La lauréate du prix Nobel de la paix de 1905 s’insurgeait déjà contre la course aux armements

Publié le 24 janvier 2025
L'augmentation des dépenses militaires et le réarmement ne garantissent pas la paix, bien au contraire. Tel était le message, il y a plus de cent ans, de Bertha von Suttner, pacifiste autrichienne radicale et première femme à recevoir le prix Nobel de la paix.

Barbara Marti, article publié sur Infosperber le 13 janvier 2025 , traduit par Bon Pour La Tête


Armement et surarmement est le titre d’un texte de 1909 contre la spirale de la course aux armements, dont l’auteure est Bertha von Suttner, première femme à avoir reçu le prix Nobel de la paix en 1905. Elle reprochait aux politiques et aux médias de présenter le réarmement comme une alternative: «Il est admis comme une sagesse prouvée qu’il faut continuer à s’armer encore et encore: il serait incompréhensible et puéril de s’y opposer. Tout au plus les partisans de la paix, éloignés de toute realpolitik, pourraient-ils le faire».

«La majorité de la population veut la paix»

Les militaristes et l’industrie de l’armement savent que la majorité de la population veut en fait la paix. Ils argumenteraient donc que seul l’armement garantit la paix. La phrase «Si tu veux la paix, prépare la guerre» est répétée des millions de fois jusqu’à ce que tout le monde y croie. Mais ceux qui la prononcent sont eux-mêmes «belliqueux», même s’ils le nient. «Car si chacun n’est armé que pour se défendre et non pour attaquer, si l’on supprime donc l’attaque, il ne peut absolument pas y avoir de guerre et l’on peut économiser les armements».

«Le militarisme a besoin de la guerre qui menace»

Les «amis de l’armement» nourrissent, attisent ou créent artificiellement la méfiance envers les voisins, écrivait von Suttner. «Le militarisme a besoin de la menace d’une guerre à l’horizon comme d’un morceau de pain». Les mauvaises intentions du voisin sont justifiées par son réarmement, écrit von Suttner. «Nous faisons donc de la surenchère et prouvons ainsi notre amour de la paix. Et maintenant, nous sommes à nouveau les plus dangereux. Toutes les armées et les flottes n’ont qu’une chose à combattre et à repousser: à savoir à nouveau des armées et des flottes. Les dangers et la protection sont identiques». 
Les propositions d’accords de désarmement sont rejetées avec l’argument que chaque pays sait mieux que quiconque ce dont il a besoin pour sa défense. Pourtant, c’est justement en matière de désarmement que l’on dépend des autres: «Car l’un ne fait que régler sa force de défense sur celle de l’autre; nulle part on ne peut introduire une augmentation des contingents, nulle part une nouvelle arme, sans que cela n’ait pour conséquence obligatoire – dans le système actuel – les mêmes mesures chez les autres. Il n’y a rien d’autre où l’interdépendance – et donc le manque d’indépendance – est aussi grande que dans la question de l’armement, qui est une question de rivalité. Seul, on ne peut pas être rival».

«Course à l’abîme»

Von Suttner qualifie le réarmement de «course à l’abîme». De nouveaux «outils de guerre» multiplieraient par cent la puissance de destruction et leur acquisition serait cent fois plus chère. L’impulsion pour le réarmement vient toujours du ministère de la Guerre, sous prétexte que d’autres ministères de la Guerre ont pris les devants et que l’on est entouré de dangers et d’ennemis. «Cela crée une atmosphère de peur à partir de laquelle les autorisations doivent être accordées. Et qui répand cette peur? Encore une fois, les milieux militaires. Ils ont toujours en réserve une guerre « inévitable », surtout une guerre « qui va se déclencher au printemps prochain ».»

«La presse propage le système de la paix armée»

L’industrie de l’armement et la presse soutiennent les militaires, écrivait von Suttner. Elle a accusé la presse de divertissement «d’incitation, d’arrogance, de grossièreté et d’excitation dangereuse». «Mais la presse soi-disant modérée et libérale favorise également le système militariste d’une manière plus passive, mais pas moins efficace pour autant». Elle publie des articles politiques de fond en faveur du réarmement sans contre-arguments. «Les situations politiques qui semblent comporter un risque de guerre sont soumises à l’avis de « hauts responsables militaires ». Ce genre de presse évite certes de pousser directement à la guerre et de prendre directement position pour la multiplication des armements, mais elle traite tout le système dominant de la paix armée comme quelque chose d’immuable et d’évident». Les contre-arguments seraient dénigrés comme étant des rêveries, des utopies ou des intrigues. «C’est ce qu’ils appellent la realpolitik».

