L’Indonésie détruit la forêt avec l’aide de l’argent «vert»

Publié le 7 juillet 2023

Un habitant de Zanegi sur une route boueuse dans la zone déboisée. © Nanang Sujana/Capture d’écran vidéo

L'Indonésie veut se débarrasser du charbon, brûle du bois à la place, déboise pour cela la forêt vierge et encaisse des fonds internationaux.

Daniela Gschweng, article publié sur Infosperber le 4 juillet 2023, traduit par BPLT


L’Indonésie est le troisième plus grand producteur de gaz à effet de serre au monde, après les Etats-Unis et la Chine. Le pays d’Asie du Sud-Est veut changer cela. Au lieu de brûler du charbon, il brûle désormais de plus en plus de bois – à première vue, une matière première durable car renouvelable. Mais le bilan climatique de l’Indonésie est mauvais, surtout en raison des taux de déforestation élevés. La stratégie financée par des fonds pour le climat est en outre en contradiction flagrante avec la protection des forêts et de la biodiversité. Les populations indigènes sont totalement délaissées.

Le «Gecko Project», basé à Londres, qui s’occupe de l’utilisation des terres dans les crises mondiales, décrit un village de la province indonésienne de Papouasie. Entre 2010 et 2014, le groupe indonésien Medco y a déboisé quelque 3’000 hectares de forêt tropicale pour y installer des monocultures d’arbres à croissance rapide. Les plantations de bois devaient fournir des copeaux de bois pour l’exportation. Le projet a échoué et a été gelé en 2014 parce qu’il n’était pas rentable – une bouffée d’oxygène pour la forêt, mais pas pour la population indigène. Les Marind-anim qui y vivent souffraient déjà de la faim à l’époque, car leur base alimentaire avait disparu. Avant que Medco ne déboise la forêt, ils se nourrissaient principalement de gibier, de poisson et de sagou. Le gibier passait presque devant la porte de la maison, les palmiers sagoutiers poussaient à proximité. Avec la déforestation, ces sources de nourriture se trouvent compromises ou plus éloignées.

En 2010 déjà, des habitants du village de Zanegi ou Senegi, situé en bordure des plantations de bois, avaient fait part à une ONG locale de leur inquiétude quant à leurs moyens de subsistance. Dans le film Our land is gone de 2012, une infirmière de Zanegi affirme que la malnutrition a fortement augmenté dans le village.

En 2014, les villageois ont perdu leur emploi. Parce que le projet de copeaux de bois a été gelé, a d’abord indiqué Medco. Ensuite, la société a affirmé que les villageois n’avaient pas respecté les règles, qu’ils étaient souvent absents et qu’ils avaient donc été licenciés. Le travail a été distribué à des contractants et à des entreprises tierces.

Certains villageois ont depuis repris la chasse. Neuf personnes ont déclaré lors d’une interview avec le Gecko Project qu’elles parcouraient jusqu’à 15 kilomètres jusqu’à la rivière Bian pour trouver du gibier. Il arrive qu’ils marchent plusieurs jours sans rien capturer.

D’autres aliments sont importés par pick-up et coûtent excessivement cher, c’est pourquoi les habitants ne mangent souvent pas du tout de viande. Lorsqu’ils trouvent des casoars (une sorte de dinde) ou des cerfs, ils vendent la viande, explique un villageois père de neuf enfants. «Nous ne mangeons que les os cuits», explique-t-il.

En 2017, Medco Energi a reçu 4,5 millions de dollars du gouvernement indonésien et a construit une centrale à biomasse en Papouasie. Le projet de copeaux de bois orienté vers l’exportation s’est transformé en une stratégie apparemment durable de production d’énergie.

Une nouvelle réglementation légale a également joué en sa faveur. Depuis 2014, le déboisement de la forêt primaire est interdit en Indonésie, ce qui a nettement freiné la déforestation. Les licences Medco couvrant 170’000 hectares en Papouasie ne sont pas concernées, car elles ont été délivrées avant 2014. La province de Papouasie est l’une des îles les plus boisées d’Indonésie. La zone concernée est composée de forêt primaire, de savane et de marais riches en carbone.

En 2021, 4,9 millions de dollars supplémentaires ont été versés par le Fonds indonésien pour l’environnement. Ce fonds comprend entre autres des fonds des Nations unies. Il y a trois ans, celles-ci ont transféré 103,8 millions de dollars du Fonds climatique des Nations unies à l’Indonésie.

Avec cet argent et le soutien du gouvernement, les Marind-anim achètent de la nourriture qui arrive au village en pick-up. Les prix sont plus élevés que dans les supermarchés haut de gamme de la capitale Jakarta, écrit le reporter du Gecko Project. Un tiers des jeunes enfants examinés à Zanegi en 2022 souffraient de troubles du développement en raison de la malnutrition.

Medco prévoit de tripler la production de la centrale électrique «durable», qui est actuellement de 3,5 mégawatts, et de continuer à déboiser la forêt vierge pour ce faire – le tout financé par de l’argent «vert».

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