Crise au Venezuela: la menace américaine s’accentue sur les banques suisses

Publié le 1 février 2019
La lutte pour le pouvoir à Caracas annonce une période à haut risque pour les banques suisses qui ont aidé à dissimuler les milliards de dollars de fonds publics détournés par le régime du président Nicolas Maduro.

 


 

François Pilet, fondateur de Gotham City, newsletter de veille judiciaire spécialisée dans la criminalité économique

 


 

Avec la mise sous sanctions, le 29 janvier 2019, de la compagnie pétrolière nationale PDVSA, les Etats-Unis ont sorti l’artillerie lourde contre le régime chaviste. La mesure vise à couper les dernières ressources financières de Nicolas Maduro et de ses alliés.

Elle offre aussi un levier de négociation à Juan Guaido, président du Parlement vénézuélien, autoproclamé chef de l’État par intérim, soutenu par les Etats-Unis. La Russie et la Chine, les deux principaux créanciers du pays, ont violemment dénoncé la manœuvre.

Têtes baissées

Au milieu de ce bras de fer géopolitique, les banquiers suisses baissent la tête. En effet, certains d’entre eux pourraient subir de plein fouet les pressions de Washington visant à priver le régime Maduro de ses dernières réserves.

Car si l’histoire tumultueuse de la République bolivarienne du Venezuela s’écrira un jour dans les livres, elle a surtout laissé ses traces dans les registres des banques suisses.

Tout commence en 2005. Sorti vainqueur d’un long combat pour s’assurer le contrôle de PDVSA, Hugo Chavez avait confié une bonne partie des réserves de la Banque centrale à HSBC Private Bank (Suisse) SA à Genève.

Abritant jusqu’à 15 milliards de dollars, ce compte, dont l’existence a été révélée en 2015 avec la publication des données volées par Hervé Falciani, faisait du Venezuela le plus important client de la banque.

Genève était un choix logique pour abriter le trésor de guerre d’Hugo Chavez. Le fond était alimenté par les revenus pétroliers, eux-mêmes versés par les grands groupes de trading presque tous basés dans la Cité de Calvin.

L’unique signature du fameux compte chez HSBC était celle d’Alejandro Andrade, un ancien garde du corps d’Hugo Chávez qui officiait alors comme avocat du Trésor avant de prendre les commandes de l’institution en 2007.

Puis les réserves de la Banque centrale du Venezuela quittent progressivement HSBC pour être converties en lingots d’or. Hugo Chavez en confie une bonne partie à la Banque d’Angleterre, avant de les rapatrier en 2011.

Blanchisserie bolivarienne

Son décès, en 2013, relance l’intérêt du régime pour la Suisse. L’arrivée au pouvoir de Nicolas Maduro fait apparaître aux guichets des banques une nouvelle caste d’hommes d’affaires.

Surnommée « boliburgués », cette nouvelle « bourgeoisie bolivarienne » ne s’embarrasse plus des apparences. Avec eux, le pillage et la corruption atteignent rapidement un niveau record.

Son mentor disparu, Alejandro Andrade s’installe dans un luxueux ranch en Floride. Alors que son pays s’enfonce chaque jour un peu plus dans la pauvreté, il donne libre cours à sa passion pour les chevaux de course, les yachts et les montres suisses.

Inculpé aux Etats-Unis, l’ancien garde du corps a plaidé coupable de corruption en avril 2018. L’ex-garde du corps a consenti au séquestre de ses 8 propriétés, de 10 véhicules et de son tracteur tondeuse, de 3 clubs de golf, de ses 17 chevaux, de ses trois jets privés ainsi que de ses 34 montres de luxe, toutes de prestigieuses marques helvétiques. La liste complète peut être consultée ici.

Les sources de cette fortune suspecte passaient bien entendu par la Suisse. Un de ses corrupteurs, le magnat des médias Raul Gorrin, lui versait des pots-de-vin depuis son compte personnel chez HSBC à Genève. Alejandro Andrade contrôlait quant à lui des comptes dans neuf banques suisses, dont Julius Bär, EFG, Credit Suisse et la petite Compagnie Bancaire Helvétique.

Genève, Schwytz, Lugano

Autre exemple. L’homme d’affaires Wilmer Ruperti, enrichi grâce à ses liens privilégiés avec PDVSA, payait son tribut au clan Maduro en réglant les frais des avocats des deux neveux de la Première dame, Cilia Flores, arrêtés aux Etats-Unis pour avoir tenté d’importer 800 kilos de cocaïne. Plus discret que les autres, il abritait 170 millions de dollars à la Caisse d’épargne de Schwytz, comme l’avait révélé Gotham City en octobre 2017.

Vient ensuite l’ex-ministre de Finances Claudia Diaz. Cette ancienne infirmière d’Hugo Chavez est accusée d’avoir orchestré les activités de blanchiment du régime dans l’immobilier à Marbella.

Huit intermédiaires ont été inculpés par les autorités espagnoles et américaines dans ce volet de l’affaire qui passait par un gérant de fortune zurichois et par l’établissement luganais Banca Zarattini & Co.

La justice américaine s’intéressait à ces réseaux depuis 2015, suite à l’arrestation à Houston des hommes d’affaires Roberto Rincón et Abraham Shiera. Le duo a reconnu avoir versé plus d’un milliard de dollars de pots-de-vin, de 2009 à 2014, pour obtenir des contrats avec PDVSA.

Environ 118 millions de dollars ont été bloqués en Suisse dans cette affaire auprès de huit banques, dont Credit Suisse.

Déluge de relevés bancaires

L’année suivante, en 2016, les autorités suisses ont livré des informations aux Etats-Unis concernant au moins 18 banques. Les mêmes noms revenaient en boucle: Julius Bär, EFG, et la modeste Compagnie Bancaire Helvétique.

Ce déluge de relevés a permis aux Etats-Unis d’augmenter encore la pression. Pour la première fois dans une affaire en lien avec le Venezuela, un cadre d’une banque suisse a été arrêté et inculpé de fraude en juillet 2018.

Matthias Krull, un Allemand de 44 ans employé par Julius Bär, a écopé de dix ans de prison en octobre dernier devant un tribunal de Miami pour avoir aidé un «boliburges», Francisco Convit Guruceaga, à détourner plus d’un milliard de dollars des caisses de PDVSA.

La peine est particulièrement lourde, et Matthias Krull pourrait ne pas être le dernier sur la liste.

Lors de l’annonce des sanctions contre PDVSA, le secrétaire américain au Trésor, Steven Mnuchin, a déclaré mardi que les Etats-Unis continueraient «d’exiger des comptes aux responsables du déclin tragique du Venezuela».

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