La censure chinoise sévit (aussi) sur Zoom

Publié le 23 juin 2020

© Pixabay

Après la censure du big tech américain Zoom sur les militants de la place Tian'anmen exigée par le gouvernement de Pékin, la société de vidéoconférence, basée dans la Silicon Valley, a cherché à rassurer les utilisateurs du monde entier en leur disant qu'elle ne fermerait plus de comptes en dehors de la Chine continentale à la demande de Pékin. Mais les contorsions de Zoom pour plaire à deux gouvernements aux idéologies radicalement différentes semblent ne faire que commencer. Revue de presse.

Durant ces mois de confinement et de travail à distance, la grande majorité des réunions ou des auditions se sont déroulées sur la plateforme Zoom (qui est passée en quelques semaines de 10 à 300 millions d’usagers par jour). Du Sénat italien au gouvernement britannique, en passant par nos salons, quantité d’utilisateurs, parlementaires, ministres, chefs d’entreprise, professeurs, journalistes ont adopté ce moyen de communiquer. Zoom est devenu en quelques semaines un instrument routinier pour beaucoup d’entre nous. Mais l’application fait l’objet d’une préoccupation croissante relative à la liberté d’expression.
Revenons à l’origine de la dernière censure chinoise: en 1989 de nombreux citoyens chinois manifestent sur la place Tian’anmen à Pékin en faveur de la démocratie, réclament la fin de la censure et des restrictions faites à la liberté de réunion. Mais les 3 et 4 juin de la même année, l’armée chinoise réprime violemment ces manifestations et tue un nombre encore indéterminé de civils (entre 286, selon les officiels chinois, et 10’000 suivant les chiffres américains). 

De cet événement est née l’image emblématique du « Tank Man », ce Chinois non identifié qui a réussi à arrêter un convoi de chars quittant la place le 5 juin. En Chine continentale, il est absolument interdit de faire référence à ces événements. A Hong Kong, en revanche, chaque année, des militants se réunissent pour commémorer les victimes du massacre. Mais, arguant du risque de contagion au Covid-19, le gouvernement chinois a interdit la réunion cette année. Zhou Fengsuo, l’un des leaders étudiants qui a mené les manifestations pro-démocratiques en 1989, a utilisé la plateforme d’appel vidéo Zoom pour réaliser un événement virtuel en commémoration du massacre de Tian’anmen aux États-Unis.

Son intention était de tenir une conversation entre les dirigeants du mouvement protestataire qui se trouvaient aux Etats-Unis et d’autres, toujours en Chine. Selon le New York Times, l’événement organisé par Zhou Fengsuo eu lieu le 31 mai. Mais le compte de Fengsuo a été suspendu peu après. A cela s’ajoute le fait qu’un second compte Zoom appartenant à un ancien politicien et militant démocratique de Hong Kong, Lee Cheuk Yan, a aussi été fermé à la fin du mois de mai.

Dans une question directe du site Axios.com, un porte-parole de Zoom a confirmé que le compte de Zhou avait été fermé «en conformité avec la loi locale», puis a affirmé qu’il avait été réactivé dans l’intervalle. Bien que certains militants se trouvent aux Etats-Unis, leurs comptes ont quand même été affectés.

Zoom promet de changer, mais au profit de qui?

La plateforme américaine a annoncé qu’elle développait une technologie qui lui permettra d’éliminer ou de bloquer des participants en fonction de leur situation géographique afin de répondre aux demandes des autorités locales sans affecter davantage d’utilisateurs. 
Ce n’est pas la première fois que les politiques de confidentialité et de sécurité de Zoom et sa relation avec le gouvernement chinois sont remises en question. L’entreprise californienne dispose d’un personnel de recherche et de développement en Chine. En avril, l’administrateur délégué Eric Yuan (qui est entré entre temps dans l’indice des multimillionnaires de Bloomberg: sa fortune est aujourd’hui estimée à 7,8 milliards de dollars) a reconnu que certains appels gratuits avaient été par erreur acheminés par des centres de données en Chine, mais que cette pratique avait changé depuis.

Dans un récent communiqué, la société a annoncé que tous ses utilisateurs pourront bientôt bénéficier de communications cryptées. Elles seront accessibles en juillet. Jusqu’à présent, le cryptage n’était disponible que pour les utilisateurs payants.
Pour le journal allemand Handelsblatt, la collaboration docile de Zoom est un signal dramatique.

Et on peut se douter que jamais une entreprise technologique, milliardaire en bourse, ne prendrait le parti inconditionnel des plus faibles et ne refuserait d’opérer dans un pays où une protection peut être sapée par la législation ou le régime en vigueur. Pour maximiser les profits, les droits de l’homme doivent passer au second plan – c’est le prix que le capitalisme exige de l’humanité.

Il est clair qu’il est urgent de créer des règles communes entre les pays démocratiques afin de garantir l’information par la libre circulation des idées, d’une part, et la vie privée et la sécurité des utilisateurs, d’autre part. Est-il acceptable encore que la censure et la persécution autoritaire, comme dans les cas mentionnés ci-dessus, nous soient imposées d’office?
Nous le saurons dans un avenir pas trop lointain. Car apparemment le millionnaire Eric Yuan a le temps de répondre à ceux qui lui demandent de faire taire les profils d’utilisateurs mal aimés des grandes puissances. Il suffit de demander. Apparemment, il est très réactif.

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