Chassez ces touristes que l’on ne veut plus voir!

Publié le 5 juillet 2017

© Johanna Castellanos / Bon pour la tête

L'avènement du low-cost s'accompagne d'une désinhibition des voyageurs dans des villes et des régions débordées par des comportements extrêmes. Des brigades anti-touristes s'organisent dans certaines capitales et les hôtels affichent des recommandations pour le moins insolites aux visiteurs.

Ainsi donc nous sommes en vacances…

Un mot qui rime avec plaisance mais pas toujours avec décence ni convenance; voire parfois plutôt avec toute puissance ou ré-adolescence. Si les congés payés durement gagnés au siècle dernier sont l’occasion de se détendre et de s’évader, tout le monde n’envisage pas ses escapades de la même manière. Pour un nombre croissant de touristes, les vacances à l’étranger sonnent l’heure de la désinhibition suprême. Citoyen modèle, docile au costard cravate ou tailleur serré toute l’année à la City de Londres (ou ailleurs) se complait soudain dans des orgies finissant, en tenue d’Adam sur une table de Marbella. Une sorte de non-moi qui exulte et se libère de pressions professionnelles et familiales oppressantes.

Barcelone chiffre les incivilités «touristiques» à 1,5 mio 

A tel point que certaines agences de voyages et hôtels n’hésitent pas à transmettre de nouvelles recommandations à leurs clients. L’absurdité de la liste, non exhaustive, ferait sourire si elle ne reflétait pas l’atomisation de la population résidente, excédée. Dans certaines régions, des brigades de quartier se sont même développées pour lutter contre le tourisme de bars. Avec plus de 15% des emplois locaux directement liés au tourisme, Barcelone, par exemple, estime à plus de 1,5 million d’euros annuels le coût des incivilités commises par des touristes en quête de beuverie.

Objectif  beuverie

Car en 2017, on choisit souvent moins la destination pour le paysage que pour la distance et la vie nocturne. Et pas le petit restaurant typique et sa terrasse pieds dans l’eau, non, les bars et les boîtes de nuit, servant de préférence l’alcool fort à la louche. Bon s’il y a une ou deux cathédrales ou reliques à visiter dans la région, c’est bien aussi. Mais l’essentiel tient à améliorer d’année en année sa performance à l’éthylomètre. A tel point que certaines destinations de bord de mer, autrefois paradisiaques d’Espagne, d’Italie ou de Croatie, entre autres, se sont transformées en boîtes de nuit géantes. Certains visiteurs ne risquant même pas un orteil à la plage.

De manière générale, une remise en question du tourisme de masse est en cours dans la plupart des pays d’Europe depuis l’avènement du low-cost. Les villes d’Adriatique, Venise en tête, se battent contre les paquebots vomissant les touristes à longueur de journées sans aucun scrupule pour le patrimoine visuel ou l’environnement. La Croatie qui comptabilise aujourd’hui près de 13 millions de touristes, soit trois fois sa population résidente, se mobilise aussi pour une limitation des visiteurs. Les rues de Cinque Terre en Italie ressemblent plus au métro londonien aux heures de pointe qu’à un lieu de villégiature. Avec le vol à 20 francs, Airbnb pour se loger et Uber pour le trajet aéroport centre-ville, le week-end revient parfois moins cher que rester chez soi ou s’offrir une sortie à Genève ou à Lausanne.

Matins apocalyptiques

Et plus on est loin, plus on peut se lâcher vu qu’on ne connaît personne!

Forcément à 5h du matin, avec 4 litres de Mojito dans le ventre, on n’a plus trop la frite. Et ceux qui ne retrouvent pas leur logement finissent échoués dans les rues. Le spectacle à l’aube décrit par des habitants de Barcelone ou de Salou est apocalyptique.

