Qui peut encore arrêter le Conseil fédéral s’il va trop loin?

Publié le 30 mars 2020

Pour la première fois depuis la Seconde guerre mondiale, le Conseil fédéral peut agir sans le Parlement, les cantons ni le peuple. – Bundeshaus, Bern, © Guido Gloor Modjib – CC via Flickr

Le chef de la rédaction de la NZZ au Palais fédéral, Fabian Schäfer, pose en titre cette question qui, pour l'heure, préoccupe peu une opinion publique peu critique face aux mesures qui restreignent drastiquement les libertés individuelles au nom de la santé publique. Extraits.

La situation est historique. Pour la première fois depuis la Seconde guerre mondiale le Conseil fédéral gouverne sur une longue période dans l’état d’urgence(…). Il peut agir sans le Parlement, sans les cantons ni le peuple(…). La clause sur l’état d’urgence existe depuis l’année 2000 dans la constitution. Le Conseil fédéral en a déjà fait usage occasionnellement pour résoudre des problèmes ponctuels: sauvetage de l’UBS, aide financière à Swissair, destruction des actes dans l’affaire Tiner de contrebande nucléaire. On ne peut comparer ces cas avec la crise du Coronavirus. Aujourd’hui les mesures d’urgence du Conseil fédéral atteignent sur un large front la vie de la population et l’économie. Cela ne devrait pas changer de si tôt.


Lire aussi: Faut-il confiner les débats?


L’Office fédéral de la justice joue un rôle central dans cette phase, il est la «conscience juridique» de la Berne fédérale. Il peut intervenir, comme l’administration des finances, dans les affaires de tous les départements (…) Les juristes devraient intervenir au cas où le CF irait trop loin dans sa lutte contre le virus. S’ils ne le font pas, il sera trop tard. L’office est le correcteur possible dans la situation juridique actuelle. Car le gouvernement ne peut pas tout faire, ses décisions doivent être «proportionnées». C’est là que commencent les problèmes. Ce qui est proportionné ou pas, là les opinions divergent souvent, parfois même au sein-même de l’office. En principe le cas est clair: une mesure est proportionnée si elle est adaptée, nécessaire et raisonnable. Ce dernier point suppose une sorte de calcul de l’utilité. La question centrale se pose ainsi: par exemple, l’interdiction des rassemblements sauve-t-il un tel nombre de vies au point de justifier une atteinte aussi grave à la liberté de mouvement ? (…) «oui, probablement», répond Martin Dumermuth, chef de l’office. Ajoutant: «Une interdiction générale de sortir ne serait pas proportionnée selon moi tant que le plus efficacité n’est pas clair.»(…)

Précédent historique?

Le Conseil a fait abondamment usage des pleins pouvoirs accordés par le Parlement en 1939 et a gouverné hors du cadre constitutionnel. Il a parfois abusé de son pouvoir sur des sujets qui n’avaient rien à voir avec la guerre. Par exemple en 1941, il priva de leur nationalité les Suisses qui épousaient des étrangers. Le Conseil fédéral s’est si bien habitué à de telles compétences qu’il ne voulut pas s’en priver après le conflit. Il fallut deux initiatives populaires pour le ramener à la raison. Ce régime ne prit fin qu’en 1952, sept ans après la fin de la guerre (…) Il en va différemment aujourd’hui. Depuis 2010, les mesures d’urgence ont une date d’expiration. S’il en va de la sécurité intérieure, après six mois au plus tard, le CF doit déposer une demande d’approbation auprès du Parlement.

S’abonner
Notification pour
0 Commentaires
Le plus ancien
Le plus récent Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires

À lire aussi

Politique

La neutralité fantôme de la Suisse

En 1996, la Suisse signait avec l’OTAN le Partenariat pour la paix, en infraction à sa Constitution: ni le Parlement ni le peuple ne furent consultés! Ce document, mensongèrement présenté comme une simple «offre politique», impose à notre pays des obligations militaires et diplomatiques le contraignant à aligner sa politique (...)

Arnaud Dotézac
Politique

Et si l’on renversait la carte du monde!

Nos cartes traditionnelles, avec le nord en haut et le sud en bas, offrent un point de vue arbitraire et distordu qui a façonné notre vision du monde: l’Afrique, par exemple, est en réalité bien plus grande qu’on ne le perçoit. Repenser la carte du globe, c’est interroger notre perception (...)

Guy Mettan
Politique

En Afrique, à quoi servent (encore) les élections?

Des scrutins sans surprise, des Constitutions taillées sur mesure, des opposants muselés: la démocratie africaine tourne à la farce, soutenue ou tolérée par des alliés occidentaux soucieux de préserver leurs intérêts. Au grand dam des populations, notamment des jeunes.

Catherine Morand
Economie

Où mène la concentration folle de la richesse?

On peut être atterré ou amusé par les débats enflammés du Parlement français autour du budget. Il tarde à empoigner le chapitre des économies si nécessaires mais multiplie les taxes de toutes sortes. Faire payer les riches! Le choc des idéologies. Et si l’on considérait froidement, avec recul, les effets (...)

