Le déchet, ou l’histoire d’un déni

Publié le 25 avril 2019
Il y a un geste que l’on fait tous les jours, sans s’en rendre compte et parfois même avec bonne conscience: celui de jeter. Que ce soit mettre à la poubelle, recycler ou évacuer, nous avons toutes et tous (ou presque) appris à adopter les bons réflexes pour devenir des écocitoyens-nes modèles. Et si le fait d’être un «bon petit soldat vert du développement durable» était en réalité anti-écologique?

Non, l’humain n’a pas toujours «jeté». Ce geste quotidien est même très récent en réalité. C’est ce qu’explique Baptiste Monsaingeon dans son éclairant ouvrage Homo Detritus, à lire ou à relire en ces temps tumultueux de préoccupation climatique. Bien longtemps, nous cohabitions avec ce que nous appelons aujourd’hui des déchets: il s’agissait de ressources ou d’éléments accompagnant notre vie. «Il n’y a pas d’'en soi' du déchet», écrit le chercheur. Le rebut n’est rien d’autre que «le produit d’un geste».

«Tout-au-trou», «tout-à-l’égout»

Si l’humain a de tout temps agencé sa vie selon diverses règles de vivre-ensemble, la tendance à l’ordre, à la catégorisation et à l’organisation sociale s’accentue autour du 19e siècle, notamment avec l’ère industrielle. «La saleté est une offense contre l’ordre. En l’éliminant, nous n’accomplissons pas un geste négatif; au contraire, nous nous efforçons, positivement, d’organiser notre milieu. Autrement dit, le nettoiement est un acte de fabrication du social, plus qu’une réaction au danger symbolique qu’il représente», précise le chercheur. Définir ce qui est «déchet» et ce qui ne l’est pas devient ainsi un acte fondateur de nos sociétés, au-delà des questions de santé publique.

Les politiques publiques convergent toutes vers un objectif: éliminer et cacher le rebut. Les excréments dans les égouts hors de vue; les ordures dans les poubelles (le nom vient d’ailleurs d’un préfet parisien hygiéniste du 19e siècle); nos résidus métalliques, plastiques, en verre moderne dans de grandes fosses; les surplus de ce que l’on ne veut plus, qui a été utilisé, dont on ne sait plus quoi faire, dans les océans, en attendant que le temps fasse son effet. «C’est comme si nous préférions rester aveugles à ces ombres incommodantes de la civilisation...

Ce contenu est réservé aux abonnés

En vous abonnant, vous soutenez un média indépendant, sans publicité ni sponsor, qui refuse les récits simplistes et les oppositions binaires.

Vous accédez à du contenu exclusif :

  • Articles hebdomadaires pour décrypter l’actualité autrement

  • Masterclass approfondies avec des intervenants de haut niveau

  • Conférences en ligne thématiques, en direct ou en replay

  • Séances de questions-réponses avec les invités de nos entretiens

  • Et bien plus encore… 

Déjà abonné ? Se connecter

S’abonner
Notification pour
0 Commentaires
Le plus ancien
Le plus récent Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires

À lire aussi

Accès libre

La décroissance impliquerait-elle le retour à l’âge de la bougie?

Le «jour du dépassement» a été atteint le 19 avril dernier en France. Diminuer le produit intérieur brut (PIB) pour faire disparaître ce dépassement écologique n’impliquerait pas de retourner à l’âge de la bougie. C’est ce que conclut une étude appliquée à la France et à l’Allemagne. Le PIB par habitant (...)

Bon pour la tête

La vitalité sexuelle de Prune n’est pas en décroissance

Les tragi-comiques péripéties de la famille Schinken Pochon ///// Après avoir quitté son amant agriculteur, elle s’épanouit dans les bras d’Ambre, avec laquelle elle participe à des orgies pour célébrer la pleine lune. Elle souhaite vivre intensément et ne s’intéresse pas aux rentes AVS. Pour Prune, le monde semble se (...)

Patrick Morier-Genoud

Qu’est-ce que l’économie? Une vision anthropologique

Les travaux de l’économiste français Timothée Parrique offrent un regard neuf sur l’économie, la considérant non pas comme une entité abstraite et financière, mais comme un processus social de contentement. De plus en plus d’économistes remettent aujourd’hui en question le système économique actuel, et soulignent l’importance de la satisfaction des (...)

Martin Bernard

La décroissance, utopie fumeuse ou projet d’avenir?

Faut-il réduire la taille de l’économie pour résoudre les problèmes écologiques et sociaux? C’est ce que défendent toujours plus d’auteurs et universitaires «décroissants» dans le monde entier. En Suisse, une association baptisée «Degrowth Switzerland» vise à repenser la qualité de vie indépendamment de la production et de la consommation de (...)

Accès libre

Rendez-vous en terre inconnue

Deux conseillers de ville biennois de bords opposés, l’écologiste Myriam Roth et l’UDC Luca Francesutto, se sont unis pour tenter de faire bannir les pailles en plastique des établissements publics de leur ville. Au-delà de cette alliance de circonstance, tous deux ont accepté de vider leurs sacs (à commissions) et (...)

Savoir rester pragmatique

Accès libre

Le vendredi, c’est transition

A Genève le vendredi, des personnes de tous horizons se réunissent pour discuter de monnaie complémentaire, de l’initiative Genève 0 pub, du moratoire sur la 5G… Pour un monde en transition post-spéculation et post-carbone, qui oscille entre économie solidaire et décroissance.

Les effets de la (dé)croissance

Une musicienne qui marche à l’ancienne

Erika Stucky promène son instrument principal de travail de scène en scène, de port en port à travers le monde. Un accordéon itinérant faisant sonner une folk suisse fortement inspirée par la contre-culture américaine, voilà le particularisme de cette Valaisanne (ses ancêtres viennent de Mörel) née à San Francisco au (...)

La décroissance: salut ou suicide?

L’idée resurgit à la faveur de la fièvre climatique. Le monde occidental doit se préparer à la décroissance. Des partis s’emparent du terme (à Genève et Vevey notamment). Des réseaux dédiés à cette cause gagnent du terrain. Raison ou folie? Dans certains milieux, le débat est vif.

«La décroissance est invendable parce que l’humain n’est pas prêt à renoncer à quoi que ce soit»

Pierre Yves Lador carbure aux livres: un par nuit pendant cinquante ans. Sans compter des milliers de BD. Et tous les ouvrages qu’il a écrits. Des dizaines dans des genres très divers, mais avec certains ingrédients récurrents: l’humour, l’ironie, l’érotisme, l’onirisme, la mélancolique jubilation et sans doute quelque visée initiatique.

Accès libre

Un No deal Brexit, une chance à saisir pour la décroissance?

Après avoir refusé toutes les alternatives au plan de Theresa May, le Parlement britannique se dirige de plus en plus vers une sortie sans accord de l’Union européenne. Alors que cette perspective est redoutée au plus haut point par les milieux économiques, d’autres y verraient l’occasion de se débarrasser du (...)

Patrons et décroissance