Que reste-t-il de mes amours?

Publié le 28 juin 2018

La quête 2.0 de l’âme sœur promet bien des embûches. – © 2018 Bon pour la tête

Non, Tinder, ce n’est pas que pour les plans cul. De plus en plus de gens y cherchent l’âme sœur. Moi, par exemple. Laissez-moi vous raconter…

Ce soir-là, je me suis rendue dans un restaurant d’Yverdon. C’était un dimanche, vers 21 heures.

Benito* et moi venions de «matcher» quelques heures auparavant. Le feeling était passé immédiatement par écrit. J’avais apprécié la spontanéité avec laquelle il avait accepté ma proposition tardive, sur un coup de tête. Après tout, chaque profil recèle son lot de possibilités, de promesses en suspens. Tout habitué de rencontres virtuelles vous dira qu’il vaut mieux organiser un rendez-vous au plus vite plutôt que de se laisser dériver pendant des jours dans une mare d’illusions.

… Parce que les mots, on leur fait dire ce que l’ont veut….

La dernière fois que je n’ai pas pu rencontrer mon match immédiatement, je me suis retrouvée à m’inventer un truc avec un enseignant pulliéran pendant une semaine. Nous étions tous les deux sûrs de notre coup et la baffe de la désillusion nous a surpris autant l’un que l’autre. Je n’ai d’ailleurs toujours pas compris comment j’avais pu développer une telle complicité avec quelqu’un par écrit, alors que l’alchimie était complètement inexistante en personne. Mieux vaut utiliser l’application comme un point de convergence et passer directement au réel, donc.

Un mouvement de doigt, et hop! Une rencontre! © 2018 Bon pour la tête

 

En «vrai», Benito était plutôt charmant, malgré son côté bourru et sa verve bruyante. Nous avons débuté ce dialogue de deux inconnus feignant avoir une bonne raison de se retrouver face à face, tentant de reprendre les prémices de conversations lancées par écrit, à propos de qui nous étions et de ce que nous voulions, le plus naturellement du monde. Aucun de nous n’avait particulièrement envie d’assumer le statut de «candidat d’appli-réalité». Tandis que Benito vociférait en énumérant les odieux traits de caractère de sa dernière prétendante virtuelle, qui avait eu l’outrecuidance de ne pas lui accorder le crédit qu’il s’accorde à lui-même, je me suis aperçue que le couple derrière nous n’en était en fait pas encore un, exactement pour les mêmes raisons.

Droit au but

Je me suis inscrite sur Tinder en 2014, séduite par son côté instantané, sa gratuité et sa simplicité d’utilisation. Contrairement aux sites de rencontres basiques, où l’on planche pendant des semaines sur ce que l’on va écrire sur notre profil, Tinder est plus immédiat. Plus concret. Jusqu’à nous décomplexer de nos vices. La beauté intérieure peut-elle compter plus que la beauté extérieure lorsqu’on utilise internet? Tinder met un terme à l’hypocrisie. Cela nous renvoie à nos instincts primaires. C’est plus direct. Arrêtons de nous mentir. La personne de l’autre côté de l’écran ne nous plaira seulement si elle répond à certains critères. Et cette immédiateté réduit drastiquement les possibilités de tomber sur des faux profils ou des mythomanes, puisqu’il ne s’agit pas d’être séduit par ce qu’on lit ou ce que l’on peut parfois fantasmer à propos d’une personne.

J’avais commencé par des sites de chats lesbiens, mais ils étaient trop simplistes. J’ai envisagé «Meetic», ou autres «Adopte un mec», mais j’ai un peu de mal avec ce genre de concept dont le nom sacralise le sexisme le plus total, en toute impunité. Le site «Adopte une femme» déclencherait d’emblée une polémique si quelqu’un se risquait à le fonder.

L’appli est en train de se débarrasser de sa réputation de vivier à plan culs. La peur de la solitude aura fini par l’emporter sur la soif de sexe.

C’est donc Tinder qui m’a semblé le mieux convenir à ma quête. Il faut dire que l’appli est en train de se débarrasser de sa réputation de vivier à plan culs. La peur de la solitude aura fini par l’emporter sur la soif de sexe. Ceux qui ne sont là que pour s’amuser sont désormais obligés de l’annoncer d’emblée. Histoire de gagner du temps. De plus en plus de profils se déclarent «à la recherche de quelque chose de sérieux» et les rencards «tinderisés» n’ont désormais plus grand chose de différent des autres. Puisqu’il est désormais accepté socialement d’avoir recours à ce genre de site afin de trouver l’amour, la marginalité est devenue la norme et les couples qui sont nés virtuellement sont de plus en plus fréquents. Contrairement aux petites annonces, Tinder ne regroupe pas une communauté bien définie et permet un certain brassage social qui décuple l’intérêt de la découverte.

Si les responsables de la communication de l’application fondée en 2012 sont restés sourds à mes demandes de détails concernant les chiffres et les statistiques des utilisateurs, le nombre d’abonnés est estimé à 50 millions dans 196 pays, à raison de 10 millions d’utilisateurs quotidiens. Les différents chiffres que l’on peut trouver sur Internet évoquent 51% d’utilisateurs âgés de 18 à 24 ans, ainsi que seulement 54% d’utilisateurs célibataires. Tinder est entrée en bourse en 2015, mais sa valeur fait l’objet de spéculations, puisque les dirigeants sont extrêmement discrets et ne communiquent sur les chiffres que très rarement.

