliser une interview avec le président élu péruvien Pedro Castillo, emprisonné depuis le 7 décembre. M. Castillo étant privé d’accès aux médias, nous avons réalisé cet entretien par l’intermédiaire (...)

Accès libre

Anca Visdei: «La grande œuvre de Giacometti est d’avoir fait une synthèse entre peinture et sculpture»

Anca Visdei est une romancière, auteure dramatique et biographe suisse de langue française et d’origine roumaine. Ses pièces de théâtre sont jouées partout dans le monde, y compris à Bucarest, sa ville d’origine où elle avait commencé ses études de théâtre et de cinématographie dans la spécialisation de la mise (...)

Accès libre

Maria Zakharova: «Nous voulons une Ukraine neutre, non alignée et non nucléaire»

Après presque quatre mois de combats en Ukraine, la parole n’a été que rarement, ou très partiellement, donnée à la partie russe, présentée dans les médias occidentaux comme l’agresseur et l’unique responsable du conflit. Alors que les opérations militaires se poursuivent sur le terrain et que les négociations apparaissent à (...)