Jacques Pilet
Politique

Honte aux haineux

Sept enfants de Gaza grièvement blessés sont soignés en Suisse. Mais leur arrivée a déclenché une tempête politique: plusieurs cantons alémaniques ont refusé de les accueillir, cédant à la peur et à des préjugés indignes d’un pays qui se veut humanitaire.

Jacques Pilet
Economie

Le secret bancaire, un mythe helvétique

Le secret bancaire a longtemps été l’un des piliers de l’économie suisse, au point de devenir partie intégrante de l’identité du pays. Histoire de cette institution helvétique, qui vaut son pesant d’or.

Martin Bernard
Sciences & Technologies

Des risques structurels liés à l’e-ID incompatibles avec des promesses de sécurité

La Confédération propose des conditions d’utilisation de l’application Swiyu liée à l’e-ID qui semblent éloignées des promesses d’«exigences les plus élevées en matière de sécurité, de protection des données et de fiabilité» avancées par l’Administration fédérale.

Solange Ghernaouti
Santé

L’histoire des épidémies reste entourée de mystères et de fantasmes

Les virus n’ont pas attendu la modernité pour bouleverser les sociétés humaines. Dans un livre récent, les professeurs Didier Raoult et Michel Drancourt démontrent comment la paléomicrobiologie éclaire d’un jour nouveau l’histoire des grandes épidémies. De la peste à la grippe, du coronavirus à la lèpre, leurs recherches révèlent combien (...)

Martin Bernard
Sciences & Technologies

La neutralité suisse à l’épreuve du numérique

Face à la domination technologique des grandes puissances et à la militarisation de l’intelligence artificielle, la neutralité des Etats ne repose plus sur la simple abstention militaire : dépendants numériquement, ils perdent de fait leur souveraineté. Pour la Suisse, rester neutre impliquerait dès lors une véritable indépendance numérique.

Hicheme Lehmici
Politique

Les poisons qui minent la démocratie

L’actuel chaos politique français donne un triste aperçu des maux qui menacent la démocratie: querelles partisanes, déconnexion avec les citoyens, manque de réflexion et de courage, stratégies de diversion, tensions… Il est prévisible que le trouble débouchera, tôt ou tard, sous une forme ou une autre, vers des pouvoirs autoritaires.

Jacques Pilet
Sciences & Technologies

Identité numérique: souveraineté promise, réalité compromise?

Le 28 septembre 2025, la Suisse a donné – de justesse – son feu vert à la nouvelle identité numérique étatique baptisée «swiyu». Présentée par le Conseil fédéral comme garantissant la souveraineté des données, cette e-ID suscite pourtant de vives inquiétudes et laisse planner la crainte de copinages et pots (...)

Lena Rey
Santé

Le parlement suisse refuse de faire baisser les coûts de la santé

Chaque année, à l’annonce de l’augmentation des primes d’assurance maladie, on nous sert comme argument l’inévitable explosion des coûts de la santé. Or ce n’est pas la santé qui coûte cher, mais la maladie! Pourtant, depuis des années, une large majorité de parlementaires rejette systématiquement toute initiative en lien avec (...)

Corinne Bloch
Politique

Le déclassement géopolitique de la Suisse est-il irréversible?

Même s’il reste très aléatoire de faire des prévisions, il est légitime de se demander aujourd’hui ce que nos descendants, historiens et citoyens, penseront de nous dans 50 ans. A quoi ressemblera la Suisse dans un demi-siècle? A quoi ressembleront l’Europe, si elle n’a pas été «thermonucléarisée» entre-temps, et le (...)

Georges Martin
Philosophie

Une société de privilèges n’est pas une société démocratique

Si nous bénéficions toutes et tous de privilèges, ceux-ci sont souvent masqués, voir niés. Dans son livre «Privilèges – Ce qu’il nous reste à abolir», la philosophe française Alice de Rochechouart démontre les mécanismes qui font que nos institutions ne sont pas neutres et que nos sociétés sont inégalitaires. Elle (...)

Patrick Morier-Genoud
Politique

La stratégie de Netanyahu accélère le déclin démocratique d’Israël

Le quotidien israélien «Haaretz» explique comment l’ancien Premier ministre Naftali Bennett met en garde les forces de sécurité et les fonctionnaires contre une possible manipulation du calendrier électoral et la mainmise de Netanyahu sur l’appareil sécuritaire.

Patrick Morier-Genoud
Culture

Une claque aux Romands… et au journalisme international

Au moment où le Conseil fédéral tente de dissuader les cantons alémaniques d’abandonner l’apprentissage du français au primaire, ces Sages ignorants lancent un signal contraire. Il est prévu, dès 2027, de couper la modeste contribution fédérale de 4 millions à la chaîne internationale TV5Monde qui diffuse des programmes francophones, suisses (...)

Jacques Pilet