Higelin: Paris-Lausanne, Lausanne-Paris

Publié le 9 avril 2018

Les manifs de Lôzane Bouge ont commencé en juin 1980 en pleine fête des caisses à savon. Les jeunes souhaitaient, à l’égal de Zurich et Berne, un centre autonome pour y développer des activités musicales, de nombreuses autres revendications se joindront pour exprimer un malaise qu’avait résumé le célèbre slogan «Rasez les Alpes qu’on voie la mer».

Mais les autorités prises de court, réagissent violemment et intentent un procès aux «meneurs», prévu en octobre 1982.

Se pose la question: comment s’acquitter des frais d’avocat?

Mardi 20 avril 1982, à Bellerive, Higelin chante sous une grande tente. Il faudrait, me dit-on, que je lui demande de nous aider par des concerts. Que la musique soit partie intégrante du mouvement, je le sais, en revanche je suis étonnée que les jeunes connaissent Higelin, pour moi Higelin c’était Areski et Fontaine, son passage au rock m’avait échappé.

Il n’y a pas un instant à perdre, l’enthousiasme des jeunes, je ne le sais pas encore, va faire rencontre avec le chanteur.

Poussée par eux, j’essaie de tergiverser, je demande à son frère Paulo, de servir de médiateur, mais non, il faut que ce soit moi qui lui demande, me voilà dans sa roulotte. Je raconte notre projet en quelques phrases. Il n’hésite pas une seconde et c’est oui.

Totalement sidérée

Ainsi, me, nous, voilà propulsés organisateur de concerts.

Nous, car il y a Bernard Balet et toute la joyeuse bande des actifs du mouvement.

L’été se passera à trouver une salle, personne ne veut assurer un mouvement si bougeant, et c’est grâce à un ancien camarade de sciences politiques, devenu directeur du Palais de Beaulieu, que le lieu est choisi: ce sera le théâtre du Palais de Beaulieu.

Quelques jours avant le premier concert, mon ami se ravise. Y a-t-il eu une pression du conseil d’administration? On nous demande une caution de 40’000 francs suisses et le délai est de 24 heures pour les déposer. Une course effrénée nous mène à recueillir l’argent provenant de la vente des billets de tous les points de vente de Lausanne à Genève, en passant par les villes de la Côte. Higelin se propose de faire une conférence de presse, pour préciser que ses concerts ne provoquent pas de dégâts.

L’argent est mis dans des sacs poubelles puis déposé peu avant l’heure fatidique à l’UBS, et c’est le banquier qui appelle Beaulieu pour annoncer la nouvelle.

Le dernier rebondissement est qu’il fallait que les 40’000 francs soient déposés à l’UBS Lausanne et non Genève.

Magie: le banquier, en un coup de fil, envoie l’argent à Lausanne dans la minute qui suit.

Délai respecté

En attendant et après la première réponse rapide d’Higelin, nous n’avons toujours aucun contrat.

Nous décidons d’aller à Paris, car Higelin est un artiste génial, mais un artiste tout de même.

Nous lui amenons les affiches, lui expliquons que les places sont vendues, il a l’air de découvrir tout cela, et nous tremblons. Il confirme ce sera oui, et cette fois c’est sûr.

La caution bloquée et débloquée

Il nous fallait nous assurer que nous pourrions récupérer la caution, car si Higelin avait proposé de venir gratuitement et offrait sa prestation, les musiciens devaient être payés et les frais de transport et de location réglés.

L’assureur de Michel Bühler nous aida à faire un état des lieux de la salle, fauteuils avec brûlures de cigarettes, tâches sur le velours etc.

Un tract serait distribué à l’entrée expliquant la situation et la nécessité de récupérer la caution. Le service d’ordre fut assuré par des jeunes du mouvement et non par des gros bras.

Les concerts eux furent un pur moment de magie.

Aucun dégât ne fut commis et quand nous proposâmes au responsable de la salle de faire l’inventaire à 1h du matin, il renonça.

Jacques Higelin, interviewé à la radio, défendit les revendications du mouvement et – nous ne le sûmes que plus tard – refusa de faire toute promotion pour le disque qu’il venait de sortir: Champagne.

S’abonner
Notification pour
0 Commentaires
Le plus ancien
Le plus récent Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires

À lire aussi

Accès libre

Jean-Louis Porchet ou la passion créatrice

Le Lausannois et producteur de films est décédé à 76 ans. Il laisse derrière lui, outre de nombreux films renommés, le souvenir d’un homme audacieux et passionné dont la force de conviction venait à bout de tous les défis. Un exemple inspirant pour la culture suisse.

