Noémie Schmidt: «J’attends toujours que l’affaire Weinstein ébranle réellement le milieu du cinéma européen»

Publié le 24 juin 2019
Jeune comédienne sédunoise de 28 ans, Noémie Schmidt a fait ses études à Bruxelles avant d'aller s'installer à Paris pour le bien de sa carrière. Elle a notamment donné la réplique à Claude Brasseur et Dany Boon et tient l'un des rôles principaux du film Netflix «Paris est à nous», sorti en début d'année.

Vous sentez-vous concernée par le combat des femmes pour plus d’égalité, qui s’est notamment exprimé par la grève du 14 juin?

Profondément concernée. Pas seulement pour moi et ma condition de femme comédienne, mais également pour toutes les femmes que j’aime, et pour celles que je ne connais pas et qui subissent des injustices. Je me sens concernée également pour les hommes, qui souffrent sur un autre plan tout autant que les femmes, du patriarcat et des injonctions à la virilité/féminité que la société et la culture font peser sur nous. 

Pourquoi est-ce que cette grève ne s’est-elle déroulée qu’en Suisse? Pensez-vous que le pays a du retard à rattraper?

Je ne sais pas. Pour certains aspects concrets que je connais, c’est possible. Par exemple au niveau du congé paternité, coincé à un ridicule jour, et qui du coup empêche un partage plus équitable des tâches liées à l’enfant. Mais il est difficile d’estimer et de hiérarchiser les injustices. Je pense que le problème est global, sociétal, pour l’humanité dans son ensemble. Ce qui est étonnant, c’est que la Suisse n’est pas un pays syndicaliste traditionnellement, contrairement à la France, plus habituée aux grèves, et qui pourtant n’a jamais vécu de grève de femmes de cette ampleur. Après, il faut redéfinir le concept de grève. Dans le cas de la Suisse, la grève du 14 juin est plus une mobilisation qu’une grève à proprement parler. Si c’était une vraie grève au sens précis du terme, en tant que levier économique ET symbolique, les femmes n’auraient pas travaillé du tout de la journée, sans avoir à demander congé. 

Pourquoi avoir choisi de développer votre carrière à l’étranger plutôt que dans votre pays d’origine? Considérez-vous que les opportunités sont à ce point faibles en Suisse? Que ce soit pour les hommes tant que pour les femmes?

La question du choix est une question que je ne finirai jamais de développer et de questionner. Je ne sais pas dans quelle mesure on choisit vraiment quoi que ce soit dans la vie. Ma vie et mon début de carrière sont un ensemble de rencontres, d’opportunités, fruit du hasard, de la chance, de l’énergie que je donne à ma vie et à mon travail, des valeurs que je porte. La vie m’a menée en France aujourd’hui mais je ne l’ai pas réfléchi stratégiquement. Si des opportunités s’ouvrent ailleurs, j’irai où il faudra, où je sentirai qu’il faut que j’aille. 

Avez-vous noté des différences flagrantes sur le plan de l’égalité?

Entre la Suisse et la France? Non, pas spécialement. Il y a surement des différences, mais je n’ai pas d’exemple concret de différences entre les deux pays à ce niveau. Dans les deux cas, les femmes subissent des inégalités. 

Le récent soulèvement général des femmes a notamment été déclenché par le scandale #metoo qui a ébranlé le monde du cinéma. Que pouvez-vous dire à ce propos?

J’attends toujours que l’affaire Weinstein ébranle réellement le milieu du cinéma européen, de manière concrète et punitive. Il y a eu des plaintes, mais très peu de condamnations. Je pense que c’est lié à la culture du viol qui minimise la parole de la victime, et au fait que, dans le cinéma, il y a beaucoup d’argent et donc de pouvoir. Il est difficile de mettre en cause des personnes haut placées et puissantes. C’est la même dynamique en politique. Je suis témoin de comportements inacceptables tous les jours. Abus de pouvoir, injonction à la séduction permanente, objectification du corps de la femme, menaces, propos déplacés, gestes déplacés. Les femmes sont aussi parfois garantes, tout autant que les hommes, de cette hiérarchie et de ce patriarcat qui transpire partout, et pas seulement dans le cinéma mais dans tous les métiers, tous les milieux.  

Justement, dans de tels métiers (ceux d’actrice et d’égérie), l’apparence tient une place prépondérante. Comment jongle-t-on entre la nécessité d’être désirable et la lutte contre l’objectification du corps de la femme? Les deux ne sont-ils pas incompatibles?

En tant qu’actrice et égérie (du parfum Mademoiselle, de Rochas, ndr), la réponse que je tente d’apporter à cette problématique est le fait de ne jamais me considérer juste comme une image. J’essaie de faire les choses avec profondeur, intelligence, humanité, et je tente de rester en accord avec mes valeurs de la manière la plus entière possible. Dans mon cas, je ne considère pas que le fait d’être désirée et/ou désirable soit incompatible avec le fait de prôner des idées, être créative, inventive, respectueuse, professionnelle, engagée. 

Que dire sur le comportement des femmes entre elles? La compétition entre les femmes finit-elle par nuire à la cause égalitaire? Peut-on dire que la femme est une louve pour la femme?

La sororité est un concept qui me parle en tous les cas, et je suis favorable à l’idée de solidarité dans n’importe quel cas. Que ce soit entre hommes et femmes, femmes et femmes, riches et pauvres, nantis et exclus, etc. Les rapports de compétition qui peuvent exister entre les femmes sont pour moi le résultats de milliers d’années de patriarcat, de culture sexiste, genrée. Pour moi le genre n’existe pas, on apprend à devenir «homme» ou «femme». Chacun devrait avoir le droit de se sentir homme ou femme, indépendamment de son sexe de naissance. Je lutte pour que ces concepts sociétaux soient remis en question, pour plus de tolérance et de liberté sur la question du genre. Si l’on dépasse ces injonctions, les rapports de compétition se modifieront forcément. Je sais qu’on peut me traiter d’idéaliste, mais pour moi tout cela est très concret, très clair, même si en mouvement permanent, sans oublier que je parle d’une réflexion globale, pas d’une solution toute faite.


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