Mesdames et Messieurs les désespérés, lâchez-nous les basques!

Publié le 31 décembre 2019
Les rétrospectives des télés sont cauchemardesques. On n’en finit pas de faire le tour des tragédies qui engloutissent tout espoir pour ce monde foutu. Des raisons avérées ou annoncées de s’alarmer sur l’avenir de la planète et de l’homo pas si sapiens, il y en a un paquet. Peu de monde les nie. C’est noté. Mais à cette dose, le concentré devient toxique. Parce qu’il tue cette composante humaine - devenue ringarde? - la joie de vivre. Quelques peuplades ignares, probablement plus des trois quarts de l’humanité, en manifestent encore les signes. Et se fichent du tintamarre. Buvons à leur santé et à la nôtre au passage de la nouvelle décennie.

Greta l’a dit devant les Nations Unies, le visage déformé par la fureur: «Les gens souffrent, ils meurent. Des écosystèmes entiers s’effondrent, nous sommes au début d’une extinction de masse, et tout ce dont vous parlez, c’est d’argent, et des contes de fées de croissance économique éternelle? Comment osez-vous!»

Pas sûr que les Africains, les Asiatiques et les Sud-Américains qui rêvent d’améliorer leur ordinaire applaudissent, mais peu importe, nous en prenons pour notre grade. En Suisse, nombre de jeunes lui emboitent le pas. Mais ce serait injuste de ne pas citer un célèbre vieux, fort fâché lui aussi, Jean Ziegler. Sur son terrain, il est aussi carré que la jeune Suédoise: «Le capitalisme doit être éliminé, détruit!» Qui dit mieux? Qui dit plus?
Il y a entre ces deux discours un trait commun: il n’est laissé aucune place à l’espoir. Plus question de rechercher des solutions et d’y oeuvrer. Les hurlements balaient la réflexion rationnelle. Jamais Greta et ses mentors n’ont un mot de sympathie pour toutes les intelligences qui phosphorent afin de trouver des issues scientifiques aux casse-têtes dénoncés. Jamais Ziegler ne dit ce qu’il veut mettre à la place du capitalisme. La révolution à la cubaine? Cher Jean, tu n’as vraiment rien d’autre à proposer au bout de ta colère?
Ces outrances qui balaient toute objection- il y en a bien d’autres, il est vrai, plus répandues et plus terrifiantes – vont en fait à l’encontre de l’esprit des Lumières, ce moment rare de la pensée qui mise sur la raison, sur la diversité des opinions, sur le savoir. Ce vent de liberté qui a soufflé et souffle encore un peu, au moins sur l’Europe, depuis le XVIIIème siècle. Cette insolence vivifiante que les Eglises n’ont pas réussi à faire taire. Avant, pour certaines d’entre elles (pas toutes), de s’en accommoder. Ce qui, soit dit en passant, afflige Michel Houellebecq. Ce désespéré-là estime, dans la Revue des Deux Mondes, que les Lumières ont constitué «une catastrophe civilisationnelle». Il n’est pas le seul à pourfendre l’héritage de Voltaire. A l’opposé des nostalgiques du catholicisme d’autrefois, à gauche, la science politique dite «post-coloniale» accuse cette période de libération intellectuelle d’eurocentrisme.
Vacillantes, les Lumières… Si l’on ajoute à cela le plus terrifiant, l’étendue du djihadisme, du fanatisme islamique, au Moyen-Orient et en Afrique, et à nos portes, avec tant de fadas illuminés et assassins, on a assez de raisons de s’alarmer.
Cela suffit. Pas besoin que l’hystérie ultra-écologiste prenne aussi une tournure religieuse, avec ses vindictes, ses excommunions, ses réticences face à la science, ses menaces d’enfer. Même avec une Madone touchante, cela devient lourd. Cette musique-là, on l’a trop entendue au fil des siècles. Amusant d’ailleurs de voir que des ultra-cathos s’inquiètent de cette concurrence sur le marché des religions. L’archevêque de Cracovie, Marek Jedraszewski, a descendu en flèche Greta Thumberg en la qualifiant d’ «oracle» essayant de « rompre avec toute la tradition chrétienne». Une Antéchrist inattendue!
Désespérés et hystériques, lâchez-nous les basques. Déjà pour des raisons esthétiques. Vos discours, pardon, témoignent d’une bien pauvre rhétorique. Dans le registre, on a connu mieux: avec Kafka, Cioran, Drieu la Rochelle, ou même Houellebecq, le désespoir a produit des trésors littéraires.
Et puis laissez-nous le plaisir – dont vous vous gaussez – d’imaginer des fenêtres sur la toile noire de nos peurs. Enfin, laissez-nous faire la fête. Vous la détestez si l’on n’y brandit pas des slogans. Ne serait-ce que pour cela, on a une diable d’envie de vous tourner le dos et de chercher nos jouissances loin de vos remontrances. Merci de mettre la sourdine, ne serait-ce qu’un jour, ne serait-ce qu’un an.

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