Ce vieux foldingue de Jean Ziegler nous empêchera-t-il de dormir?

Publié le 17 janvier 2020
Au lendemain de ses 85 ans, l’increvable «gaucho» tiers-mondiste s’est remis en selle pour voir, de près, l’affreuse situation dans laquelle des milliers d’êtres humains, chassés de chez eux par la guerre ou le chaos socio-politique, se sont retrouvés sur les côtes européennes de la Méditerranée, dans des conditions abominables. Il en a tiré un témoignage, Lesbos – La Honte de l’Europe, que nous ne pouvons ignorer. Autre témoin, qui a choisi la voie du conte pour rappeler les tenants et les aboutissants d’une autre tragédie africaine: Philippe Bolomey raconte Les malheurs de Justin dont le protagoniste, fils de première ministre massacrée à Kigali, s’est retrouvé SDF dans les rues de nos villes…

Cela n’a pas manqué, comme je m’y attendais: dès que j’ai annoncé sur Facebook, l’autre jour, la parution du dernier livre de Jean Ziegler, consacré à la tragédie humanitaire toujours en cours «sous nos fenêtres» et dans l’indifférence à peu près générale, l’un de mes «amis» du réseau social, bel esprit supérieur de la haute intelligentsia helvético-française, prof de littérature et très éminent critique, n’a pu se retenir – le seul soit dit en passant – de balancer ces deux mots de sa haute chaire: «larmoyant et pitoyable!».
Qu’on se le dise dans les églises et les chapelles de tout bord: que se sentir touché, même de loin et sans qu’il s’agisse seulement de dorloter sa conscience, par le sort de milliers de nos semblables qui fuient leurs villes et villages en ruines, ne peut être désormais, aux yeux de certains de nos humanistes éclairés, que «larmoyant et pitoyable». Il faut en effet raison garder, les yeux et le cœur secs, et nul besoin de lire le dernier livre de ce fou de Ziegler pour conclure d’avance qu’il est «larmoyant et pitoyable». On l’a vu larmoyer à la télé, et c’est une vraie pitié que de le voir invoquer les «droits humains», devenus la bête noire de ceux qui, au motif de résister au «politiquement correct», ce sont transformés en cyniques relançant, au niveau européen, le slogan hideux et mensonger justifiant naguère la fermeture de nos frontières, selon lequel «la barque est pleine». 

© Matthias Rihs pour Les Malheurs de Justin (Editions du Forel, 2019)
Suis-je en train de donner dans l’angélisme en refusant de trouver «larmoyant et pitoyable» le témoignage, documenté sur le terrain par un octogénaire soucieux de justice et de simple dignité humaine? Nullement, et d’ailleurs le propos de Jean Ziegler - auquel on peut faire tous les griefs idéologiqu...

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