«Le réarmement est aussi une provocation»

Même les ministres de la guerre admettent de temps en temps que le réarmement comporte le risque d’être soi-même attaqué, écrit von Suttner. «L’erreur est de considérer les armements uniquement comme un outil de sécurité, au lieu de les considérer également comme une provocation à la guerre, comme des sources de danger». Les journaux ont fait état de nouvelles acquisitions et de nouvelles inventions d’armes. Mais on ne réfléchit pas plus avant à l’issue de ce processus. Au contraire, plus l’effet des instruments de destruction est décrit comme destructeur, plus on les considère comme protecteurs.

«La course à l’armement doit prendre fin»

L’industrie internationale de l’armement fournit toujours simultanément à toutes les puissances des machines meurtrières améliorées. Cela a pour conséquence que la guerre devient de plus en plus infernale pour tous et que les préparatifs en ce sens sont de plus en plus ruineux. «C’est une attitude de bouclier qui devrait faire hurler le bon sens». Et de poursuivre: «Que la course aux armements doive prendre fin est une simple vérité mathématique. Une destruction potentialisée à l’infini ne peut pas exister, car ce qui doit être détruit est fini».


Lire l’article original

S’abonner
Notification pour
0 Commentaires
Le plus ancien
Le plus récent Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires

À lire aussi

Les fantasmes des chefs de guerre suisses

Il arrive que le verrou des non-dits finisse par sauter. Ainsi on apprend au détour d’une longue interview dans la NZZ que le F-35 a été choisi pas tant pour protéger notre ciel que pour aller bombarder des cibles à des centaines, des milliers de kilomètres de la Suisse. En (...)

Jacques Pilet

Le fétiche des armes

Des milliards et des milliards en plus pour l’armement. Tous les Etats européens ou presque veulent faire exploser leurs budgets militaires. Pour quels types de défense? pour quelle efficacité? Ils n’en savent rien mais croient dur comme fer que c’est pour leur bien. Cette fortune fantasmatique, c’est leur fétiche.

Jacques Pilet

La responsabilité de Staline dans les millions de morts soviétiques de la Seconde guerre mondiale

La victoire, en 1945, de l’Armée rouge, avec une guerre qui a fait plus de 27 millions de morts soviétiques, a permis à Staline, s’étant nommé «généralissime», de parader en uniforme blanc et de passer pour un grand chef de guerre aux yeux du monde entier. Miracle de la propagande. (...)

Marcel Gerber

Réapparition des mines antipersonnel dans l’Union européenne

La convention d’Ottawa (1997) a laissé croire à la prochaine éradication des mines antipersonnel, redoutables armes à bas coût qui tuent et mutilent les civils par millions. Cet espoir d’éradication pourrait toutefois s’évanouir si certains Etats membres de l’Union européenne, frontaliers de la Russie, venaient à dénoncer la convention comme (...)

André Larané

L’Allemagne méconnaissable: pirouettes politiciennes et montagnes de dettes

Les électeurs de la bonne vieille droite (CDU/CSU) n’en reviennent pas. Du jamais vu. Leur campagne promettait la rigueur budgétaire, or au lendemain de leur victoire, tous les verrous sautent. Ils voulaient la défaite de la gauche et l’ont obtenue… or celle-ci se retrouve aujourd’hui au gouvernement. Idem pour les (...)

Jacques Pilet
Accès libre

Guerre et paix: deux voix sages pour nous éclairer

Au-delà des spectaculaires péripéties du moment, deux discours surgissent à point nommé. Celui d’Aldous Huxley (1894-1963), l’auteur britannique du fameux «Meilleur des Mondes», dont la première traduction française de «Une encyclopédie du pacifisme» vient d’être publiée. L’autre, très actuel, est celui de Jeffrey Sachs, professeur à l’université de Columbia, économiste (...)

