Quand la sexualité des rats nous en dit long sur celle des humains

Publié le 30 janvier 2020

© Pascal Parrone / BPLT 2020

Si une bonne part de ce qui se produit dans le cerveau durant l’orgasme chez l’humain demeure un mystère, des décennies de travaux scientifiques ont contribué à percer certains secrets. Et si la recherche a tant progressé, c'est en raison de l'observation des rats.

Gonzalo R. Quintana Zunino PhD student, Behavioural Neuroscience, Concordia University et Conall Eoghan Mac Cionnaith, Ph.D Candidate, Concordia University.


En matière de sexe, soyons humbles, nous sommes similaires… aux rats.

En effet, lorsqu’il est question d’activité sexuelle – et peut-être même d’orgasme – les rats ont des réactions physiologiques semblables à celles des humains. En fait, nos connaissances au sujet des processus cérébraux de l’orgasme nous viennent surtout d’études sur le rat de laboratoire.

Si une bonne part de ce qui se produit dans le cerveau durant l’orgasme chez l’humain demeure un mystère, des décennies de travaux scientifiques ont contribué à percer certains secrets.

L’une des principales raisons pour lesquelles certains aspects de la recherche dans ce domaine ont tant progressé à ce jour est l’utilisation de modèles animaux. Dans notre laboratoire, dirigé par James Pfaus, au Centro De Investigaciones Cerebrales et à l’Université Concordia les animaux nous aident à mieux comprendre en quoi consiste exactement un orgasme.

Nous espérons que la présente étude nous permettra de mieux comprendre les interactions sexuelles chez l’humain et la raison pour laquelle nous ressentons une attirance pour certaines personnes, certaines odeurs ou certains lieux. Comment se déclenche l’excitation? Comment ce phénomène peut-il se produire sans qu’on s’en aperçoive? Les sons que nous produisons durant l’acte sexuel ont-ils une signification?

Qu’est-ce qu’un orgasme?

La plus grande difficulté que comporte l’étude de l’orgasme chez l’animal réside dans la nature subjective du phénomène. De toute évidence, on ne peut pas demander aux sujets animaux s’ils ont ressenti un orgasme à la suite d’une stimulation sexuelle d’une certaine intensité ou d’un certain type.

En matière d’orgasme, les choses paraissent simples: on sait lorsqu’on en a un.

Mais, comment peut-on définir l’orgasme d’un point de vue scientifique? La plupart des définitions font référence aux sensations physiologiques et aux caractéristiques émotionnelles qui convergent en un instant de détente et d’extase. Plus précisément, on peut définir l’orgasme comme la libération de la «tension sexuelle» accumulée durant la période de stimulation qui précède l’orgasme.

On suppose souvent, à tort, que l’orgasme coïncide nécessairement avec l’éjaculation. Or, en effet, les deux se produisent simultanément de façon assez systématique chez l’homme (quoique certains hommes n’éjaculent pas durant l’orgasme). Mais, ce n’est généralement pas le cas chez la femme), bien que certaines femmes «éjaculent» durant l’orgasme.

En réalité, à l’heure actuelle, il n’existe qu’une seule façon de savoir si une personne a un orgasme: par les contractions des muscles pelviens).

Mais la subjectivité a son poids. Ce qui correspond au meilleur orgasme possible pour une personne peut paraître ordinaire pour une autre. Par ailleurs, la stimulation nécessaire à l’atteinte de l’orgasme varie énormément d’une personne à l’autre.

Ces facteurs rendent difficile la conduite d’expériences contrôlées chez l’humain. Les différences génétiques et environnementales occasionnent sans doute aussi d’importantes variations dans la perception et le signalement de la stimulation sexuelle, de même que du point de bascule où la «tension sexuelle» est libérée.

Les questionnaires uniformisés qui servent à évaluer l’intensité et la fréquence des orgasmes présentent les mêmes lacunes que toutes les études comportant un volet d’autodéclaration, par exemple la possibilité que le sujet mente ou ne comprenne pas bien ses propres états subjectifs.