Jacques Pilet

Hommage à Dick Marty et John Pilger

Il me semble utile de revenir sur la mort de Dick Marty. D’une part parce que les hommages qui lui ont été rendus n’ont pas été à la hauteur de ses mérites. Mais aussi parce que je m’en veux de ne pas avoir tenu ma promesse de lui rendre visite (...)

Guy Mettan
Accès libre

Alexandre Adler: le volcan s’est éteint

Qui s’intéresse à l’histoire, à la géopolitique, n’a pu passer à côté du phénomène. Alexandre Adler était plus qu’un grand érudit, un essayiste, un journaliste, un écrivain, un brillant causeur. C’était un volcan intellectuel crachant mille flammes éclairantes, pas mal de scories aussi. Et voilà qu’au moment de sa mort, (...)

Accès libre

A Miss.Tic, cette lettre écrite poche restante

Chère Miss.Tic, vous étiez ma voisine à la Butte-aux-Cailles, village parisien, ilot de verdure et de petits immeubles où chante toujours le Merle Moqueur du Temps des Cerises, réserve de vieux bistrots au cuir boucané. Vous y avez gravé sur ses murs au pochoir, votre âme. Et la voilà partie (...)

Accès libre

L’ami Roland boit la ciguë ou la mort d’un moineau perdu…

A la veille de ses 80 ans, le chroniqueur et polygraphe Roland Jaccard, qui avait publié deux nouveaux livres depuis le début de l’année, dont son journal 1983-1988 comptant 834 pages et intitulé «Le Monde d’avant», a choisi de mettre fin à ses jours, à l’imitation de sa mère autrichienne (...)

Accès libre

Philippe Jaccottet par delà les eaux sombres

Révérence amicale au poète (1925-2021), qui vient d’être délivré du poids du monde. C’était un des derniers grands poètes de langue française que Philippe Jaccottet, dont l’œuvre fut la première, d’un auteur romand vivant, à faire son entrée dans la prestigieuse collection de La Pléiade.

Accès libre

A un glorieux sceptique

Il a mis à jour notre irrésistible besoin de croyance. James Randi, super-héros au service de la pensée rationnelle, est mort. Et la notion de scepticisme ne va pas bien du tout.

Accès libre

Merci à toi, Francis, et à ton talent fou

Le cinéaste décédé ce vendredi au petit matin a marqué l’histoire du cinéma suisse mais bien plus que cela: toute une époque de ce bout de pays et au-delà. Eruptif, fantasque, rebelle, d’une créativité sans relâche, Reusser faisait tache dans le paysage culturel. Et on lui dit un immense merci. (...)

Les femmes désirantes d’Andrea Camilleri

Il n’y a pas que le commissaire Montalbano dans la production littéraire de l’écrivain sicilien récemment disparu. Invitation à découvrir «Femmes», un délicieux petit bouquin largement autobiographique: on y découvre des Italiennes très entreprenantes face aux joies du sexe, longtemps avant 1968.

Accès libre

Hommage à Valérie Boagno, bâtisseuse de presse

Ce vendredi, amis, amies, connaissances et ex-collègues de Valérie Boagno, décédée à 54 ans du cancer, la fêteront lors d’une cérémonie «laïque, heureuse et musicale». Seuls les professionnels de la branche le savent: cette femme a marqué pour le meilleur le paysage de la presse romande. A «L’Hebdo», au «Nouveau (...)

Accès libre

Pierre Leuzinger, l’homme qui étreint bien tout ce qu’il embrasse

Journaliste, écrivain, dessinateur, navigateur polyglotte et observateur aigu de l’Histoire en marche, Pierre Leuzinger est mort. Avec ses «Humeurs», publiées dès le premier numéro de «L’Hebdo» en 1981 et ponctuellement chaque semaine pendant près de vingt ans, il fut le pionnier, dans la presse romande, d’un genre nouveau: celui de (...)

Dominique Noguez, l’Ami perdu…

Après la mort de Clément Rosset, celle de Dominique Noguez. Lui aussi venait chez Yushi, ma cantine japonaise. Et nous avions travaillé ensemble pour un autre ami, Frédéric Pajak. Nous nous retrouvions avec une joyeuse équipe (Frédéric Pagés, Denis Grozdanovitch, Arnaud Le Guern, Frédéric Schiffter) au premier étage d’un restaurant (...)

Clément Rosset dans mes souvenirs

Le Modigliani de Bienne

L’artiste-peintre Joe Merenda vient de s’éteindre à l’âge de 54 ans. Cet iconoclaste prolifique pourrait bien voir sa cote monter en flèche après sa disparition.