Louis Aragon – Entre clair et obscur, le vertige

Publié le 6 janvier 2023
Louis Aragon sortirait-il de son purgatoire littéraire, comme un ressuscité soulevant la dalle de son tombeau pour s’en extirper? Sautant sur l’occasion offerte par le 40e anniversaire de sa mort – le poète et romancier est décédé le 24 décembre 1982 – son dernier recueil vient d’être réédité chez Poésie/Gallimard: «Les Adieux et autres poèmes».

Le titre s’impose. Ce sont les ultimes poèmes qui marquent le point culminant de son œuvre d’une incomparable richesse, un pic qui surmonte un somptueux massif, pour paraphraser l’auteur de la remarquable préface, Olivier Barbarant.
Gallimard vient également de republier deux autres ouvrages: Persécuté Persécuteur qui n’avait plus été diffusé depuis sa sortie en 1931, et Les Chambres - Poème du temps qui ne passe pas, qui fut le dernier recueil d’Aragon publié de son vivant en 1969.
Fraîcheur matinale des poèmes de vieillesse
Poète majeur du XXe siècle, l’Aragon des dernières années démontre qu’il l’est aussi du XXIe. Pas une ride dans ses poèmes de vieillesse. Il s’y moque de lui-même sans pitié, tord ses vers pour en exprimer leur jus d’une fraîcheur matinale et son chant passe de l’harmonie au fil de l’eau à la discordance au cœur du brasier.
Poète de longue mémoire à la parole tombée de la dernière pluie.
Rossignol du Goulag mais pas que…
C’est entendu, Louis Aragon fut un Rossignol du Goulag, entré en communisme dès 1927, jusqu’à son décès à l’âge de 85 ans.
Impossible pour lui d’ignorer les crimes de Staline, introduit qu’il était dans la société moscovite par l’entremise de sa femme – la romancière et muse Elsa Triolet, née Kagan dans une famille de la bourgeoisie juive russe – et surtout de sa belle-sœur Lili Brik, épouse de l’écrivain Ossip Brik et amante du grand poète de la Révolution bolchévique, Vladimir Maïakovski. Ajoutons ses multiples voyages en URSS et sa parfaite maîtrise de la langue russe.
Manque de courage? Aragon n’en a jamais manqué. Il a fait, comme l’on disait jadis en frisant ses moustaches, «deux belles guerres» durant les conflagrations mondiales.
Résistant de la première heure
De plus, il fut un résistant de la première heure qui n’a pas at...

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