Troublant trou blanc

Publié le 16 avril 2021
Il y a une tache immaculée au cœur de la carte de l’Europe, une entité invisible pourtant peuplée de 8 600 000 habitants. Quelles relation entretient-elle avec ses voisins? L’indifférence que subit ce trou blanc n'est-il pas l'écho de sa propre indifférence à leur égard?

Je suis ressortissant d’un trou blanc. C’est troublant. Oui, là. Regardez bien. Je vous parle de cette tache immaculée au cœur de la carte de l’Europe. Il y a des trous noirs qui maculent la voûte céleste. Des trous noirs sur lesquels la science astrophysique se penche à en être saisie de vertiges. Plein de périls, les trous noirs. Ils avalent les astres qui passent à leur portée.

Le trou blanc dont je suis issu est encore plus invisible. On ne le déduit même pas par des équations. Je suis fils d’une entité invisible. Fils certes, mais pas unique. Nous sommes 8 600 000 à partager cette invisibilité. En comparaison des 1 401 501 343 Chinois, ce n’est que poussière. Mais enfin, c’est un peu plus que rien. Il n’empêche, trou blanc, je suis; trou blanc je reste.

Troublé aussi, disais-je au début de cette navigation sur le pas-grand-chose. Car enfin, il me semble que j’existe. J’ai un corps. Un corps corpulent même et non pas corpuscule. J’ai même une âme. Encore que… à ouïr les médiacrates parisiens et certains artisans périgordins, j’aurais plutôt un coffre-fort en lieu et place d’esprit.

Riche et invisible. Le rêve de tous les banquiers fraudeurs… Sauf que, si je suis invisible, je ne suis pas riche et encore moins banquier. Même si je viens de cette maculature virginale où, paraît-il, la gente banquière fourmille.

Le sceptre viral de Sa Majesté Covid XIX

Invisible, donc. Avant même la venue des temps covidiens, les boîtes à babils et autres étranges lucarnes[1] de la Gaule éternelle évitaient, avec une dextérité digne de tous les éloges, ne serait-ce que d’évoquer ce trou blanc. Mais depuis que Sa Malgracieuse Majesté Covid XIX a frappé la planète de son sceptre viral, leur silence devient encore plus assourdissant.

Ils suivront les tours et détours de la pandémie en Estonie, en Suède, au Danemark, en Norvège, en Finlande même. Mais rien sur cette chose sans nom voisine de la France. Que 184 730 Françaises et Français y résident de façon permanente (sans compter les négligents ou les administrophobes qui ne se sont pas inscrits dans un consulat français) – constituant ainsi la plus importante communauté française vivant à l’étranger – n’a pas de quoi exciter les curiosités médiatiques et hexagonales.

L’immaculé postillon

De même, ce n’est pas, Tallinn et Oslo qui attirent chaque jour 179 200 frontaliers français mais les villes du trou blanc. On pourrait croire que le coronavirus se montrerait particulièrement actif dans ces échanges massivement quotidiens. Mais non. Pour nos boîtes étranges et autres lucarnes à babil, la pandémie évite soigneusement l’Immaculé postillon.

Cette procédure d’évitement aurait pour cause, me répond-on, l’absence du trou blanc au sein de l’Union européenne. Pourtant, il fait partie de l’Espace Schengen et nombre d’accord le lient à Bruxelles.

L’écho silencieux des indifférences réciproques

Et surtout, Sa Majesté Covid XIX se fout éperdument des frontières. Ce n’est pas un trou blanc qui va le troubler. Je suis certain que nombre de Français aimeraient recevoir quelques informations covidiennes sur la propagation virale à leurs portes.

Indifférence sans doute. Ce trou blanc sue l’ennui, du moins vu de Paris (cette bourgade se situant dans une cuvette, on n’y voit pas très loin, il est vrai). Le fric pas propre. Les rues trop propres. Les gens trop neutres. Les montagnes trop montagnes et les lacs trop cartes postales. Mépris teinté d’envie peut-être car ce trou a beau être blanc, on y rémunère mieux le travail.

Mais on doit aussi à la vérité de le souligner, ce trou blanc fait tout pour l’être. L’indifférence qu’il subit est l’écho silencieux de sa propre indifférence vis-à-vis de ses voisins.

A trop regarder vers Washington et Pékin, le trou blanc oublie que c’est avec ses voisins que l’on vit au jour le jour. Autant les connaître et s’en faire connaître.

Mais quelle est ce maudit trou blanc dont je suis issu et auquel je reste tant attaché? Quel est son nom? Ah, je l’ai sur le bout de la langue! De ma langue française.


[1] Cette formule pour qualifier la télévision et la radio est tombée de la plume légère et acérée du grand journaliste d’origine savoyarde et patron du «Canard Enchaîné» André Ribaud, pseudo de Roger Fressoz. Sa chronique «La Cour» qui a suivi le règne gaullien reste un modèle inégalé et sans doute inégalable.

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