L'Espace de Jacques Pilet
La Russie a perdu la guerre des mots et des images
Au-delà des indignations, des affirmations péremptoires et des invectives, nous tentons d’analyser les bouleversements que provoque l’agression commise par la Russie. Si nombreux, si profonds. On en apprend déjà beaucoup sur les formes que prend la guerre. Celle de l’information comme celle des armes. Pourquoi l’armée de Poutine essuie des revers malgré sa surpuissance? Comment se fait-il que l’Ukraine, si diverse dans ses cultures et ses sensibilités politiques, se trouve, pour la plus grande part, si unie dans la défense acharnée de sa souveraineté? Tentative de réponses.

Le souvenir empoisonné de Babi Yar
Pour que ce lieu de martyre se rappelle à nous, il a fallu que les Russes détruisent la tour de télévision qui se trouve à proximité. Babi Yar, théâtre d’une abominable tuerie à partir du 23 septembre 1941, où 34’000 Juifs, Tziganes, Polonais et autres ont été massacrés en deux jours par les troupes nazies et leurs collaborateurs ukrainiens. Et plusieurs milliers dans les mois qui suivirent.

La longue marche vers le désastre
Les optimistes dont nous étions ont cru que la diplomatie désamorcerait finalement la crise. Nous nous sommes trompés. Ceux qui avaient prévu ce qui est arrivé ne sont néanmoins pas plus avancés que les premiers vers une solution. Quand une guerre éclate, s’abandonner au déferlement des émotions, des regrets et des colères, est de peu d’utilité. Il s’agit plutôt de mieux comprendre comment on en est arrivé là. Pour entrevoir de lointaines issues après le désastre.

La clé de la Mer Noire a été conçue à Montreux en 1936. Pour s’approcher de l’Ukraine, les USA veulent la réviser
Cette mer intérieure est reliée au monde par les détroits du Bosphore et des Dardanelles, sous contrôle turc. Son usage est soumis à des normes internationales fixées en été 1936 à Montreux, toujours en vigueur. Les flottes armées des pays sans littoral sur cette mer ne peuvent y accéder que sous restrictions. Jusqu’à quand? La question est d’autant plus brûlante depuis l’attaque russe contre l’Ukraine.

Cirque international
L’Ukraine sent la poudre. La poudre d’escampette. Les Etats-Unis ont déplacé leur ambassade à Lviv, après avoir détruit leur archives informatiques à Kiev. Plusieurs suiveurs occidentaux ont fermé ou réduit leurs représentations diplomatiques. Dont la Suisse qui en outre dissuade ses ressortissants de se rendre dans cette zone dite à hauts risques d’invasion, en dépit des dénégations de Poutine et des analyses de maints observateurs.

Saillie inattendue
Pas sûr que les Romands suivent de près la campagne présidentielle française. Même si elle est racontée avec vivacité par Richard Werly dans «Le Temps». Le décor est posé. Les arguments de chacune et chacun inlassablement répétés, avec plus ou moins de talent. Dans des mises en scène des plus modestes aux plus spectaculaires. La vraie surprise sera pour le soir du premier tour.

L’heure des comptes
Le Conseil fédéral met fin à la plupart des mesures qui limitent massivement nos libertés collectives et individuelles. Le vent a soudain tourné. Le moment arrive des comptes à rendre. Pour la valse des milliards, ce sera aisé, les calculettes surchauffent depuis belle lurette. Pour le bilan politique et l’examen des traces que laisseront ces deux années exceptionnelles, ce sera plus long et non sans résistances. Trois pouvoirs doivent pourtant être mis sur la sellette. Le politique, le médical et le médiatique.

L’Ukraine et les trous de mémoire
La nouvelle la plus folle de la semaine: les Etats-Unis et quelques pays européens rapatrient leurs ressortissants établis en Ukraine. Comme si des Talibans allaient d’un jour à l’autre envahir Kiev. Episode ridicule de la guerre de l’info entre l’est et l’ouest, comme au temps de la guerre froide. On lit ces jours une foule d’hypothèses et d’analyses délirantes. Sur fond d’ignorance et de déni historique.

