Promettre le minimum vital et payer la misère

Publié le 10 octobre 2018

Une nouvelle étude menée par Public Eye et Clean Clothes (campagne internationale) montre que de nombreux employés travaillant chez les fournisseurs de H&M vivent bien en dessous du seuil de pauvreté, alors que le groupe de mode leur avait promis un salaire au minimum vital pour 2018. – © DR

Dysfonctionnement chez les fournisseurs d’H&M: dans ses usines de production bulgares, le personnel gagne moins d’un dixième du minimum vital. La situation n'est pas plus réjouissante en Turquie, au Cambodge ou en Inde.


Un article original de Infosperber

Une traduction de Diana-Alice Ramsauer


En vendant des habits bon marché, le groupe de mode suédois H&M réussit à faire chaque année des milliards de bénéfice. Le résultat net de l’année dernière a d’ailleurs été de 1,63 milliard d’euros. Ce ne sont pourtant pas les employés engagés dans la production qui en profitent: ils travaillent pour un salaire de misère et doivent faire d’innombrables heures supplémentaires pour survivre.

Une nouvelle étude menée par Public Eye et Clean Clothes (campagne internationale) montre que de nombreux employés travaillant chez les fournisseurs de H&M vivent bien en dessous du seuil de pauvreté, alors que le groupe de mode leur avait promis un salaire au minimum vital pour 2018. Dans les entreprises qui ont fait l’objet de l’étude, les employé-es ne gagnent pas assez (et de loin pas!) pour payer leur nourriture, leurs vêtements, leur logement, leurs médicaments et l’éducation de toute leur famille.

En comparaison, les travailleurs et travailleuses des fournisseurs au Cambodge gagent moins de la moitié d’un salaire considéré comme vital (ou «de subsistance»). En Inde et en Turquie, il s’agit d’environ un tiers. Et en Bulgarie la situation est tout simplement catastrophique: après une semaine de travail complète, un-e employé-e n’a même pas un dixième de ce dont il/elle aurait besoin pour vivre.

© Public Eye

L’étude s’est faite au travers de sondages auprès des travailleurs et travailleuses actives dans la production en Bulgarie, en Turquie, en Inde et au Cambodge. Tous et toutes les employé-es interrogé-es travaillent dans l’une des sociétés phare d’H&M, que le groupe qualifie lui-même de «Fournisseurs privilégiés et stratégiques» avec un statut «Gold» ou «Platinium» (NDLR: c’est-à-dire des fournisseurs importants)

44 heures supplémentaires par semaine

Cela doit sonner comme une insulte pour les employé-es. En effet, pour gagner le minimum vital, ils/elles doivent alors faire un nombre d’heures supplémentaires impressionnant, comme le raconte une employée d’une usine H&M Gold en Inde. «Nos salaires sont si bas que nous devons faire des heures supplémentaires pour couvrir nos besoins fondamentaux». Dans trois des six usines sondées, les heures supplémentaires dépassent souvent le maximum permis par la loi. «Nous entrons à l’usine à 8h du matin, mais nous ne savons jamais quand nous pourrons en ressortir. Parfois, il est 4h du matin», rapporte une couturière bulgare de l’usine Koush Moda, également fournisseur «Gold» chez H&M.

Malgré le nombre d’heures supplémentaires élevé, plusieurs personnes interrogées en Inde ne perçoivent pas le minimum légal – un salaire de toute manière à peine suffisant pour vivre. Dans l’usine de textile bulgare Koush Moda, les travailleurs et travailleuses faisaient en moyenne 44 heures supplémentaires par semaine au moment où l’étude était menée. Parfois ils/elles travaillaient jusqu’à 24 heures de suite. Sans ces heures en plus, ils/elles gagnent à peine 100 euros par mois – à peu près la moitié du salaire minimum légal. Pourtant, même avec des semaines de 84 heures, ils/elles ne perçoivent qu’un salaire de misère: 259 euros – un revenu mensuel inférieur au seuil de pauvreté en Bulgarie.

