Heidegger, théoricien et acteur de l’extermination des juifs?

Publié le 15 décembre 2017
Martin Heidegger aurait joué un rôle prépondérant dans l'antisémitisme de la première moitié du siècle dernier. «The Conversation» décrypte les nouvelles découvertes.

François Rastier, Directeur de recherche, Centre national de la recherche scientifique (CNRS)

Longtemps, le nazisme et l’antisémitisme de Heidegger ont été discutés; on a vu en lui un «nazi très ordinaire» (Barbara Cassin et Alain Badiou), un antisémite «banal» (Jean‑Luc Nancy), tout en exaltant sa philosophie: le «plus grand philosophe du XXe siècle» est même considéré comme «le roi secret de la pensée» (Hannah Arendt). Son rectorat n’aurait été qu’une expérience temporaire, de dix mois, dont il aurait été déçu, comme jadis Platon à Syracuse. Après quoi, dès 1934, dans son chalet de la Forêt noire, il se serait adonné à méditer des poètes allemands et des philosophes grecs. Il déroule du moins ce récit devant la commission qui décide après la guerre de suspendre son enseignement. Ne pas s’en tenir à cette version des faits, ce serait se «blottir» dans le «politiquement correct» selon Nancy (Heidegger, philosophe incorrect, Libération, 12 octobre 2017).
Cependant, ces opinions généreuses sont à présent périmées et récusées par deux séries convergentes de faits nouveaux: d’une part, les nouvelles publications programmées par Heidegger et notamment les Cahiers noirs, dont quatre tomes sont parus depuis 2014; d’autre part, les découvertes récentes et encore inédites de Miriam Wildenauer dans les archives du Reich. Les nouvelles publications établissent de façon désormais indiscutable le caractère exterminateur de l’antisémitisme heideggérien, alors que les archives attestent de sa participation active au premier cercle de la politique d’extermination.
Un antisémitisme exterminateur

Martin Heidegger. © DR

Si l’antisémitisme de Heidegger est documenté depuis 1916, il prend un tour explicitement exterminateur dès le cours de 1934 où il exhorte s...

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