Jacques Pilet
Accès libre

Quand les soldats n’en peuvent plus

Gouvernements et états-majors suivent avancées et reculs des guerres à distance, sur les cartes. Les hommes au front les vivent dans leur chair, dans leurs têtes, entre la vie et la mort. Quand elles durent arrive un moment où ils sont moins, ou plus du tout enflammés par les discours (...)

Jacques Pilet
Accès libre

«Pourquoi les chars russes n’envahiront pas la Suisse»

Tel est le titre du livre paru ces jours chez Favre. Son auteur est le conseiller national (PS) Pierre-Alain Fridez, médecin à Fontenay (Jura), membre de la commission de sécurité depuis 2011. Cet organe composé de représentants politiques, d’experts, de militaires, choisis pour s’aligner sur le dogme dominant. Il vient (...)

Jacques Pilet
Accès libre

La nation inutile

L’autre jour, je mangeais avec des Chinois. Des représentants du gouvernement. A un moment du repas, un gaillard très sympathique, visiblement le plus capé de ce groupe très hiérarchisé, se tourna vers moi et me confia: «Mais si vous n’êtes plus neutre, quel est notre intérêt à discuter avec vous? Vous (...)

Jean-Daniel Ruch

«L’argent n’est pas le nerf de la guerre»

Ces derniers mois la conseillère fédérale Amherd a tenté à trois reprises d’étoffer les finances de l’armée à hauteur de 15, 18, puis 10 milliards de francs. A quoi bon? Contre l’opinion commune, il y a 500 ans déjà, Machiavel avait affirmé que l’argent n’est pas le nerf de la (...)

Boas Erez
Accès libre

«Quand on aime on ne compte pas»

Et quand on aime la guerre encore moins! Fêtant ses 75 ans d’existence, l’OTAN a multiplié les déclarations que l’on jugera fermes ou belliqueuses à l’endroit de la Russie et de la Chine, réaffirmé son soutien total à l’Ukraine en attendant son adhésion. Et une injonction forte à tous les (...)

Jacques Pilet
Accès libre

Plus d’argent pour l’armée mais pas de politique de sécurité

De l’UDC au PS, les critiques contre les dépenses faramineuses investies dans la défense se multiplient. D’autant que selon le «Tages-Anzeiger», Viola Amherd prend le Conseil fédéral par surprise avec un plan secret à 10 milliards de francs pour l’armée, un emprunt remboursable dès 2045. La proposition irrite certains de (...)

Bon pour la tête
Accès libre

L’armée des communicants

La «Neue Zürcher Zeitung», peu encline à critiquer l’armée, a cette fois la dent dure. Ses journalistes ont constaté avec quelque irritation que le Département de la Défense emploie 95 personnes à plein temps pour sa communication. Le double d’il y a dix ans. Trois de plus cette année. Aucun (...)

Antoine Thibaut
Accès libre

Les soldats polonais mobilisés pour l’Ukraine?

Le vendredi 31 mai 2024, à 14 heures, apparaissait une dépêche de la PAP, l’agence de presse polonaise, annonçant la nouvelle suivante: «Le 1er juillet 2024, une mobilisation militaire partielle sera annoncée en Pologne.» La panique était aussitôt déclenchée. Et les responsables pointés du doigt.

Marta Czarska

Le Royaume-Uni gagné par l’angoisse d’un conflit total

«Le Monde» se fait l’écho d’une panique qui monte au Royaume-Uni. Plusieurs haut gradés de l’armée britannique et des spécialistes de la défense l’affirment: s’il se déclarait demain un conflit militaire d’ampleur en Europe de l’Ouest, le pays serait incapable d’y faire face. Son armée serait dans un état «préoccupant». (...)

Marie Céhère
Accès libre

Irak-Syrie: les Américains renforcent leur présence

L’émission «Tout un monde» de RTS la Première a donné la parole à une journaliste établie à Bagdad depuis plusieurs années, correspondante de divers médias francophones. Anne-Sophie Le Mauff révèle une opération secrète en cours depuis quatre mois, dont les médias ne parlent pas.

Antoine Thibaut