Quand la douleur des femmes est sous-estimée

Publié le 1 septembre 2020

Réaction hystérique ou véritables douleurs physiques? Ce que ressentent les femmes lors de l’accouchement a été l’objet de débats, de la part des hommes, jusque dans les années 1970. – A mother and child in a maternity ward. Acrylic painting, 1962 © Wellcome collection

Il est une tradition qui perdure: dans le système occidental des soins de santé on continue à minimiser la douleur des femmes et par conséquent à ne pas soigner efficacement. La raison? Les femmes sont considérées comme irrationnelles et donc moins crédibles. Un dangereux préjugé difficile à déraciner, comme l'explique le magazine de philosophie britannique «Aeon».

Il circule sur le net depuis un certain temps un hashtag qui est le préféré du mouvement #Meetoo: #BelieveWomen (Croire les femmes). Une simple phrase, un cri de lutte qui exige que les plaintes des femmes ne soient pas systématiquement considérées comme des menteuses. Selon Elizabeth Barnes, autrice de l’essai publié dans le magazine Aeon, le manque de crédibilité accordé à la conception que les femmes ont de leur vie constitue un problème féministe très important. Mais bien que cette intervention des mouvements féminins puisse être justifiée, elle pourrait encore une fois nuire aux femmes. Car même s’il est juste et nécessaire de demander la reconnaissance de la douleur des femmes, cet appel risque de renforcer involontairement un préjugé social profondément ancré sur la relation hiérarchique entre la douleur physique et psychologique.  
Ce qui est certain, c’est que la douleur est le système d’alarme de notre corps, mais la médecine occidentale moderne traite la douleur des hommes et des femmes d’une manière très différente. Et il est plus probable que la souffrance d’une femme soit minimisée et qu’elle ne soit pas traitée correctement. Surtout, selon l’autrice, lorsqu’il s’agit de femmes de couleur, dont la douleur est moins considérée que celle des femmes blanches.

Lorsque les femmes sont physiquement malades, elles ne sont souvent pas prises au sérieux. Dans son analyse, Elizabeth Barnes cite quelques exemples: la douleur dans la poitrine d’une femme. Dans ce cas, les médecins regardent moins profondément que dans le cas d’une douleur thoracique d’un homme, même lorsqu’il s’agit des symptômes classiques d’une crise cardiaque et même si les maladies du cœur sont l’une des principales causes de décès chez les femmes. En outre, il est beaucoup plus probable que les troubles physiques des femmes soient considérés comme de nature psychique, ce qui entraîne souvent une chute ou un retour dans la dépression.
Et nous en arrivons ici à une raison simple: lorsque les femmes parlent de leur vie et de leurs expériences, elles ne sont pas écoutées attentivement. Selon la théorie de la philosophe Miranda Fricker de la City University de New York, les femmes sont considérées comme des sources d’information moins fiables, consolidant le stéréotype selon lequel les femmes sont irrationnelles.
Et encore un autre exemple: si une femme souffre pendant les rapports sexuels sans causes physiques raisonnables, elle recevra généralement un diagnostic de maladie mentale. 

Les femmes ne sont pas écoutées

Les anecdotes et les recherches scientifiques révèlent une tendance inquiétante: il existe une longue tradition de rejet de la douleur des femmes dans le système de soins de santé. En 1949, le Journal of Clinical Investigation a publié une étude sur la douleur à l’accouchement. La question à laquelle l’article essayait de répondre était de savoir si les femmes ressentent vraiment la douleur pendant l’accouchement ou s’il s’agit simplement d’une réaction hystérique à une situation stressante. Les auteurs de l’article ont conclu, après avoir utilisé des paramètres de douleur calibrés sur les hommes, que l’accouchement est en fait douloureux.
La douleur pendant l’accouchement a également fait l’objet de débats dans les années 1970. Selon certains chercheurs, l’intensité de la douleur dépend principalement de facteurs tels que la relation de la femme avec son mari, sa participation à l’accouchement et la stabilité émotionnelle de la femme pendant la grossesse. Ils ont assuré aux femmes que, si elles restaient calmes, il n’y aurait presque pas de douleur, et que l’accouchement serait une expérience agréable. 
Et bien que des décennies se soient écoulées, la tendance à attribuer la douleur aux émotions est encore très courante.
Le fait est que lorsque les femmes sont atteintes d’une maladie physique, il est plus probable que l’on accorde davantage d’importance à l’aspect psychologique de leur situation. Certaines études scientifiques tentent d’aller dans ce sens.
Mais même si l’on accordait plus d’importance au facteur psychologique dans la douleur féminine, il est faux de croire qu’elles sont émotionnellement fragiles par nature.


L’article original en anglais.

S’abonner
Notification pour
0 Commentaires
Le plus ancien
Le plus récent Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires

À lire aussi

Culture

Stands de spritz et pasta instagrammable: l’Italie menacée de «foodification»

L’explosion du tourisme gourmand dans la Péninsule finira-t-elle par la transformer en un vaste «pastaland», dispensateur d’une «cucina» de pacotille? La question fait la une du «New York Times». Le débat le plus vif porte sur l’envahissement des trottoirs et des places par les terrasses de bistrots. Mais il n’y (...)

