Le plus grand arsenal américain est en Toscane

Publié le 21 septembre 2018

Le 9 octobre, le Liberty Pride (Orgueil de Liberté) fera escale à Livourne. Il transporte des chars d’assaut. – © DR

A la fin de la deuxième guerre mondiale les armées alliées ont occupé le continent européen. Depuis, la France et la Russie se sont retirées, tandis que les Etats-Unis et le Royaume Uni restent militairement présents en Europe. En prévision d’une guerre mondiale contre la Chine et la Russie, le Pentagone utilise depuis une année les nombreuses bases étasuniennes en Italie pour alimenter massivement son stock d’armes sur sol européen, bombes atomiques incluses.


Manilo Dinucci est géographe, auteur de L’Arte della guerra (Zambon, 2016). Son article, paru dans l’édition du 11 septembre de Il Manifesto, est diffusé par Rete Voltaire.


Le 8 août dernier, dans le port de Livourne, a fait escale le Liberty Passion (Passion pour la Liberté), suivi, le 2 septembre, par le Liberty Promise (Promesse de Liberté). Le 9 octobre, ce sera le tour du Liberty Pride (Orgueil de Liberté). Après avoir parcouru le globe, les trois navires seront de retour à Livourne, successivement le 10 novembre, le 15 décembre et le 12 janvier.

Il s’agit d’énormes navires Ro/Ro (Roll-On/Roll-Off, transports de véhicules, NDT), longs de 200 mètres, dotés de 12 ponts et pouvant chacun transporter 6500 automobiles. Ce ne sont pourtant pas des autos qu’ils transportent, mais des chars d’assaut. Ils font partie d’une flotte étasunienne de 63 navires appartenant à des compagnies privées qui, pour le compte du Pentagone, alimentent en continu le flux des armes entre les ports étasuniens, méditerranéens, moyen-orientaux et asiatiques.

Le Liberty Pride est chargé de chars d’assaut. © DR

Leur escale principale en Méditerranée est Livourne parce que le port de la ville toscane est relié à la base étasunienne de Camp Darby. Une base dont l’importance a été rappelée par le colonel Erik Berdy, commandant de la garnison en Italie de l’Armée des États-Unis, lors d’une récente visite au quotidien La Nazione de Florence.

Objectif: Syrie, Irak, Yémen

Cette base logistique, située entre Pise et Livourne, constitue le plus grand arsenal étasunien hors du pays. Le colonel n’a pas détaillé le contenu des 125 bunkers de Camp Darby. Mais celui-ci peut être estimé à plus d’un million de projectiles d’artillerie, bombes aéroportées et missiles, auxquels s’ajoutent des milliers de chars d’assaut, véhicules et autres matériels militaires. On ne peut pas exclure que la base ait abrité, abrite ou puisse dans l’avenir abriter des bombes nucléaires.

Camp Darby, a souligné le colonel, joue un rôle clé, en approvisionnant les forces terrestres et aériennes de l’US army dans des temps beaucoup plus brefs que s’il fallait faire venir le matériel des États-Unis. La base toscane a fourni l’essentiel de l’armement dans les guerres contre l’Irak, la Yougoslavie, la Libye et l’Afghanistan. Depuis mars 2017, avec les navires géants qui font mensuellement escale à Livourne, les armes de Camp Darby sont acheminées en continu dans les ports d’Aqaba en Jordanie, Djeddah en Arabie Saoudite et autres escales moyen-orientales pour être utilisées par les forces étasuniennes et alliées dans les guerres en Syrie, Irak et Yémen.

Lors de son voyage inaugural, le Liberty Passion a débarqué à Aqaba, en avril 2017, 250 véhicules militaires et d’autres matériels. Parmi les armes que Camp Darby fournit mensuellement à Djeddah, il y a certainement aussi les bombes aéroportées employées par l’aviation saoudienne pour massacrer les populations civiles au Yémen – massacres attestés par des preuves photographiques. De sérieux indices permettent en outre d’affirmer que, dans la liaison mensuelle entre Livourne et Djeddah, les navires transportent aussi des bombes aéroportées fournies par l’entreprise d’armement Rwm Italia de Domusnovas (Sardaigne) à l’Arabie saoudite pour la guerre au Yémen.

Depuis un an, le volume du transit d’armes depuis Camp Darby s’est accru, si bien que la liaison par canal et par route avec le port de Livourne et l’aéroport de Pise est débordée. Une réorganisation massive des infrastructures a été décidée (et confirmée par le colonel Berdy); elle comprend notamment la construction d’une nouvelle voie ferrée. Le plan prévoit l’abattage de 1000 pins en zone protégée, il n’en a pas moins été approuvé par les autorités italiennes. Ce n’est pas tout.

Le président du Conseil régional toscan Eugenio Giani (Pd), lors d’une rencontre avec le colonel Berdy, s’est engagé à développer «l’intégration entre la base militaire étasunienne de Camp Darby et la communauté environnante». Ses bonnes dispositions sont partagées par le maire de Pise Michele Conti (Lega) et par celui de Livourne Filippo Nogarin (Mouvement 5 étoiles). Ce dernier, pour recevoir le colonel Berdy puis l’ambassadeur des Etats-Unis Lewis Eisenberg, a hissé sur la mairie la bannière étoilée.

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