À l’heure actuelle, nous – les neuroscientifiques – faisons face à un obstacle de taille. En effet, nous ne disposons que d’un seul marqueur de l’orgasme chez l’humain et n’avons à notre portée aucune technique d’imagerie assez fiable pour explorer les mécanismes biochimiques propres au phénomène dans le contexte en constante mutation que représentent les expériences subjectives.

Modèles animaux

Chez les mâles de différentes espèces animales, l’éjaculation est synonyme d’orgasme. De façon similaire, les femelles peuvent éprouver une tension ou des contractions utérines et musculaires rythmées. Bien qu’on ne puisse supposer que les animaux éprouvent un orgasme, il est possible, par triangulation, de déterminer s’ils en ont un sur le plan physiologique.

Qu’en serait-il si l’on pouvait dégager des comportements analogues chez l’humain et l’animal, et s’en servir pour déduire la survenue d’orgasmes chez les animaux?

Les chercheurs qui tentent de combler cet écart entre l’humain et l’animal ont mis de l’avant trois grandes caractéristiques de l’orgasme humain que l’on pourrait évaluer chez l’animal, puis mettre en comparaison avec l’humain: les changements physiologiques; les comportements à court terme; les comportements à long terme;

Comment ces critères peuvent-ils être appliqués au rat?

Le rat et l’humain: semblables à plusieurs égards

Changements physiologiques: combattre, fuir ou forniquer

Les humains comme les rats subissent de nombreux changements physiologiques avant, durant et après l’acte sexuel. En réaction, notre corps se prépare à combattre, à fuir ou à forniquer.

En matière d’orgasme, les rats ont des réactions physiologiques semblables à celles des humains. Quand la stimulation est d’ordre sexuel, sur le plan physiologique, les humains réagissent à peu près de la même façon que les rats – par une augmentation de l’excitation physiologique et de l’apport sanguin aux organes génitaux ainsi qu’une contraction musculaire.

Comportements à court terme: les femelles prennent l’initiative

Dans le monde sexuel des rats, c’est la femelle qui sollicite le mâle. C’est elle qui choisit son partenaire ainsi que le moment auquel elle souhaite un rapprochement. Elle encourage activement le mâle à la poursuivre en se précipitant vers lui pour ensuite se retourner brusquement et s’enfuir. Elle arque le dos quand le mâle touche ses flancs pour l’inviter à accomplir l’acte sexuel.

Ce cycle se répète jusqu’à ce que le mâle éjacule.Après coup, le mâle s’endort parfois. Pour relancer les ébats, la femelle sautille autour de lui afin de lui signaler son désir.

Tout le long de ce marathon sexuel, mâle et femelle émettent des sons ou des « appels » à une fréquence inaudible pour l’humain. Il est toutefois possible d’enregistrer ces ultrasons au moyen d’un appareil spécial et de les analyser.

Au moment de l’émission du sperme, les appels du mâle sont longs et distinctifs, ce qui permet de les corréler à l’éjaculation, et possiblement à l’orgasme. Les appels de la femelle sont différents : ils sont plus variés et surviennent à des moments distincts –rien ne permet de les associer à un orgasme.

Comportements à long terme: schémas sexuels

On observe des mécanismes d’apprentissage tant chez les rats mâles que chez les femelles. Par exemple, après des expériences sexuelles répétées avec des partenaires dégageant une odeur d’amande, les mâles comme les femelles tendent à préférer des congénères qui sentent l’amande à d’autres partenaires sexuels potentiels.

Les rats et d’autres animaux ont conscience des stimuli sexuels qui leur sont adressés et se comportent de manière à obtenir un maximum de satisfaction.

Toutefois, quand les scientifiques entrent dans la sphère des expériences subjectives, ils naviguent en eaux troubles.

Enseignements à tirer des études chez l’animal

Durant l’orgasme – état de grande satisfaction – les humains ont tendance à associer l’environnement à des sentiments positifs. Nous relevons certains signaux et aspects de notre environnement et sommes susceptibles de voir nos orgasmes associés à ces sentiments. Quand nous avons des rapports sexuels et arrivons à l’orgasme, nous captons rapidement l’information ambiante – lieux, gens et autres facteurs contextuels.

