Ayman Odeh: «C’est nous, l’alternative à la droite. C’est le combat de l’opposition»

Publié le 10 avril 2020
Interview de Ayman Odeh, leader de la Joint List, la Liste arabe unifiée d’Israël, à la suite des élections législatives.

Cet article de Umberto De Giovannangeli a été publié sur le site d’information italien, Globalist, le 3 mars 2020. Traduit par Marta Czarska.


Les élections législatives israéliennes ont eu lieu de manière anticipée le 2 mars 2020. Aucun des deux principaux partis – le Likoud, coalition de droite-extrême droite, de Benyamin Netanyahu et le parti Bleu et blanc, centriste, de Benny Gantz – n’est parvenu à décrocher la majorité absolue. Le gouvernement n’est toujours pas en place, et les négociations continuent.

La gauche, elle, confie son avenir incertain à un Arabe israélien: Ayman Odeh, leader de la Joint List, la Liste arabe unifiée. Une union qui a payé, vu qu’après dépouillement de plus de 90% des bulletins de vote, la Joint List conquiert 15 sièges à la Knesset, le parlement israélien, deux de plus que lors des élections de septembre. Un résultat historique. 

Umberto De Giovannangeli: La Joint List consolide sa position de troisième force du nouveau parlement.

Ayman Odeh: C’est le meilleur résultat parlementaire depuis la première Knesset en 1949. Un résultat d’autant plus significatif que nous sommes le seul parti d’opposition à croître par rapport aux élections de septembre.

A quoi doit-on ce résultat?

A la cohérence de nos positions. A une opposition nette aux partis de droite et pas seulement à Netanyahu. L’ambiguïté ne paie pas et Benny Gantz (le leader du parti centriste Kahol Lavan, ndlr) a payé cher ses hésitations. Il a déclaré être l’homme qui aurait unifié Israël, mais il a mené une campagne électorale qui a divisé le front des anti-droite.

Vous faites référence à l’affirmation de Gantz que si c’est lui qui gagnait, il n’aurait pas intégré la Joint List dans son gouvernement?

Oui, à ça, mais pas seulement. Dans les faits, Gantz n’a pas su, ou peut-être pas voulu, se présenter comme le leader d’un vrai changement, porteur d’une vision radicalement opposée à celle des partis de droite. Il a poursuivi Netanyahu en cherchant à se présenter comme un modéré aux mains propres, mais sur les grands sujets sociaux et politiques, il a fait prévaloir la ligne de la continuité sur celle de la rupture. Un choix qui n’a pas payé. Tout comme de s’être mis d’accord avec Netanyahu sur l’acceptation du soi-disant «plan du siècle» de Trump. Ce plan a été fait à des fins électorales pour Netanyahu, dont le président américain est non seulement un partisan convaincu, mais aussi un ami personnel. Jouer sur la défensive est une erreur qui peut coûter cher en politique. Si Netanyahu peut se réjouir aujourd’hui, ce n’est certainement pas grâce au soutien des arabes israéliens, mais grâce aux résultats négatifs obtenus par Kahol Lavon et la gauche sioniste.

La Joint List est aujourd’hui le parti d’opposition le plus fort du camp progressiste. Comment va-t-elle utiliser le consensus obtenu?

Nous devons devenir l’alternative principale à la carte politique israélienne. C’est le début de la montée d’une vraie gauche. Une gauche qui dépasse les vieilles barrières identitaires, qui unifie par la vision et les batailles qu’elle mène au-delà de l’appartenance communautaire. La Joint List est née dans la communauté arabe israélienne (plus de 20% de la population d’Israël, ndlr), mais nous devons le résultat extraordinaire obtenu lors de ces élections au fait que nous avons aussi réussi à parler aux citoyens juifs progressistes, opposés à la dérive ethnocratique de la droite et qui ne supportent pas la subordination culturelle, plus encore que politique, démontrée par la gauche traditionnelle. Notre devoir désormais est de travailler dès à présent à la construction des relations avec toutes les communautés israéliennes confrontées à l’injustice.

Le vote récompense Netanyahu. Selon vous, à quoi doit-il ce succès?

Les composantes de ce résultat sont variées: il y a le caractère combatif de Netanyahu, le fait qu’il ait mené une campagne électorale agressive, contrairement à son principal opposant. Mais derrière ce résultat, il y a aussi un fait qui doit faire réfléchir et nous inquiéter: une partie d’Israël a donné sa confiance à un leader qui pourrait bien être condamné dans quelques semaines pour de graves délits de corruption. Ce vote indique que nombre d’israéliens ont préféré choisir l’homme fort et non pas la légalité.

Le front des partis de droite frôle la majorité des 61 sièges (59), mais ne l’atteint pas. Est-ce que le parti de la droite nationaliste d’Avigdor Lieberman, Yisrael Beiteinu, redevient décisif?

Se cramponner à Lieberman serait un suicide politique pour les forces progressistes israéliennes Lieberman n’a pas amélioré son consensus et, face au succès de Netanyahu, son pouvoir s’est nettement affaibli. Si la gauche ne veut pas disparaitre définitivement, elle doit s’armer pour une bataille d’opposition. Il n’y a pas d’autre solution.


 

S’abonner
Notification pour
0 Commentaires
Le plus ancien
Le plus récent Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires

À lire aussi

Santé

Le parlement suisse refuse de faire baisser les coûts de la santé

Chaque année, à l’annonce de l’augmentation des primes d’assurance maladie, on nous sert comme argument l’inévitable explosion des coûts de la santé. Or ce n’est pas la santé qui coûte cher, mais la maladie! Pourtant, depuis des années, une large majorité de parlementaires rejette systématiquement toute initiative en lien avec (...)