 

Rapidement, les rencontres s’organisent. © 2018 Bon pour la tête

Quatre ans de Tinder, donc, avec des périodes d’absence et d’autres de pratique intense, à égrainer les profils dans l’espoir de tomber sur «le bon». J’ai dû rencontrer des dizaines de personnes, mais mon activité sexuelle via l’application se résume pour l’instant à deux femmes et neuf hommes en quatre ans. Je ne suis tombée amoureuse d’aucun d’entre eux, malheureusement, mais je suis parvenue à développer plusieurs amitiés sincères qui ont profondément marqué mon existence.

Avec Benito, on avait voulu laisser faire l’alchimie, mais il était parfaitement évident autant pour lui que pour moi que l’association de nos deux personnalités nous menait droit au désastre. Nous étions trop différents. Et même si j’ai essayé de faire semblant d’être la femme qu’il recherchait pendant quelques temps, j’ai fini par laisser tomber.A 29 ans, j’ai l’allure d’une gamine, la coiffure d’un Pokémon et je suis strictement incapable de draguer quelqu’un décemment sans avoir l’air ridicule, ou désespérée. En particulier face à face. La séduction est un art qui m’est totalement étranger. J’en connais les règles, mais leur application me pétrifie littéralement. J’ignore pourquoi. Cependant, j’aime à penser que cette maladresse candide n’est pas complètement rédhibitoire.

Pragmatisme contre romantisme

Les connexions entre les êtres, le désir fulgurant qui peut nous animer parfois en la présence d’une personne, sont difficilement explicables. Et cette part de mystère ajoute au charme de l’expérience. J’aurais du mal à donner une forme à ce que je recherche. J’aime les hommes grands, plus âgés – rien n’est plus séduisant que les marques physiques du temps –, qui dégagent autant de douceur que de fermeté. Qui n’ont pas peur d’assumer leur côté féminin, leur sensualité et dont les yeux se font le miroir d’une certaine profondeur. Des êtres qui font vibrer nos entrailles d’un simple regard. Qui nous troublent tant qu’on se retrouve subitement amputé de notre capacité de réflexion. Qui nous transforment instantanément en espèce de midinette écervelée, tout en élisant domicile dans nos dernières pensées disponibles. Et c’est rare. Vraiment! Cette incandescence, ce bouillonnement intérieur que l’autre, un certain autre, déclenche en nous… même si ça ne dure qu’un instant, même si ça ne mène nulle part, ne vit-on pas que pour ces moments de volupté intense, de totale déraison?

Ma fréquentation des applications de rencontre ne m’aura donc pas amputée de mon romantisme…

Pendant une période, j’avais organisé mon emploi du temps en fonction de ces rencontres, au rythme d’une tous les soirs, persuadée que j’allais finir par débusquer mon âme sœur au détour d’un «swipe». C’était toujours les mêmes manœuvres, toujours le même discours et les sujets de conversation variaient en fonction du moment, du lieu, ou de la quantité d’alcool. Mais elles se terminaient toujours de la même manière. Il y avait toujours quelque chose pour réduire à néant mes rêves de belle histoire.

Après tout, n’aurions-nous pas tous préféré ne pas avoir à en arriver là? Qui ne rêve pas de tomber amoureux en tenant une porte, en croisant un regard, et que tous les éléments soient réunis pour que cela fonctionne? Alors, si on a fait le sacrifice de ça, c’est qu’il y a forcément une raison.

 Les prétendants se suivent et les déceptions se ressemblent. © 2018 Bon pour la tête

 

Certains veulent «se remettre sur le marché» après un divorce ou une séparation douloureuse et donc, fatalement, ne sont pas prêts pour une relation. Ils se retrouvent à essayer «ce truc» dont un ami leur a parlé. Ils se sont «inscrit pour rigoler» quand ils étaient «un peu bourrés».

Il y a les fraîchement débarqués d’une contrée (pas si) lointaine qui sont là en touristes pour se faire de nouveaux amis. Et puis il y a les vrais touristes. Tinder fonctionne avec la géolocalisation, ce qui permet de voir le profil des gens inscrits dans un périmètre kilométrique plus ou moins large. Pour quelques francs par mois, l’option «Tinder Plus» permet même d’anticiper une position géographique afin de feuilleter son futur entourage en amont. Pratique.

Il y a ceux qui s’inscrivent pour emmerder leur ex. Ceux qui sont déjà en couple mais n’ont pas le courage de quitter leur tendre moitié sans l’avoir substituée par une autre. Et puis il y a ceux qui le font pour booster leur égo.

L’un des principaux intérêts de l’application est de permettre de sortir de son cercle. D’être mis en contact avec des gens tellement éloignés de notre petite galaxie personnelle, qu’une rencontre hasardeuse aurait été quasi impossible autrement. Ainsi, je me suis retrouvée à découvrir les fantasmes pervers d’un maçon, les talents culinaires d’un journaliste, à faire des balades en voiture avec un sculpteur, des escape rooms avec un chirurgien, je suis partie en voyage avec un concepteur Web et j’ai fini par vivre en colocation avec une caissière.

Si elles n’ont pas encore eu raison de ma persévérance, toutes ces rencontres ont tout de même altéré mes espoirs. Cette recherche de l’âme sœur, qui a fini par ressembler à une recherche du dernier micro-ondes à la mode – sur catalogue – ne se déroule pas sans un fort sentiment de frustration que le test ne soit pas probant. Et, malheureusement, il n’y a pas de garantie contre la déception.

 

*identité connue de la rédaction

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