Par exemple, quand vous respirez le parfum d’une personne qui vous est familière ou qui évoque l’activité sexuelle, les souvenirs rejaillissent rapidement, et votre corps «s’emballe», parfois même sans que vous vous en aperceviez.

Ces mécanismes d’apprentissage peuvent façonner nos préférences sexuelles pour certaines personnesendroits ou objets . Ils influencent ainsi nos choix de partenaires et de cadres pour les relations sexuelles.

Un modèle animal de l’orgasme permettrait aux scientifiques d’explorer les raisons pour lesquelles certaines personnes ont de la difficulté à atteindre l’orgasme et de concevoir en conséquence des interventions comportementales et pharmacologiques. D’un point de vue plus fondamental, la compréhension de l’orgasme chez l’animal peut contribuer à faire la lumière sur ce qui se produit dans le cerveau humain au moment de l’orgasme.

Nous ne serons jamais vraiment en mesure d’évaluer objectivement un état subjectif chez le rat au moyen des techniques de recherche actuelles. Mais en combinant l’étude des réponses physiologiques, des changements à court terme dans la motivation sexuelle et les états indicateurs de la récompense sexuelle, ainsi que des préférences sexuelles stables à long terme, nous pouvons dégager certains indices à propos de l’orgasme, et nous commençons à observer ces comportements sexuels chez les rats.

Déjà, c’est un bon début.


Cet article est republié à partir de The Conversation, sous licence Creative Commons. 

S’abonner
Notification pour
0 Commentaires
Le plus ancien
Le plus récent Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires

À lire aussi

Politique

A confondre le verbe et l’action, on risque de se planter

De tout temps, dans la galerie des puissants, il y eut les taiseux obstinés et les bavards virevoltants. Donald Trump fait mieux. Il se veut le sorcier qui touille dans la marmite brûlante de ses colères et de ses désirs. Il en jaillit toutes sortes de bizarreries. L’occasion de s’interroger: (...)

Jacques Pilet
Philosophie

Notre dernière édition avant la fusion

Dès le vendredi 3 octobre, vous retrouverez les articles de «Bon pour la tête» sur un nouveau site que nous créons avec nos amis d’«Antithèse». Un nouveau site et de nouveaux contenus mais toujours la même foi dans le débat d’idées, l’indépendance d’esprit, la liberté de penser.

Bon pour la tête
Politique

Les fantasmes des chefs de guerre suisses

Il arrive que le verrou des non-dits finisse par sauter. Ainsi on apprend au détour d’une longue interview dans la NZZ que le F-35 a été choisi pas tant pour protéger notre ciel que pour aller bombarder des cibles à des centaines, des milliers de kilomètres de la Suisse. En (...)

Jacques Pilet
PolitiqueAccès libre

PFAS: un risque invisible que la Suisse préfère ignorer

Malgré la présence avérée de substances chimiques éternelles dans les sols, l’eau, la nourriture et le sang de la population, Berne renonce à une étude nationale et reporte l’adoption de mesures contraignantes. Un choix politique qui privilégie l’économie à court terme au détriment de la santé publique.

Politique

L’identité numérique, miracle ou mirage?

Le 28 septembre, les Suisses se prononceront à nouveau sur l’identité numérique (e-ID). Cette fois, le Conseil fédéral revient avec une version révisée, baptisée «swiyu», présentée comme une solution étatique garantissant la souveraineté des données. Mais ce projet, déjà bien avancé, suscite des inquiétudes quant à son coût, sa gestion, (...)

Anne Voeffray
Politique

Démocratie en panne, colère en marche

En France, ce n’est pas tant le tourniquet des premiers ministres et la détestation de Macron qui inquiètent, c’est le fossé qui se creuse entre la société et le cirque politicien, avec son jeu d’ambitions qui paralyse le pays. Le tableau n’est guère plus réjouissant en Allemagne, en Grande-Bretagne, en (...)