Corinne Bloch
Politique

La flottille qui sauve l’honneur

Les 40 bateaux chargés d’aide humanitaire en route vers Gaza sont porteurs d’une forte leçon. Alors que les gouvernements occidentaux et arabes feignent de croire à un pseudo plan de paix discuté sans les victimes de cette guerre effroyable, les quelque 500 personnes embarquées en dépit des risques, tiennent bon. (...)

Jacques Pilet

Une société de privilèges n’est pas une société démocratique

Si nous bénéficions toutes et tous de privilèges, ceux-ci sont souvent masqués, voir niés. Dans son livre «Privilèges – Ce qu’il nous reste à abolir», la philosophe française Alice de Rochechouart démontre les mécanismes qui font que nos institutions ne sont pas neutres et que nos sociétés sont inégalitaires. Elle (...)

Patrick Morier-Genoud

La stratégie de Netanyahu accélère le déclin démocratique d’Israël

Le quotidien israélien «Haaretz» explique comment l’ancien Premier ministre Naftali Bennett met en garde les forces de sécurité et les fonctionnaires contre une possible manipulation du calendrier électoral et la mainmise de Netanyahu sur l’appareil sécuritaire.

Patrick Morier-Genoud

Censure et propagande occidentales: apprendre à les débusquer

Les affaires encore fraîches des drones russes abattus en Pologne et du bombardement israélien au Qatar offrent de belles illustrations du fonctionnement de la machine de guerre informationnelle dans nos pays démocratiques. Il existe en effet une matrice de la propagande, avec des scénarios bien rôdés, qu’on peut voir à (...)

Guy Mettan

Un dialogue de sourds

La télévision alémanique a diffusé un débat sur le thème «Israël va-t-il trop loin?» entre deux anciens diplomates suisses et deux soutiens d’Israël. Les participants ont échangé leurs points de vue, parfois extrêmes, sans réussir à se mettre d’accord.

Marta Czarska

Sorj Chalandon compatit avec les sinistrés du cœur

Après «L’enragé» et son mémorable aperçu de l’enfance vilipendée et punie, l’écrivain, ex grand reporter de Libé et forte plume du «Canard enchaîné», déploie une nouvelle chronique, à résonances personnelles, dont le protagoniste, après la rude école de la rue, partage les luttes des militants de la gauche extrême. Scénar (...)

Jean-Louis Kuffer

Netanyahu veut faire d’Israël une «super Sparte»

Nos confrères du quotidien israélien «Haaretz» relatent un discours du Premier ministre Benjamin Netanyahu qui évoque «l’isolement croissant» d’Israël et son besoin d’autosuffisance, notamment en matière d’armement. Dans un éditorial, le même quotidien analyse ce projet jugé dangereux et autodestructeur.

Simon Murat

Coulisses et conséquences de l’agression israélienne à Doha

L’attaque contre le Qatar du 9 septembre est le cinquième acte de guerre d’Israël contre un Etat souverain en deux ans. Mais celui-ci est différent, car l’émirat est un partenaire ami de l’Occident. Et rien n’exclut que les Américains aient participé à son orchestration. Quant au droit international, même le (...)

Jean-Daniel Ruch

Démocratie en panne, colère en marche

En France, ce n’est pas tant le tourniquet des premiers ministres et la détestation de Macron qui inquiètent, c’est le fossé qui se creuse entre la société et le cirque politicien, avec son jeu d’ambitions qui paralyse le pays. Le tableau n’est guère plus réjouissant en Allemagne, en Grande-Bretagne, en (...)

Jacques Pilet

La fin du sionisme en direct

La guerre totale menée par Israël au nom du sionisme semble incompréhensible tant elle délaisse le champ de la stratégie politique et militaire pour des conceptions mystiques et psychologiques. C’est une guerre sans fin possible, dont l’échec programmé est intrinsèque à ses objectifs.

David Laufer

USA out, Europe down, Sud global in

Le sommet de l’Organisation de coopération de Shanghai et les célébrations qui se sont tenus en Chine cette semaine témoignent d’un nouveau monde. L’Europe n’en fait pas partie. A force de pusillanimité, d’incompétence géopolitique et à trop jouer la carte américaine, elle a fini par tout perdre. Pourtant, elle persévère (...)

Guy Mettan

«Gaza est un concentré de violations des droits humains»

Commissaire général de l’UNRWA, l’Office de secours et de travaux des Nations Unies pour les réfugiés de Palestine au Proche-Orient, le Suisse Philippe Lazzarini n’a pas la langue dans sa poche. Il s’exprime ici sur le désastre humanitaire à Gaza, le silence de l’Occident, le rôle de la Suisse qui, (...)

Guy Mettan
Accès libre

L’individualisme, fondement démocratique, selon Tocqueville

Notre démocratie est en crise, comment la réinventer? Que nous enseignent ceux qui, au cours des âges, furent ses concepteurs? Pour le penseur français Alexis de Tocqueville (1805-1859), l’individualisme et l’égalisation des conditions de vie sont deux piliers essentiels de la démocratie.

Bon pour la tête
Accès libre

La politique étrangère hongroise à la croisée des chemins

Pour la première fois en 15 ans, Viktor Orban est confronté à la possibilité de perdre le pouvoir, le parti d’opposition de Peter Magyar étant en tête dans les sondages. Le résultat pourrait remodeler la politique étrangère de la Hongrie, avec des implications directes pour l’Union européenne.

Bon pour la tête
Accès libre

Microsoft s’enrichit sur le dos des Palestiniens

Selon des révélations étayées par des sources issues de la multinationale américaine et des services secrets israéliens, un cloud spécial a été mis en place pour intercepter les communications de millions de Palestiniens. Des données qu’Israël utilise pour mener sa guerre de représailles ethniques dans la bande de Gaza et (...)

Bon pour la tête