La promesse d’H&M d’offrir d’ici à 2018 et dans toutes les usines Gold et Platinium un «salaire digne» pour les quelque 850’000 travailleurs et travailleuses comprenait également le renforcement des syndicats dans les usines, afin qu’ils puissent se battre eux-mêmes pour de meilleurs salaires. Toutefois, comme le montrent les enquêtes actuelles sur place, le travail syndical est toujours bloqué dans certaines usines. En Turquie, en Bulgarie et au Cambodge, les travailleurs et travailleuses répondaient aux questions sur leur travail avec retenue, par peur de se faire licencier ou d’essuyer des représailles.

Pourtant, ce n’est ni aux couturières et couturiers, ni aux syndicats, ni même aux gouvernements des pays fournisseurs de veiller à ce que les entreprises d’habits payent dignement leurs employé-es. En l’occurrence, il est du devoir d’H&M de le faire en tant que client. Clean Clothes Campaign ainsi que Public Eye exigent donc qu’H&M «assume enfin ses responsabilités. Au-delà des effets d’annonce et des beaux slogans publicitaires, la firme doit prendre des mesures concrètes pour garantir le versement d’un salaire vital dans sa chaîne d’approvisionnement». Pour cela, le groupe suédois a besoin d’un plan de mesures contraignantes assorti d’objectifs à échéances précises quant au montant et à l’échelonnage de l’augmentation des salaires.

S’abonner
Notification pour
0 Commentaires
Le plus ancien
Le plus récent Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires

À lire aussi

Politique

A confondre le verbe et l’action, on risque de se planter

De tout temps, dans la galerie des puissants, il y eut les taiseux obstinés et les bavards virevoltants. Donald Trump fait mieux. Il se veut le sorcier qui touille dans la marmite brûlante de ses colères et de ses désirs. Il en jaillit toutes sortes de bizarreries. L’occasion de s’interroger: (...)

Jacques Pilet
Philosophie

Notre dernière édition avant la fusion

Dès le vendredi 3 octobre, vous retrouverez les articles de «Bon pour la tête» sur un nouveau site que nous créons avec nos amis d’«Antithèse». Un nouveau site et de nouveaux contenus mais toujours la même foi dans le débat d’idées, l’indépendance d’esprit, la liberté de penser.

Bon pour la tête
Politique

Les fantasmes des chefs de guerre suisses

Il arrive que le verrou des non-dits finisse par sauter. Ainsi on apprend au détour d’une longue interview dans la NZZ que le F-35 a été choisi pas tant pour protéger notre ciel que pour aller bombarder des cibles à des centaines, des milliers de kilomètres de la Suisse. En (...)

Jacques Pilet
PolitiqueAccès libre

PFAS: un risque invisible que la Suisse préfère ignorer

Malgré la présence avérée de substances chimiques éternelles dans les sols, l’eau, la nourriture et le sang de la population, Berne renonce à une étude nationale et reporte l’adoption de mesures contraignantes. Un choix politique qui privilégie l’économie à court terme au détriment de la santé publique.

Politique

L’identité numérique, miracle ou mirage?

Le 28 septembre, les Suisses se prononceront à nouveau sur l’identité numérique (e-ID). Cette fois, le Conseil fédéral revient avec une version révisée, baptisée «swiyu», présentée comme une solution étatique garantissant la souveraineté des données. Mais ce projet, déjà bien avancé, suscite des inquiétudes quant à son coût, sa gestion, (...)

Anne Voeffray
Politique

Démocratie en panne, colère en marche

En France, ce n’est pas tant le tourniquet des premiers ministres et la détestation de Macron qui inquiètent, c’est le fossé qui se creuse entre la société et le cirque politicien, avec son jeu d’ambitions qui paralyse le pays. Le tableau n’est guère plus réjouissant en Allemagne, en Grande-Bretagne, en (...)

