Lire sur papier, lire sur écran: en quoi est-ce différent?

Publié le 25 mars 2019

Forme, couverture du livre, odeur, nombre et épaisseur des pages aident notre cerveau à intégrer les informations qui lui parviennent. – © Shutterstock

Les écrans de téléphones mobiles, de tablettes et d’ordinateurs envahissent notre quotidien, et voilà dictionnaires, fiches de cours ou même classiques de la littérature à portée de clic. Faut-il inciter les élèves à profiter à 100% de ces facilités d'accès inédites au savoir, et renvoyer le papier au passé? Rien n'est moins sûr si l'on se penche sur les derniers résultats de la recherche.


Frédéric Bernard, Maître de conférence en neuropsychologie, Université de Strasbourg


Depuis le début de ce siècle, plusieurs dizaines d’études ont été menées pour évaluer les effets du support de lecture sur les performances de compréhension de textes qui pouvaient être soit documentaires – manuels scolaires, ouvrages universitaires – soit narratifs – fictions, romans…

Les résultats de ces études ont été repris dans deux méta-analyses publiées en 2018; celle de Kong, Seo et Zhai, portant sur 17 études, publiée dans le journal Computers & Education, et celle de Delgado et de ses collègues, portant sur 54 études effectuées auprès d’un total d’environ 170’000 lecteurs, et publiée dans Educational Research Review. Il en ressort que la compréhension de textes est significativement meilleure lorsque la lecture s’effectue sur papier que sur écran.

Habitudes de lecture

Si Kong, Seo et Zhai (2018) n’ont pas pris en compte la nature des textes (documentaires ou narratifs) comme critère, Delgado et ses collègues ont en revanche constaté que la différence entre papier et écran se manifestait dans le cas des textes documentaires, des textes à la fois documentaires et narratifs, mais pas des textes uniquement narratifs. Les auteurs apportent deux éléments d’interprétation à ce résultat:

  • les textes documentaires font appel à des traitements cognitifs plus complexes impliquant par exemple l’utilisation d’un vocabulaire académique très spécifique

  • ils sont moins connectés aux connaissances que possèdent les lecteurs sur le monde réel, tout cela rendant la compréhension à la fois plus difficile pour ce type de textes et en même temps plus sensible à la nature du support de lecture.

Pour expliquer cette plus grande facilité de compréhension sur un support papier, le premier facteur que l’on pourrait invoquer serait celui de l’expérience. Les technologies numériques étant relativement nouvelles, les habitudes de lecture sur écran seraient moins ancrées que celles sur papier. Une façon de tester ce facteur serait de vérifier si, dans les publications les plus récentes, où les participants affichent donc une familiarité plus grande avec les écrans, les écarts de compréhension s’atténuent entre les supports.

Or, comme Delgado et ses collègues l’ont constaté, c’est exactement l’inverse qui se produit: la différence de performances de compréhension entre écran et papier s’accroît dans les études les plus récentes par rapport aux plus anciennes. Le manque relatif d’expérience par rapport à la technologie n’explique donc pas les avantages du papier en matière de lecture.

Expérience sensorielle

La matérialité du livre imprimé serait-elle alors le facteur décisif? En effet, la lecture d’un livre implique non seulement l’analyse et le traitement de ce qui y est écrit mais aussi l’association entre un contenu et un objet riche d’un point de vue sensoriel. Forme, couverture du livre, odeur, nombre et épaisseur des pages aident notre cerveau à intégrer les informations qui lui parviennent et à mieux les retenir dans la durée.

En stockant des milliers d’ouvrages, tablettes et liseuses permettent certes d’alléger les cartables, mais, lus sur un même support, manuels scolaires et romans seront associés à une expérience sensorielle moins spécifique et seront par conséquent moins bien traités et mémorisés. Les résultats d’une étude qui vient d’être publiée par Mangen, Olivier et Velay (2019) vont dans ce sens.

Les auteurs ont demandé aux participants de l’étude de lire un long texte narratif en utilisant soit un livre soit une liseuse. Si les performances générales de compréhension mesurées étaient globalement les mêmes, quel que soit le support, la lecture sur papier permettait de mieux se rappeler où les phrases sont apparues précisément et dans quel ordre les événements se sont déroulés.

Les auteurs considèrent ainsi que la manipulation d’un vrai livre pendant la lecture apporte des informations sensorielles et motrices plus riches, ce qui permet de mieux traiter et de mieux mémoriser le texte et l’organisation temporelle des événements décrits. Ainsi, les données scientifiques actuelles nous amènent à continuer de privilégier la lecture de livres imprimés si l’on souhaite favoriser la compréhension et la mémorisation de ce qui est lu.The Conversation


Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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