Pajak dans le siècle

Publié le 18 décembre 2019
Point n’est besoin de présenter Frédéric Pajak. L’un de nos écrivains les plus talentueux et surtout les plus originaux. Encore que ce terme d’écrivain ne s’applique guère à ce fils de peintre. Est par trop réducteur s’agissant de son travail qui mêle écriture et dessin. N’a-t-il pas créé, il y a bientôt 20 ans, la maison d’édition Les Cahiers dessinés? Mais surtout il y a les 8 volumes – il y en aura 9 au total – de son Manifeste Incertain, qui lui ont valu rien moins que le Prix Médicis de l’essai et le Prix Goncourt de la biographie.

C’est en 2012 qu’est paru le premier tome de cette suite de livres dessinés. Je dis dessinés et non pas illustrés, car chez Pajak, l’image, le dessin d’une extraordinaire virtuosité et d’une prodigieuse force graphique, n’est jamais une simple démarcation du texte, mais se veut plutôt un contrepoint. Tantôt le complétant tantôt lui répondant, dans un rapport quasi dialectique. Quant à ce qui nous est raconté dans ce Manifeste incertain, qui est proprement inclassable, les catégories habituelles conviennent mal. On se tient ici autant du côté de l’autobiographie et des mémoires que du portrait, du récit ou de la chronique. En l’occurrence celle du siècle – essentiellement le XXe – vu à travers le destin de quelques-unes de ses figures souvent tragiques. 
Dans cette entreprise, qui conjugue donc plusieurs genres, plusieurs dimensions, il y a quelque chose de l’œuvre d’art totale. A l’exemple de son géniteur, Jacques Pajak (1930-1965), mort très jeune dans un accident de voiture alors que Frédéric – il me permettra de l’appeler par son prénom, nous nous connaissons un peu – n’avait que 9 ans. Ce père artiste, qui demeure constamment présent, ainsi qu’il l’explique dans l’ouvrage d’entretiens que lui a consacré Christophe Diard, et qui «rêvait, dit-il, d’un art total, où se mêleraient dessin, peinture gravure, photographie, cinéma, poésie, roman, théâtre, opéra, musique, danse.» Sans doute en est-il resté quelque chose dans le travail du fils.
Réunir écriture et dessin est une idée déjà ancienne, remontant à l’enfance de l’auteur. Son premier livre dessiné, Frédéric l’a réalisé quand il avait 6 ans. Et depuis il n’a plus lâché ses crayons, ses fusains et ses plumes. Car, bien avant le Manifeste incertain, il a publié, comportant déjà des dessins, Martin Luther, l’inventeur ...

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