Le poison qui tue la presse: la redondance

Publié le 12 juin 2018
Oui, quoi que l’on pense de ce titre, la disparition du «Matin» est un événement qui blesse la Suisse romande. Ce journal populaire est lu dans tous les cantons. Or, les médias qui font circuler informations et débats à travers cet espace se font plus rares. Chacun est invité à se recentrer peu à peu sur son horizon régional. Comme autrefois. Au-delà des arguments économiques cent fois rabâchés sur les raisons d’arrêter tel ou tel titre, éditeurs et journalistes pourraient s’interroger davantage sur la substance de leurs publications. A-t-elle évolué avec l’envahissement des gratuits et de l’internet? Par tradition, par habitude, les rédactions ne seraient-elles pas passées à côté de certaines attentes non dites du public? L’indignation et la solidarité s’imposent dans une telle situation, mais le moment est venu aussi de réfléchir plus avant. Notamment au phénomène des rédactions industrielles.

La presse dite de boulevard, tant décriée par les âmes sensibles – et hypocrites –, est un outil de liberté. Mais sous cette étiquette, tant de réalités différentes. Le Matin ne ressemble pas au Blick qui lance des campagnes, met en scène la politique avec panache, joue avec les émotions mais éclaire aussi des dossiers compliqués. Son cousin romand est plus «soft», comme on dit. Mais outre sa couverture remarquable du sport, il a su maintes fois raconter petites et grandes «affaires» avec une liberté de ton que les journaux «sages» avaient peine à trouver. Néanmoins, ses chances de survie ont fondu dès lors qu’apparut la puissante machine de 20minutes. Le gratuit, c’est autre chose. C’est la platitude absolue. La futilité érigée en système. Pas d’enquêtes, pas d’idées, pas d’émotions fortes non plus, ni coups de gueule ni coups de cœur. Un magma de nouvelles d’agences et de potins, un choix de faits divers minuscules et pasteurisés. A noter: les trois quarts des infos «people» sont nord-américaines, fournies précuites par les agences. Comme si c’était notre monde. Comme s’il manquait, près de chez nous, d’histoires et de personnages piquants.
Là, on ne peut plus parler de journalisme, tout juste d’un bruit de fond. Tout est passé à la moulinette de l’ultra-raccourci. Une forme de décervelage doux. On nous dit qu’aujourd’hui Le Matin survivra par le net. Espérons. Sans illusions; dans leur forme actuelle, ses pages électroniques ressemblent trop à celles de 20minutes pour lui laisser une réelle chance.
Sauter pour mieux reculer
Et là, on touche à un point crucial de l’évolution de la presse suisse. Les éditeurs ses sont mis en tête, il y a plusieurs années déjà, qu’il fallait, pour réduire les coûts et mieux utiliser les compétences, construire des «newsrooms», de gra...

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