La tragédie vite oubliée du Kazakhstan et ses troublantes questions
Il y a des tueries que l’on rappelle sans cesse, des décennies durant, et d’autres que l’on éclipse quelques jours après. Telle celle qui a ensanglanté cette république d’Asie centrale, grande comme cinq fois la France, 19 millions d’habitants… et de considérables richesses dans son sous-sol. Les émeutes qui y ont éclaté dès le 2 janvier ont fait 225 morts, dont 19 policiers. Les forces de l’ordre avaient obtenu le droit de tirer sur les manifestants sans avertissement. Or l’opinion internationale ne s’émeut pas. Les gouvernements démocratiques réagissent avec des gants, soutiennent la dictature en place et tournent la page. Pourquoi?

L’Etat veut nous aider? Ne chipotons pas!
On peut adresser toutes sortes de critiques au Conseil fédéral. Mais aussi lui savoir gré de voir le déclin du journalisme et de tenter d’y remédier. La loi sur le soutien aux médias soumise au vote le 13 février a des défauts, mais sur le fond, elle tombe à point nommé. Les journaux sont toujours moins nombreux, leur pagination diminue. Franchement, quels que soient les reproches qu’on peut leur faire, n’est-ce pas inquiétant? De nouvelles plateformes, comme celle-ci, émergent. Mais elles ont besoin de soutiens. Or il est prévu de leur venir en aide.

Jean-Pierre Moulin a cent ans, grand passeur entre Lausanne et Paris
Qui s’intéresse à la relation entre la Suisse romande et la France ne peut ignorer la trajectoire de ce journaliste, écrivain et auteur de tant de chansons. Elle illustre, sur toute la seconde moitié du XXème siècle, ce voisinage si proche et si distant à la fois.

Eloge des réseaux sociaux
Les médias traditionnels aiment bien en dire pis que pendre. Accusés de tous les maux, de propager des «fake news», d’enfermer leurs usagers dans leurs dadas ou dans des bulles, et même de menacer la démocratie. Comme si dans le bon vieux temps les fausses nouvelles n’avaient pas cours, comme si nos petites têtes étaient alors moins cloisonnées… Le temps est venu de faire au contraire l’éloge de ces espaces digitaux foisonnants.

Haro sur les humoristes!
Après Claude-Inga Barbey, voici Blanche Gardin clouée au pilori de la nouvelle bien-pensance. Accusée d’être «une machine de guerre contre le féminisme», le vrai, «le féminisme militant, le féminisme radical, d'aujourd'hui». C’est Daniel Schneidermann, autrefois excellent journaliste, qui lance la chasse sur son site «Arrêts sur image». Broutilles au regard de l’histoire? Pas sûr.

L’euphorie du pouvoir
Le plaisir inavoué de la puissance politique peut naître partout. Chez le syndic qui mène sa commune à la baguette comme chez les ministres nantis soudain d’une autorité exceptionnelle à la faveur d’une crise. On le voit aussi à Berne. Avec des conséquences qui vont bien au-delà des questions sanitaires.

La liberté à géométrie variable
Les contraintes sanitaires n’en finissent pas. Certains s’en offusquent, beaucoup s’offusquent que l’on s’en offusque. On ne va pas ici rouvrir le débat échauffé. Mais s’interroger, un bout plus loin, sur les notions de liberté individuelle et de liberté collective. Bien au-delà de l’actuelle pandémie. Et franchement, cela donne le vertige.

Godard et le regard du chien
Jean-Luc Godard a accordé un entretien à deux journalistes de Mediapart, peu avant son 91ème anniversaire, à Rolle. Pas vraiment une interview car, comme attendu, il n’a quasiment pas répondu aux questions préparées. Il a exprimé surtout sa méfiance des mots, des discours, du bavardage.

Noir et blanc
On s’y fait. Ou pas. Sur quelques sujets, pas seulement sur le trop célèbre virus, les médias dominants donnent une même version, dans une même tonalité. La photographie en noir et blanc est d’une infinie subtilité. Mais voir le monde en noir et blanc, c’est d’une platitude affligeante. Prenez le cas de l’Ukraine et de la Russie.

