Les mystères insondables du soupir

Publié le 7 janvier 2019
Composant indissociable de notre système respiratoire, le soupir survient involontairement toutes les cinq minutes environ. Pourtant, ses déclencheurs ont longtemps constitué une énigme pour les scientifiques. Si nous sommes désormais capables de comprendre en quoi le soupir est indispensable et bénéfique pour nos poumons, ses causes psychologiques en lien avec notre état émotionnel restent un mystère.

Expiration ou inspiration plus ou moins forte et prolongée qui rétablit un équilibre respiratoire perturbé le plus souvent par une vive émotion. Soupir de contentement, de délivrance, de douleur, de gratitude, de regret, de soulagement; exhaler, pousser un soupir; énormes, longs, profonds soupirs. C’est ainsi que le Centre national de ressources textuelles et lexicales (CNRTL) définit le soupir. La palette d’émotions qu’il recouvre est variée et n’a, jusqu’ici, étonnamment pas beaucoup inspiré les chercheurs, qui préfèrent se concentrer sur ses causes physiologiques.

«Je connais bien le bâillement, qui est un mécanisme d’allure homéostatique (processus de régulation des constantes de l’organisme, ndlr),
 mais le soupir ne me paraît pas de cet ordre. Il doit s’agir purement d’une forme de langage non verbal d’apprentissage culturel, plus proche du langage que d’un comportement physiologique», explique le Docteur Olivier Walusinski, médecin généraliste qui a fait du bâillement sa marotte.

Cependant, une étude menée par l’université de Californie à Los Angeles (UCLA), en partenariat avec Stanford et publiée en 2016 dans la revue Nature, souligne le caractère vital du soupir. Il sert à rétablir l’activité des millions d’alvéoles situées dans les poumons, qui parfois se bloquent, et dont le rôle est de permettre les échanges gazeux entre l’organisme et l’air extérieur.

«Il n’y a quasiment aucune étude sur le sujet sur le plan psychologique.»

«Côté cerveau, le soupir c’est de la cuisine respiratoire. Il y a en gros un noyau de neurones dans une petite structure appelée complexe pré-Bötzinger dans le tronc cérébral, la partie la plus primitive du cerveau, explique Sebastian Dieguez, chercheur en neurosciences à l’université de Fribourg. C’est probablement un système de remise à zéro de la respiration, cela libère toutes les alvéoles des poumons d’un coup, et apparemment, en tout cas chez la souris, ça réactive le système d’éveil. Et c’est probablement nécessaire aussi quand on met quelqu’un sous assistance respiratoire.»

Et d’ajouter: «On ne sait pas vraiment comment ce système a été récupéré par d’autres fonctions, notamment émotionnelles, ni comment il est influencé par le contexte et la cognition (…) Il n’y a quasiment aucune étude sur le sujet sur le plan psychologique.»


Karl Halvor Teigen est professeur émérite à l’université d’Oslo. Il a conduit une expérience avec ses élèves afin de tenter d’expliquer les causes psychologiques du soupir. Cette étude, publiée en 2008 dans le Scandinavian Journal of Psychology, lui a valu de recevoir le prix IgNobel d’Harvard qui récompense les recherches improbables – qui font rire les gens avant de les faire réfléchir.

Amèle Debey: Comment expliquer le fait qu’il y ait si peu d’études abordant les causes émotionnelles du soupir? Est-ce donc un tel mystère pour les scientifiques?

Karl Halvor Teigen: «J’ai également été surpris par le manque d’études expérimentales du soupir chez l’être humain d’un point de vue psychologique. Les soupirs ont été étudiés sur le plan physiologique, puisqu’ils font partie intégrante de la respiration. J’étais en train de chercher un thème pour un cours de psychologie sociale expérimentale et j’ai pensé que le soupir était un bon candidat, puisque les étudiants n’auraient pas à faire un trop lourd travail de recherche en amont, mais pourraient au contraire analyser le phénomène en partant de la base.»

A quelle conclusion vos étudiants et vous êtes arrivés?

«Nous avons commencé par des questionnaires et des mises en situation. Nous avons notamment noté une différence: lorsque quelqu’un d’autre soupire, nous avons tendance à l’associer à de la tristesse. Tandis que lorsque je soupire (dans des situations similaires) j’ai plutôt tendance à l’associer à la frustration d’avoir failli à quelque chose ou à quelqu’un. Nous avons alors poursuivi sur ce chemin en donnant des puzzles insolvables aux cobayes, qui ont donc été confrontés à un échec après l’autre. La plupart d’entre eux ont soupiré, souvent à plusieurs reprises. Certains des participants soupiraient sans même s’en rendre compte.»

Selon vous, comment et pourquoi notre état émotionnel influe sur notre tendance à soupirer?

«En fait, nous n’avons pas besoin d’être bouleversé ou triste pour soupirer. Une équipe belge est arrivée à la conclusion que le soupir a plus à voir avec le fait de remettre à zéro le système respiratoire, lorsqu’il rencontre des irrégularités. Afin de recommencer à zéro lorsqu’on abandonne quelque chose (un espoir, une hypothèse, une personne, ou même une peur) et qu’on essaie de recommencer du début.»

Quelle pourrait-être la signification d’un soupir sur le plan psychologique?

«Des psychologues cliniciens m’ont dit interpréter les soupirs – lors d’une thérapie – comme le signe qu’un élément lié à l’émotionnel est sur le point de faire surface. Selon eux, les soupirs pourraient être associés à une forte anxiété latente. Je tiens cependant à préciser que je ne suis pas psychologue clinicien, je ne peux donc pas confirmer cette hypothèse. Je n’ai vu aucune étude empirique traitant du rôle du soupir en thérapie.»


Le fameux soupir qui s’échappe de nos poumons lorsque quelque chose nous ennuie, ou nous frustre, celui qui survient potentiellement plus régulièrement qu’une fois toutes les cinq minutes, en fonction du contexte, d’où vient-il? La question demeure…

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