Les villes du nord de l’Europe, sont moins touchées par le tourisme de masse désinhibé. Seule Berlin a, pour l’heure, interdit formellement la location par Airbnb, mais plus pour des questions économiques que de salubrité. Les régions de bords de mer sont, en revanche, toutes plus ou moins envahies par ce phénomène social. Comme si l’air marin et la chaleur modifiant les codes génétiques, grippaient les rouages de la bienséance.

Seule la France semble encore partiellement épargnée par ces hordes de malotrus. Selon les statistiques locales, les fêtards arrivent principalement de pays européens nordiques, de France et d’anciennes républiques du bloc de l’Est. Et les jeunes n’ont pas l’apanage de ces comportements arrivistes. Les groupes de quadras, quinquas, voire plus retrouvent volontiers des conduites primitives pendant quelques jours. Certains, principalement anglais en ont d’ailleurs fait un juteux business, puisqu’à peine rentrés au pays de sa Majesté, ils attaquent leur hôtel pour de fausses intoxications alimentaires ou un manque d’hygiène. Des accusations majoritairement improuvables, mais qui permettent à leurs auteurs de se faire rembourser la formule All inclusive… pour en réserver une autre!

Drôle d’époque, drôles de mœurs

Après avoir civilisé fièrement l’humanité durant des siècles, l’Homo Sapiens n’a visiblement pas anticipé ce bug de la génération 2.0. Connectée avec le monde entier, mais à qui il faut poliment recommander (dans le texte) de ne pas vomir dans les allées d’immeubles, de ne pas agresser les passants, de se vêtir d’au minimum un slip sur la voie publique, d’éviter de hurler dans la rue toute la nuit ou de ne pas uriner dans les taxis…

Drôle d’époque, au XVIIe, Molière en aurait à coup sûr fait une de ces farces caustiques des mœurs dont il avait le talent.


Vers un «numerus clausus» sur les plages italiennes

Anna Lietti

«C’est l’anarchie totale! Une plage libre, ça ne veut pas dire ouverte à n’importe quoi. Elle n’est plus libre si on s’y marche dessus, si on y subit la grossièreté et le manque de respect, et si on nage dans les détritus.» Enzo Canepa, maire de la station balnéaire d’Alassio, se lâche dans Le Corriere della Sera. Les baigneurs n’ont jamais été aussi nombreux sur la côte ligure et la situation devient ingérable.

Avec son confrère de Laigueglia, Franco Maglione, Enzo Canepa monte au front pour réclamer des mesures à l’Etat italien et aux gouvernements régionaux.

Les solutions évoquées: l’introduction d’un «billet démocratique», c’est-à-dire, en clair, un ticket d’entrée bon marché. Ou encore, une limitation du nombre des baigneurs, comme dans les musées: «Etablissons un nombre maximum de personnes admises au mètre carré», propose Franco Maglione, qui ajoute qu’il en va de la sécurité des estivants. Lorsqu’ils sont trop nombreux, les surveillants de plage ne peuvent plus l’assurer.

Le «numerus clausus» balnéaire existe déjà en Italie: dans Le Cinque Terre par exemple, ou encore sur certains sites de Sardaigne et des Pouilles qui peuvent se prévaloir d’une plus-value environnementale particulière. Sur le littoral roman, la maire Virginia Raggi mise sur une méthode plus incitative, avec une ordonnance qui énumère les règles à respecter à la plage: interdiction «absolue», par exemple, d’utiliser les cabines comme abri pour la nuit ou salles de pique-nique.

Ras-le-bol aussi à Santorin

Autre fléau que les autorités municipales cherchent à contenir: celui des «beach bus» qui déversent, pour la journée et pour quelques euros, des citadins assoiffés de sable et de soleil. Des baigneurs «low cost» qui ne rapportent rien et font fuir les familles d’estivants qui louent des appartements et des chambres d’hôtel.

L’Italie n’est pas le seul pays où se pose la question du surpeuplement des plages: les autorités de Santorin, en Grèce, cherchent elles aussi à limiter l’afflux. Le «farniente» balnéaire prend l’eau, on dirait.

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