Radio-TV: Le prix de l’accès est plus cher que celui du contenu!

Alors que l’opinion publique s’écharpe sur l’existence de la redevance pour la radio-télévision et et sa facture annuelle de 451,10 francs, personne ne pipe mot d’une autre dépense liée à cette même radio, cette même télévision: l’abonnement au câble. Pourtant, dans la majorité des cas, il représente une facture bien plus élevée, plusieurs centaines, parfois même plusieurs milliers de francs chaque année.
Comme si le fait d’accéder au signal télévisuel et radiophonique était jugé plus important par le public que le contenu même des émissions. Un problème de civilisation, où l’on valorise davantage l’accès que le contenu? Ou, beaucoup plus trivialement, le choix tactique du consommateur qui sait que s’il ne paye pas sa facture de téléréseau, le signal est interrompu. Et alors, bye bye la TV le soir! Tandis que s’il ne paye pas Billag, il peut s’attendre à la désagréable visite de ses inspecteurs mais sa TV ne va pas s’arrêter pour autant (du moins, pas dans l’immédiat).
Téléspectateurs captifs…. de leurs réseaux
Le volubile Pierre Kohler, qui se dit pourtant opposé à l’initiative «No Billag», a une autre explication. «Si les gens sont prêts à payer cher, c’est parce qu’ils ont choisi de le faire, alors que la redevance perçue par Billag est obligatoire!», lance l’actuel président de Suissedigital, l’association faîtière des câblo-opérateurs (qui s’abstient de prendre position dans le débat actuel), et ancien parlementaire fédéral et conseiller d’Etat PDC jurassien.
Le choix, vraiment? En fait, les Suisses ont choisi le câble pour regarder la télé, qu’il soit fourni par un opérateur télécom comme Swisscom ou par un câblo-opérateur comme UPC ou Net+. Le pays compte plus d’accès à la TV câblée que de ménages: près de 4 millions, selon les câblo-opérateurs, contre les 3,7 millions recensés par l’Office fédéral de la statistique! Autant de gens qui payent, chaque mois, une facture pour tout simplement accéder au signal, sans même préjuger du contenu. Tout cela en plus de la redevance. «Le ménage suisse paye deux fois pour regarder la TV!», reconnaît Pierre Kohler.
Et combien payent-ils, combien payons-nous pour ce simple service de base, semblable à celui de la livraison d’un journal à domicile? En moyenne, entre 21 francs mensuels (pour la formule la meilleur marché de Citycable à Lausanne) et… 129 francs par mois (pour l’offre combinée la plus complète d’UPC). Pour accéder, en plus d’internet et d’une ligne téléphonique fixe, à un nombre de chaînes oscillant entre 90 et 300. Par année, cela représente une facture allant de 252 francs à 1548 francs !
L’analyse devient un peu plus précise si l’on regarde les offres des deux géants que sont Swisscom et UPC, qui se partagent 72% du marché avec près de 2,7 millions d’abonnés: leurs offres s’échelonnent entre 50 francs mensuels pour 100 chaînes et l’internet de base chez Swisscom, et 129 francs par mois pour 130 chaînes et une superconnexion à internet chez UPC. Donc, par an, de 600 à 1548 francs. Et les tarifs ne baissent pas, comme le souligne le magazine de consommation Bon à Savoir. Ils ont même tendance à augmenter de quelques francs par mois au fil des modifications des offres. En face, le public est d’autant plus captif que la concurrence est très restreinte. Selon où vous habitez, seule une poignée d’entreprises se font concurrence.
A ces offres de base s’ajoutent quantité de bouquets, donnant accès à des chaînes anglophones, en albanais, ou centrées sur les sports, la découverte, les dessins animés, le porno, dont les tarifs mensuels varient de 10 francs à plus de 50 francs. Et donc, qui alourdissent la facture annuelle de 120… à sky’s the limit par an, selon le type et le nombre de bouquets choisis. Un passionné de sports à la TV qui veut un large éventail de chaînes peut ainsi consacrer plus de 2000 francs par an rien que pour être certain de pouvoir accéder à ses programmes favoris. En regard, les 451,10 francs de Billag en deviennent presque ridicules. Et le seront encore davantage lorsqu’ils chuteront à 365 francs dès l’année prochaine.
Orchestration
Il est vrai que «l’automaticité de la redevance est vécue comme une contrainte», reconnaît l’historien François Vallotton, professeur à l’Université de Lausanne, qui anime un projet de recherche financé par le FNRS consacré à l’histoire de la TV en Suisse. Mais «cette contrainte est mise en avant a posteriori pour justifier la volonté d’acteurs privés de mettre fin au système actuel de la redevance», tonne-t-il. Une instrumentalisation orchestrée, poursuit le professeur, par les grandes maisons d’édition zurichoises Goldbach Media ou Tamedia, qui rêveraient de se débarrasser de la SSR pour faire de la place à leurs propres offres. «Curieusement, elles restent très discrètes dans le débat actuel», glisse-t-il.
Les câblo-opérateurs risquent néanmoins de faire à leur tour les frais de la lassitude du public envers les factures de sa TV. Le signe le plus évident est le succès de la télévision par l’internet, dite aussi IPTV. Il suffit d’un accès (sans l’inclusion de la TV), d’une boîte à quelques dizaines de francs, un abonnement, et hop, on peut avoir le signal de milliers de chaînes pour un prix parfois bien moins élevé qu’un abonnement normal… «Mais on y trouve aussi bien des abonnements légaux que pirates. Or, ces derniers, bien moins chers que les premiers, semblent rencontrer un succès croissant», dénonce Oliver Sato, exploitant de PayTVCard à Grandson, qui vend ce genre d’accès ainsi que des appareils permettant les connexions par satellite.
Qui dit pirate dit grand risque de se faire attraper. Non seulement par Billag bien sûr. Mais aussi, et surtout, par les chaînes lésées. L’amende risque d’être salée. Manière de rappeler aux brebis égarées que faire de la TV, cela coûte quelque chose. Pour être distribuée bien sûr. Mais aussi, et surtout, à être produite.
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