Jacques Pilet
Politique

Le voyage chahuté d’Ursula

Il est fait grand bruit autour d’une fable alarmiste, d’un incident minuscule lors du vol de la présidente de la Commission européenne entre la Pologne et la Bulgarie: la perturbation du GPS attribuée à la Russie et facilement surmontée comme cela est possible sur tous les avions. Quasiment rien en (...)

Jacques Pilet
EconomieAccès libre

Nos médicaments encore plus chers? La faute à Trump!

En Suisse, les médicaments sont 50 à 100 % plus coûteux que dans le reste de l’Europe. Pourtant, malgré des bénéfices records, les géants suisses de la pharmaceutique font pression sur le Conseil fédéral pour répercuter sur le marché suisse ce qu’ils risquent de perdre aux Etats-Unis en raison des (...)

Christof Leisinger
Politique

Le trio des va-t-en-guerre aux poches trouées

L’Allemand Merz, le Français Macron et le Britannique Starmer ont trois points communs. Chez eux, ils font face à une situation politique, économique et sociale dramatique. Ils donnent le ton chez les partisans d’affaiblir la Russie par tous les moyens au nom de la défense de l’Ukraine et marginalisent les (...)

Jacques Pilet
PolitiqueAccès libre

Microsoft s’enrichit sur le dos des Palestiniens

Selon des révélations étayées par des sources issues de la multinationale américaine et des services secrets israéliens, un cloud spécial a été mis en place pour intercepter les communications de millions de Palestiniens. Des données qu’Israël utilise pour mener sa guerre de représailles ethniques dans la bande de Gaza et (...)

Bon pour la tête
Politique

La géopolitique en mode messianique

Fascinés par le grand jeu mené à Anchorage et Washington, nous avons quelque peu détourné nos regards du Moyen-Orient. Où les tragédies n’en finissent pas, à Gaza et dans le voisinage d’Israël. Où, malgré divers pourparlers, aucun sursis, aucun accord de paix ne sont en vue. Où un nouvel assaut (...)

Jacques Pilet
PolitiqueAccès libre

Pourquoi les Etats-Unis n’ont-ils pas encore interdit TikTok?

L’an passé, le congrès américain a décidé que le réseau social devait être interdit s’il restait en mains chinoises, ceci afin d’éviter que les données des étatsuniens soient récupérées par Pekin. Il s’agissait prétendument d’une question de «sécurité nationale». Mais le président Trump a pour la troisième fois reporté l’interdiction, (...)

Urs P. Gasche
Politique

Les Européens devant l’immense défi ukrainien

On peut rêver. Imaginons que Trump et Poutine tombent d’accord sur un cessez-le-feu, sur les grandes lignes d’un accord finalement approuvé par Zelensky. Que feraient alors les Européens, si fâchés de ne pas avoir été invités en Alaska? Que cette hypothèse se confirme ou pas, plusieurs défis controversés les attendent. (...)

Jacques Pilet
Culture

Des nouvelles de la fusion de «Bon pour la tête» avec «Antithèse»

Le nouveau site sera opérationnel au début du mois d’octobre. Voici quelques explications pour nos abonnés, notamment concernant le prix de l’abonnement qui pour eux ne changera pas.

Bon pour la tête
EconomieAccès libre

Comment la famille Trump s’enrichit de manière éhontée

Les deux fils du président américain viennent de créer une entreprise destinée à être introduite en bourse afin de profiter de subventions et de contrats publics de la part du gouvernement fédéral dirigé par leur père.

Urs P. Gasche
Politique

Trouver le juste cap dans la tempête

La tornade qui, en Europe, s’est concentrée sur la Suisse nous laisse ébaubis. Le gros temps durera. Ou s’éclaircira, ou empirera, selon les caprices du grand manitou américain. Les plaies seront douloureuses, la solidarité nécessaire. Il s’agira surtout de définir le cap à suivre à long terme, à dix, à (...)

Jacques Pilet