Anna Lietti
Politique

Les penchants suicidaires de l’Europe

Si l’escalade des sanctions contre la Russie affaiblit moins celle-ci que prévu, elle impacte les Européens. Des dégâts rarement évoqués. Quant à la course aux armements, elle est non seulement improductive – sauf pour les lobbies du secteur – mais elle se fait au détriment des citoyens. Dans d’autres domaines (...)

Jacques Pilet
Culture

Un selfie dans l’ascenseur

Notre obsession du selfie n’est pas purement narcissique, il s’agit aussi de documenter notre présent par le biais d’un langage devenu universel. Quant aux ascenseurs, ce sont des confessionnaux où, seuls, nous faisons face à nous-mêmes.

David Laufer
Santé

L’histoire des épidémies reste entourée de mystères et de fantasmes

Les virus n’ont pas attendu la modernité pour bouleverser les sociétés humaines. Dans un livre récent, les professeurs Didier Raoult et Michel Drancourt démontrent comment la paléomicrobiologie éclaire d’un jour nouveau l’histoire des grandes épidémies. De la peste à la grippe, du coronavirus à la lèpre, leurs recherches révèlent combien (...)

Martin Bernard
Sciences & TechnologiesAccès libre

Superintelligence américaine contre intelligence pratique chinoise

Alors que les États-Unis investissent des centaines de milliards dans une hypothétique superintelligence, la Chine avance pas à pas avec des applications concrètes et bon marché. Deux stratégies opposées qui pourraient décider de la domination mondiale dans l’intelligence artificielle.

Politique

La stratégie de Netanyahu accélère le déclin démocratique d’Israël

Le quotidien israélien «Haaretz» explique comment l’ancien Premier ministre Naftali Bennett met en garde les forces de sécurité et les fonctionnaires contre une possible manipulation du calendrier électoral et la mainmise de Netanyahu sur l’appareil sécuritaire.

Patrick Morier-Genoud
Politique

Netanyahu veut faire d’Israël une «super Sparte»

Nos confrères du quotidien israélien «Haaretz» relatent un discours du Premier ministre Benjamin Netanyahu qui évoque «l’isolement croissant» d’Israël et son besoin d’autosuffisance, notamment en matière d’armement. Dans un éditorial, le même quotidien analyse ce projet jugé dangereux et autodestructeur.

Simon Murat
Culture

Quand notre culture revendique le «populaire de qualité»

Du club FipFop aux mémorables albums à vignettes des firmes chocolatières NPCK, ou à ceux des éditions Silva, en passant par les pages culturelles des hebdos de la grande distribution, une forme de culture assez typiquement suisse a marqué la deuxième décennie du XXe siècle et jusque dans la relance (...)

Jean-Louis Kuffer
Politique

Israël ne laisse pas la Croix-Rouge visiter ses prisonniers palestiniens

Alors que, selon nos confrères du quotidien israélien «Haaretz», les conditions de détention des Palestiniens se sont aggravées, le gouvernement de Benjamin Netanyahou refuse qu’ils puissent recevoir la visite de délégués de l’organisation humanitaire internationale.

Patrick Morier-Genoud
Politique

Les croisés suisses de Netanyahou

Le journal en ligne «Republik» accuse Ignazio Cassis et révèle les méthodes des chrétiens évangéliques suisses qui défendent ardemment le gouvernement israélien.

Bon pour la tête
PolitiqueAccès libre

Extrême droite et antiféminisme: pourquoi cette alliance séduit tant de jeunes hommes

L’antiféminisme est l’un des principaux axes de mobilisation politique de l’extrême droite et il séduit de nombreux jeunes hommes. Il s’exprime notamment sur les réseaux sociaux, à travers des discours masculinistes qui promettent de rétablir un ordre supposé naturel entre hommes et femmes.

Bon pour la tête
Culture

Du réconfort qu’apportent les grenouilles

Face à la morosité de l’actualité, les grenouilles empaillées d’Estavayer-le-Lac représentant des scènes du quotidien offrent un peu d’autodérision. Car ne sommes-nous pas tous des petits êtres qui croassent et gobent les mouches?

Jacques Pilet
PolitiqueAccès libre

La plus ancienne communauté chrétienne de Palestine menacée par des colons israéliens

«Le Courrier des Stratèges» lance l’alarme ignorée ailleurs. Nous publions ici à notre tour l’appel des prêtres des trois églises de Taybeh, dernière ville entièrement chrétienne de Cisjordanie.

Bon pour la tête
Sciences & Technologies

Intelligence artificielle: les non-dits

On nous annonce une révolution avec l’arrivée invasive et fulgurante de l’IA dans nos vies, nos modes d’apprentissage et de production et, surtout, la mise à disposition de l’information immédiate et «gratuite» sans effort, objet central ici. Or nous ne mesurons aucunement ce que cela signifie vraiment.

Jamal Reddani
Culture

Transidentité: tapage exagéré?

Selon le site d’information lausannois «L’impertinent», l’intérêt démesuré des médias pour la transidentité relèverait d’une stratégie.

Jacques Pilet
Sciences & TechnologiesAccès libre

Combien de temps l’humanité survivrait-elle si l’on arrêtait de faire des enfants?

Suffit-il de calculer l’espérance de vie maximale d’un humain pour deviner combien de temps mettrait l’humanité à disparaître si l’on arrêtait de se reproduire? Pas si simple répond l’anthropologue américain Michael A. Little.

Bon pour la tête