Jacques Pilet
Politique

Le voyage chahuté d’Ursula

Il est fait grand bruit autour d’une fable alarmiste, d’un incident minuscule lors du vol de la présidente de la Commission européenne entre la Pologne et la Bulgarie: la perturbation du GPS attribuée à la Russie et facilement surmontée comme cela est possible sur tous les avions. Quasiment rien en (...)

Jacques Pilet
EconomieAccès libre

Nos médicaments encore plus chers? La faute à Trump!

En Suisse, les médicaments sont 50 à 100 % plus coûteux que dans le reste de l’Europe. Pourtant, malgré des bénéfices records, les géants suisses de la pharmaceutique font pression sur le Conseil fédéral pour répercuter sur le marché suisse ce qu’ils risquent de perdre aux Etats-Unis en raison des (...)

Christof Leisinger
Politique

Le trio des va-t-en-guerre aux poches trouées

L’Allemand Merz, le Français Macron et le Britannique Starmer ont trois points communs. Chez eux, ils font face à une situation politique, économique et sociale dramatique. Ils donnent le ton chez les partisans d’affaiblir la Russie par tous les moyens au nom de la défense de l’Ukraine et marginalisent les (...)

Jacques Pilet
PolitiqueAccès libre

Microsoft s’enrichit sur le dos des Palestiniens

Selon des révélations étayées par des sources issues de la multinationale américaine et des services secrets israéliens, un cloud spécial a été mis en place pour intercepter les communications de millions de Palestiniens. Des données qu’Israël utilise pour mener sa guerre de représailles ethniques dans la bande de Gaza et (...)

Bon pour la tête
Politique

La géopolitique en mode messianique

Fascinés par le grand jeu mené à Anchorage et Washington, nous avons quelque peu détourné nos regards du Moyen-Orient. Où les tragédies n’en finissent pas, à Gaza et dans le voisinage d’Israël. Où, malgré divers pourparlers, aucun sursis, aucun accord de paix ne sont en vue. Où un nouvel assaut (...)

Jacques Pilet
PolitiqueAccès libre

Pourquoi les Etats-Unis n’ont-ils pas encore interdit TikTok?

L’an passé, le congrès américain a décidé que le réseau social devait être interdit s’il restait en mains chinoises, ceci afin d’éviter que les données des étatsuniens soient récupérées par Pekin. Il s’agissait prétendument d’une question de «sécurité nationale». Mais le président Trump a pour la troisième fois reporté l’interdiction, (...)

Urs P. Gasche
Politique

Les Européens devant l’immense défi ukrainien

On peut rêver. Imaginons que Trump et Poutine tombent d’accord sur un cessez-le-feu, sur les grandes lignes d’un accord finalement approuvé par Zelensky. Que feraient alors les Européens, si fâchés de ne pas avoir été invités en Alaska? Que cette hypothèse se confirme ou pas, plusieurs défis controversés les attendent. (...)

Jacques Pilet
EconomieAccès libre

Comment la famille Trump s’enrichit de manière éhontée

Les deux fils du président américain viennent de créer une entreprise destinée à être introduite en bourse afin de profiter de subventions et de contrats publics de la part du gouvernement fédéral dirigé par leur père.

Urs P. Gasche
Politique

Trouver le juste cap dans la tempête

La tornade qui, en Europe, s’est concentrée sur la Suisse nous laisse ébaubis. Le gros temps durera. Ou s’éclaircira, ou empirera, selon les caprices du grand manitou américain. Les plaies seront douloureuses, la solidarité nécessaire. Il s’agira surtout de définir le cap à suivre à long terme, à dix, à (...)

Jacques Pilet
Culture

Des nouvelles de la fusion de «Bon pour la tête» avec «Antithèse»

Le nouveau site sera opérationnel au début du mois d’octobre. Voici quelques explications pour nos abonnés, notamment concernant le prix de l’abonnement qui pour eux ne changera pas.

Bon pour la tête