Pourquoi les jeunes générations se contre-fichent du défi européen?
La journée du Mouvement européen suisse, samedi 28 novembre à Berne, a connu de grands moments. Avec un discours, musclé et chargé de références historiques, l’ex-conseiller fédéral Pascal Couchepin exige du gouvernement une relance immédiate des négociations entre la Suisse et l’Union européenne. Le public était nombreux… mais avec une forte dominante de cheveux gris et blancs. Le fait que les générations montantes témoignent peu d’intérêt pour la question est plus que préoccupant. La plupart des jeunes gens, on le constate dans nos entourages, ne sont «ni pour ni contre», mais indifférents.

L’épouvantable nouvelle de Dürrenmatt
«Le joueur d’échecs», Friedrich Dürrenmatt, illustré par Hannes Binder, Editions d'en bas, 28 pages.

Avis de tempêtes sur l’Europe
Phénomène nouveau de météorologie politique. Dans plusieurs pays, ce n’est plus le choc de l’opposition et du pouvoir, ni l’émergence des mouvements sociaux habituels, c’est une considérable vague de colère qui monte. Très diverse. Une partie de la population, qu’elle manifeste dans la rue ou pas, ne supporte plus les restrictions sanitaires, ne croit plus ses dirigeants ni les médias traditionnels. Quoi qu’il arrive, ces soulèvements, pacifiques ou violents, laisseront des traces. Les rebelles ravaleront peut-être leur amertume comme les «gilets jaunes» mais risquent bien de décrocher, de se marginaliser. Terrible secousse pour nos édifices démocratiques. A l’image de la Guadeloupe et de la Martinique (où les trois quarts des jeunes sont au chômage), la révolte du moment peut enflammer, en Europe aussi, les mécontentements et les frustrations latentes. L’escalade des discours furieux, de part et d’autre, ne cesse de faire de monter la tension.

«Intervalles», revue culturelle du Jura bernois fête ses 40 ans avec le souvenir de Simone Oppliger
Beau bail pour cette revue (qui paraît trois fois par an), issue du Jura bernois et de Bienne, née en 1981 au comble des tensions politiques. Dès le début elle s’est efforcée de ne pas se laisser gagner par les passions antagonistes. Au fil de ses 120 numéros publiés, elle s’est ouverte aussi sur la République du Jura, sur Neuchâtel, la voisine, et au-delà. Donnant écho aux talents littéraires et artistiques de toute la Suisse romande.

Israël interdit six ONG d’aide aux Palestiniens
L’information n’a pas fait grand bruit. Le gouvernement israélien veut faire taire les organisations vouées au soutien de la population palestinienne, dans le pays et en Cisjordanie occupée. Six d’entre elles ont été interdites le 19 octobre, qualifiées de «terroristes». Certaines ont pourtant bénéficié de l’aide financière de la Suisse. Elles étaient depuis longtemps victimes du harcèlement des autorités: perquisitions, interpellations d’employés, écoutes des communications.

New York en Ukraine
«New York, Ukraine. Guide d’une ville inattendue», Niels Ackermann et Sébastien Gobert, Editions Noir sur Blanc, 204 pages.

L’extraordinaire découverte de Françoise Gardiol, la Genevoise qui arpente le monde et son destin familial
Ethnologue? Ecrivaine? Infatigable voyageuse? Elle est tout cela, cette dame de petite taille, plus qu’octogénaire, à l’œil vif et rieur. Comment se fait-il que cette personnalité marquante du paysage littéraire et intellectuel romand ne soit pas plus connue? Après avoir trotté dans à peu près toutes les parties du monde, elle plonge à ses sources ancestrales. Dans le passé des Vaudois du Piémont, ces protestants d’avant la Réforme, persécutés, massacrés au cours des siècles, mais où qu’ils trouvent, fidèles encore à leur foi, à leur vie simple et digne. Un livre précieux pour en savoir enfin plus. Et pour tomber sur une incroyable surprise… en Calabre.