Moutier: un vote historique et des questions

Publié le 19 juin 2017
Moutier rejoindra le canton du Jura: événement ou péripétie? Tout dépend du point de vue. C'est la fête dans un camp, le désarroi dans l'autre. Et au-delà du Jura, une indifférence qui a ses causes.

Les Suisses, les Romands pas plus, ne se sont guère intéressés au référendum de Moutier. C’est tout le Jura qui se trouve éloigné des préoccupations lémaniques, valaisannes, fribourgeoises. Les Neuchâtelois, eux, s’en sentent plus proches.

On ne peut que se féliciter de voir aboutir ainsi un processus démocratique, avec une ville qui change de canton. Pas banal. On peut espérer que cette question qui ne cesse d’agiter cette partie du pays depuis plus d’un demi-siècle sera enfin réglée. Il est permis aussi d’en douter. A terme, d’autres communes du Jura bernois pourraient être tentées par ce saut.

Il y a du courage dans la décision des Prévôtois: le changement, d’ordinaire, fait peur. Mais la vague montait de loin. La ville était et reste divisée, mais l’élan séparatiste était plus fort que le poids des réticences et des rodomontades de l’UDC locale.

Les uns et les autres ont échangé des arguments matériels peu convaincants, tous ont évoqué la dimension identitaire et culturelle. Le choix de tous était émotionnel plus que réfléchi. Il en va ainsi de l’histoire.

Demain, il s’agira d’intégrer cette cité à son nouveau canton, l’ancien devra panser les plaies, maintenir les ponts et multiplier les égards à l’endroit du Jura bernois aujourd’hui rétréci et meurtri. Long parcours.

Malaise

Que la fête jurassienne soit belle. Mais qu’elle ne nous empêche pas d’exprimer aussi un malaise. Nombre d’habitants de Moutier résumaient ainsi leur position: nous parlons français, donc nous n’appartenons pas à Berne mais au Jura des Jurassiens. Ainsi l’idée est démodée qu’un canton peut être bilingue et riche de cette pluralité. C’est dans l’air du temps. D’autres régions séparatistes en Europe s’engloutissent dans cette obsession de marquer leur différence. C’est préoccupant. Pourquoi ? Lorsque les populations s’enflamment pour tel ou tel drapeau, elles s’éloignent des réalités.

Pour en revenir au Jura, faut-il rappeler qu’il est, au nord comme au sud, dans une situation économique plus que précaire. La désindustrialisation rampante mine ces territoires laborieux. Les impôts se sont envolés. Les charges sociales et sanitaires aussi. L’assiette fiscale, comme disent les experts, elle, ne croît plus.

Face à ces évolutions, le pouvoir des cantons, en dépit des beaux discours, est très restreint. Les mesures décisives sont prises au niveau de la Confédération. Ouverture ou non des frontières, infrastructures ferroviaires et routières, système de santé… C’est dans la Berne fédérale que tout se joue. Il y a de quoi modérer l’euphorie jurassienne.

Celle-ci a toute raison d’être au regard de l’histoire depuis 1815 (rattachement du Jura à Berne au congrès de Vienne), au regard d’une culture propre. Mais on peut souhaiter que celle-ci évolue dans la rencontre plus que dans la division. Avec Berne, avec Bâle, avec Neuchâtel, avec le Jura français. Le plus jeune des cantons peut rayonner, bien au-delà des vallons encore bernois qu’il convoite: à l’échelle d’une vaste région au destin largement commun.

S’abonner
Notification pour
0 Commentaires
Le plus ancien
Le plus récent Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires

À lire aussi

Accès libre

La question jurassienne, affaire réglée ou pas?

Pour le 50ème anniversaire du référendum décisif de 1974, le producteur et réalisateur Pierre-Alain Meier signe un documentaire en forme de montage d’archives qui retrace la longue lutte pour l’autonomie jurassienne. Instructif et polémique, à l’image des personnalités qu’il met en avant, «Sans Roland Béguelin & Marcel Boillat, pas de (...)

Norbert Creutz
Accès libre

La voix juste

Moutier va quitter le canton de Berne pour rejoindre celui du Jura. Le changement va être important et, une fois retombées les émotions de la votation, de nombreux enjeux se présentent. Moutier va devoir faire sa place dans son nouveau canton, tant politiquement qu’économiquement.

Daniel de Roulet interroge le passé

«L’Oiselier», le bref roman de l’auteur genevois et jurassien, ne manque pas d’audace. Il se nourrit de faits historiques, de personnages réels, et dans une démarche littéraire, donc imaginaire, tente d’éclairer les énigmes qui leur sont liées. Son propos est néanmoins clair: montrer comment l’autorité sait enfouir les zones d’ombre.

«Je n’ai pas grandi dans un ghetto, j’en suis reconnaissant au Jura et à la Suisse»

Il a d’abord été correspondant de l’Agence télégraphique suisse à Neuchâtel. Puis de l’Agence France Presse à Montevideo, en Uruguay, suivi d’un poste à Washington au sein de la même maison. Il est aujourd’hui basé au siège, à Paris. Le Jurassien Antonio Rodriguez, né en 1966 à Delémont de parents (...)

Accès libre

Le très discuté décret «piscine interdite aux étrangers» de la Ville de Porrentruy

Entendant lutter contre les incivilités dans le bassin municipal, la mairie ajoulote vient d’y interdire d’entrée les non-Suisses, une mesure visant principalement des jeunes de France voisine.

Accès libre

Le Jura bernois ne veut pas de Delémont? Alors ce sera Bienne

Moutier vient de décider par référendum son rattachement au canton du Jura. Quid, maintenant, du reste du Jura bernois? Dans le documentaire «Ici c’est Moutier» diffusé dimanche 28 mai par la RTS, le ministre jurassien Charles Juillard a gaffé en évoquant le sort de Roches. Cette commune, a-t-il dit, l’espérant (...)