Haro sur les humoristes!

Publié le 31 décembre 2021

Blanche Gardin dans la bande-annonce de la série « La meilleure version de moi-même ». – © Canal+ Séries

Après Claude-Inga Barbey, voici Blanche Gardin clouée au pilori de la nouvelle bien-pensance. Accusée d’être «une machine de guerre contre le féminisme», le vrai, «le féminisme militant, le féminisme radical, d'aujourd'hui». C’est Daniel Schneidermann, autrefois excellent journaliste, qui lance la chasse sur son site «Arrêts sur image». Broutilles au regard de l’histoire? Pas sûr.

On n’a pas tout dit sur la vindicte qui a frappé Claude-Inga Barbey. Sa vidéo mettait le doigt sur une crainte justifiée, le traçage tous azimuts dans une version soft de ce qui se passe en Chine. Parler de racisme est aberrant. Les humoristes ont droit à la caricature. Les Suisses allemands ne grimpent pas aux rideaux parce qu’un rigolo de cantine lâche le mot «bourbines», pas plus que les Genevois traités de «grandes gueules». On peut rire ou pas. Mais la grandiloquence indignée a de quoi inquiéter sur ce que deviennent nos libertés. Entendre Martine Brunschwig Graf, cette ancienne magistrate de haut vol, aujourd’hui présidente de la Commission fédérale contre la racisme, prendre des grands airs affligés à propos de Claude-Inga, cela indique que quelque chose se détraque dans nos têtes. Une nouvelle morale envahit tout. Plus le droit de mimer un visage chinois, plus le droit à l’autodérision grinçante, plus le droit d’ironiser sur les nouveaux tabous écolo-féministes… Les gardien du nouveau temple veillent. Aussi absolutistes que ceux d’antan au sein de l’Eglise ou des idéologies totalitaires. Comme dit Blanche Gardin: «Dieu est mort et nous devenons pour nous-mêmes nos propres prophètes à vénérer, nos disciples à guider vers la bonne voie, nos victimes à plaindre. Penser contre l’époque ne signifie pas forcément la dévaloriser.»

Que lui est-il arrivé? Dans sa mini-série «La meilleure version de moi-même», diffusée sur Canal Plus, Blanche Gardin incarne son propre rôle dans une autofiction totalement délirante. Souffrant de terribles troubles intestinaux, l’actrice va voir naturopathe, hydrothérapeute, chaman et magnétiseur qui la conduisent à changer de vie. Blanche s’«éveille», se conscientise, s’adonne aux médecines douces et «écoute son corps». Elle se fait diagnostiquer «neuroatypique haut potentiel»… Dans un exercice acrobatique, elle se moque d’elle-même, de ses névroses et des manies de l’époque. Il faut dire qu’elle ose tout, elle parle beaucoup de caca et de sexe. Elle rit de tout, de ses propres dérives et de celles des autres, elle fait rire son public et en fait fuir une partie. C’est le jeu!

Mais le gourou d’une certaine gauche, Schneidermann, va plus loin. Il désigne Blanche Gardin comme le bras anti-féministe de Bolloré, le milliardaire, le tireur de ficelles de la droite dure qui contrôle Canal Plus. Où apparaît – aïe! – la redoutable humoriste. Le complotisme sévit partout. Et d’ailleurs ne serait-il pas temps de se demander qui a financé en sous-main Claude-Inga Barbey pour ses pointes contre le système chinois? Les services secrets américains qui veulent dresser tout l’Occident contre la Chine? Haha… Encore heureux que l’ambassade chinoise à Berne n’ait pas tiqué. Lorsque la marque italienne Dolce&Gabbana à la conquête du grand marché a cru fin de publier une image où une Chinoise mange des spaghettis avec des baguettes, ce fut le tollé et l’effondrement du business, avec une perte estimée de 500 millions de dollars.

Mais là on est sur un autre terrain. Si les humoristes ne piquent pas un peu, ne choquent pas un peu de temps à autre, ils deviennent vite moins drôles, moins nécessaires peut-on dire. On est rassuré, il s’en produit plusieurs qui savent pratiquer l’humour convenable. Ils se gardent d’ailleurs bien de soutenir leur collègue démolie sur les réseaux sociaux. L’un d’eux s’est même fait une spécialité de se produire dans les fêtes d’entreprises où il égratigne celles-ci avec une délicatesse telle que les directeurs l’applaudissent à la fin.

Si la liberté du rire décapant s’émousse, c’est la nôtre à tous qui s’en va à vau-l’eau.

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