Publié le 11 juin 2021
La peur, dit-on, a le mérite de stimuler l’instinct défensif. Elle pousse la gazelle à courir vite devant le lion. Mais la rend-elle plus maline? Quant à nous, poursuivis par les médias, nous courons d’une peur à l’autre. Le virus et les prochains, le réchauffement climatique, l’eau empoisonnée, la malbouffe, les tiques et toutes ces sales bestioles venues d’ailleurs… Où nous mène ce festival des trouilles? On les agite. On joue avec elles. On les utilise pour telle ou telle cause politique.

Lors de l’émission alémanique Arena sur la loi COVID, le journaliste, fort incisif, taquinait Alain Berset: «Votre pouvoir, vous le trouvez dans la peur. A vous entendre, il faut craindre la maladie, maintenant craindre l’arrêt des aides à l’économie… Vous allez continuez ainsi?» Réponse: «Je ne veux pas faire peur, je donne des faits.» Sans doute, encore que certains de ces faits puissent être contestés. Mais à force de les monter en épingle, de les marteler sans cesse sous le jour le plus inquiétant, on aboutit bel et bien à ce que les germanophones appellent la «Panikmacherei». Est-ce bien intelligent? Peut-on poser la question sans se faire taxer de complotiste?

Nous connaissons tous la situation. Nous retrouvons un ami pas vu depuis longtemps, il s’approche, hésite… Trop près? S’embrasser comme autrefois? Main tendue ou pas? Juste se cogner le coude? Non pas que les retrouvailles fassent vraiment peur, mais les nouvelles habitudes s’installent. En signe de conformité sociale, de docilité au regard des uns, de responsabilité civique à celui des autres. Et ce n’est pas fini. Dès qu’arrivent de bonnes nouvelles, les doctes guides sanitaires s’empressent d’agiter de nouveaux périls: les variants aux étiquettes et perversités diverses, les vieilles grippes promises à revenir, les bactéries résistantes aux antibiotiques… «Gardez le masque sur le nez!»

Le nouveau code de politesse

«Vous êtes vaccinés? Ou vous allez le faire?» Nouveau code de politesse. A la question, Slobodan Despot répond: «Et comment vont vos hémorroïdes?». Mais c’est un affreux. Les gens convenables opinent du bonnet avec un air de complicité entendue. Ce sera moins souriant quand on nous demandera à tout bout de champ, et pas seulement au départ des voyages: «Vous avez votre passeport de santé?» La mise en place de cette discrimination ne se base pas sur la frousse réelle des individus mais résulte d’une machine emballée qui, elle, s’est nourrie de peurs exacerbées… et aussi d’intérêts divers.

La gazelle court, court mais finit par se faire bouffer. Nous pas. Mais quels effets produit le flux des discours alarmistes de toutes natures? La peur casse des élans, elle nous assoupit. Il faut une force d’exception pour entreprendre, se lancer dans des projets, imaginer les rebonds de sa vie lorsqu’on est submergé par le vacarme des trouilles.

Vieille recette des pouvoirs. Des plus affreux aux plus raisonnables, à peu près tous y recourent. Les Européens se sont massacrés entre eux de 1914 à 1918 en voyant tous dans la nation d’en face un ramassis de monstres. Puis un dictateur allumé a fait croire à un peuple pourtant cultivé que la menace du siècle, c’était les Juifs, et que le salut passait par l’agression des voisins.

Nos belles démocraties sont-elles à jamais inoculées contre de telles dérives? Pas sûr. Parce qu’elles commencent en douceur, sous des détours présentables et rassurants. Notre sage Helvétie ne veut-elle pas, misant sur la peur du terrorisme, donner des pouvoirs, toujours plus de pouvoirs à sa police pour cogner de façon préventive contre quiconque cherche, lex dixit, à «modifier ou influencer l’ordre étatique»? Aberration juridique qui ne heurte même pas les grands partis.

L’acide sagesse de Dürrenmatt

Faut-il rappeler l’immense Friedrich Dürrenmatt, fiché pendant cinquante ans par la police fédérale, qui comparait la Suisse «à une prison dans laquelle on ne sait plus si on est prisonnier ou gardien, parce que tout le monde se surveille mutuellement»? On l’imagine aujourd’hui confronté à la sempiternelle question «vous êtes vaccinés?». Sa sagesse acide nous manque.

Faute d’en parler avec lui, relisons Montaigne (1553-1592): «Ce dont j’ai le plus peur, c’est la peur… Je ne suis pas bon naturaliste (qu’ils disent), et ne sais guère par quels ressorts la peur agit en nous; mais tant il y a que c’est une étrange passion: et disent les médecins qu’il n’en est aucune qui emporte plutôt notre jugement hors de sa juste assiette. De vrai, j’ai vu beaucoup de gens devenus insensés de peur; et, au plus rassis, il est certain, pendant que son accès dure, qu’elle engendre de terribles éblouissements.»

Sommes-nous aveuglés? Pas forcément, mais résignés. On s’habitue si bien à la peur. Réelle, ou feinte, ou diluée. Elle nous donne des sujets de papotages. Elle flatte nos egos de «citoyens responsables»… ou de rebelles. Elle nous donne de vagues prétextes pour rester chez soi, ne plus faire ceci ou cela qui nous fatigue. Elle nous enfonce dans l’indifférence molle face aux vrais et grands défis du monde, face à nos libertés nullement gravées sur un socle éternel. Elle est devenue une drogue douce. De celles qui font somnoler et ne rendent guère futés.

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