La Gale: «Le hip-hop n’est pas plus touché par la domination masculine… »

Publié le 20 juin 2019

«Le rap est dans le viseur des médias car c’est un art qui peut se révéler subversif ou sulfureux.» – © Wikipédia

La Lausannoise Karine Guignard promène son rap sur les scènes de Suisse et à l’international depuis son premier album en 2012 sobrement intitulé «La Gale». Son flow mitraillette et rocailleux, ses mots francs et massifs, entrainent des questionnements voire, pour les plus sensibles, une prise de conscience accélérée des fléaux de la société. Evidemment, c’est une des artistes suisses les plus ouvertement critiques face au patriarcat bien ancré.

BPLT: Que vous inspire cette grève de la femme? Qu’allez-vous faire le 14 juin?
K.G: Je serai à Genève dans le cadre de «Bastions Egalité», un événement en marge de la grève féministe.
Une de vos activités récentes a été d’animer un groupe de jeunes musiciennes. Quelles sont vos impressions sur ce travail exclusivement féminin? Pourriez-vous nous expliquer ce qui change dans cette démarche?
Avec ma collègue Madafi Pierre, nous sommes consultantes dans le cadre des female band workshops d’Helvetiarockt, un atelier de musique où nous travaillons avec des jeunes à des créations en non-mixité choisie. C’est un contexte auquel, jusqu’ici, il a été difficile de s’arracher et nous sommes très satisfaites des dispositions et possibilités que cela peut créer.
Dans le hip-hop, est-on encore trop dans un environnement dominé par les hommes? Quel serait le moyen d’égaliser les pouvoirs?
Le hip-hop ne me semble pas plus touché par la domination masculine que les autres disciplines artistiques ou que les autres domaines, du reste. Le rap est dans le viseur des médias car c’est un art qui peut se révéler subversif ou sulfureux.
Comment avez-vous trouvé votre place dans ce milieu hip-hop, qui plus est en Suisse? En devant lutter, vous affirmer plus durement qu’un homme? En travaillant plus?
Non, du coup je n’ai pas été victime de comportements sexistes au sein du milieu (des milieux) hip-hop, que ce soit en Suisse, en France ou en Egypte. J’ai fait ma place parce que j’ai travaillé, peut-être aussi parce que la lumière est faite sur ce qui est plus rare et, en l’occurrence, une fille qui rappait en 2007, c’était assez rare. J’ai bénéficié d’un petit coup de projecteur. Il a fallu tenir, faire ses preuves, comme n’importe quel artiste.

En revanche, je l’ai subi au travail et dans d’autres situations, comme à peu près toutes les femmes et les filles vivant dans ce pays.
Dans plusieurs de vos textes, vous vous exprimez avec beaucoup de franchise sur les déséquilibres de la société. Percevez-vous dans la société suisse un ras-le-bol des inégalités de pouvoir dans les différents secteurs du monde économique et social?
La grève me semble un bon indicateur de ras-le-bol en la matière.
Avez-vous le sentiment que le patriarcat est encore tellement ancré en 2019 qu’il faudra plusieurs années pour s’en défaire?
Absolument.
Pensez-vous que les femmes doivent prendre plus conscience de ce grand fossé et tenter de régler le problème par une lutte plus régulière?  
Une lutte de chaque instant.
Dans le hip-hop, il y a une série d’artistes qui n’hésitent pas, malgré leur statut de popstar, à dénoncer les violences – dans le sillage de Black Lives Matters et en opposition aux décisions de Donald Trump – je pense à Childish Gambino ou Cardi B, est-ce que cette vague consciente existe aussi en Suisse?
Oui, il y a plein d’artistes engagés.
Quelles sont les femmes du hip-hop suisse desquelles vous vous sentez proche?
Je connais peu de rappeuses en Suisse, j’aime beaucoup KT Gorique en Romandie, Steffe la Cheffe et Big Ziss en Suisse Allemande même si pour le coup je me tiens moins au courant de leurs actualités.
Des féministes anti-prostitution au gouvernement français ont voulu la criminalisation des clients de prostituées en France? Est-on dans une hypocrisie qui pourrait avoir de graves conséquences pour ces travailleuses du sexe? Dans une forme de mépris de classe?

La répression est une forme de violence supplémentaire sur des femmes qui mériteraient la mise sur pied d’une législation en leur faveur; et un numéro de sécurité sociale comme tout-e citoyen-ne.
Comment avez-vous commencé à développer cette culture revendicatrice que l’on entend dans votre musique?
Dès l’enfance.
Que pensez-vous des mouvements des Riot Grrrls (Riot Girls) aux Etats-Unis dans les années 90 qui exprimaient un dégoût pour la violence domestique, contre les viols impunis, le patriarcat? Ont-elles laissé une trace dans les consciences? Et qu’avez-vous pensé des actions des Femens?
Chaque action compte, mais je ne me reconnais pas dans le féminisme des Femens, dont la (feue) porte-parole tenait des discours islamophobes; ou parce qu’elles me semblaient diviser encore une fois la lutte: les féministes intellos à lunettes versus les femmes libérées aux seins nus. Qu’on porte un voile ou qu’on se balade à poil, on devrait pouvoir se laisser nos marges de manœuvre et arrêter de se canarder en permanence. Quant aux Riot Girls, et bien c’est un milieu musical non négligeable, aux influences punk-rock et électro, ce n’est pas forcément ma tasse de thé, mais encore une fois, chaque pierre à l’édifice est une pierre à l’édifice.


Un des titres de La Gale:

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