L’abbé Pierre accusé: une bonne nouvelle?

Publié le 16 août 2024

Graffiti en l’honneur de l’abbé Pierre à Montpellier. © GFreihalter – CC BY-SA 4.0

Les accusations contre l’abbé Pierre demeurent au cœur de l’actualité. Des révélations font surface ces derniers jours encore. Est-ce un drame? Assurément, surtout pour les victimes. Peut-on en tirer quelque leçon bénéfique? Oui, nécessairement. Réflexion.

En tant qu’admirateur de l’abbé Pierre et de son œuvre, j’ai été sceptique aux premières rumeurs d’agressions sexuelles le concernant. Pourquoi vouloir salir l’image d’un héros, d’un homme de bien? Serait-ce en fait une attaque contre l’Eglise catholique? N’utilise-t-on pas l’appellation d’«agression sexuelle» pour un rien?

Se serait-il agit d’un simple baiser volé de la part d’un saint homme qui, épuisé par un engagement sans relâche pour les plus démunis, a chuté une ou deux fois? Ne peut-on pas laisser sa mémoire en paix? N’en fait-on finalement pas trop avec cette vague #metoo qui en devient ridicule?

Accusé

Ces questions m’ont traversé l’esprit, je l’avoue. Mea culpa. Mea maxima culpa. L’hostilité, quand ce n’est pas encore l’incohérence, vient ronger celui qui est contrarié. J’ai passé en revue article sur article, et je me suis rendu à l’évidence: l’abbé Pierre a fauté, gravement. A la rigueur, s’il avait eu quelques aventures consenties çà et là, par accident, cela me l’aurait rendu encore plus sympathique – c’est souvent ce qui manque à des prêtres pour les rendre plus humains… Mais là, non, c’est trop. Pour autant que les accusations soient vraies, et je les crois vraies, elles racontent les actes d’un homme qui a abusé de personnes faibles et en détresse.

L’abbé Pierre est accusé. Il est bon qu’il en soit ainsi. Quel intérêt auraient eu d’ailleurs les plaignantes, pour beaucoup ferventes catholiques et bénévoles pour la fondation Emmaüs, à salir gratuitement l’image de l’homme ainsi que le nom de l’institution caritative qu’elles ont servie? Aucun. Je comprends, et les psychologues avec moi, le besoin de confier l’abus vécu comme voie de libération et le temps que cela prend. Tout abus est un traumatisme. Il est des traumatismes plus graves que d’autres, certes, mais tous sont traumatismes.

Bonne nouvelle?

Qu’y a-t-il de bon à tout cela? Rien, évidemment. Surtout pas pour les femmes qui se sont senties salies et abusées. Pourtant, ces révélations suivent un chemin bénéfique, et constituent en cela néanmoins une bonne nouvelle. Le chemin bénéfique est celui de la parole qui continue de se libérer: finie l’impunité desdits grands hommes qui abusent à tout va, toujours couverts par leur aura. Finies les victimes qui ont à jamais peur de n’être pas crues. Halte aux institutions, religieuses, éducatives ou politiques, qui magouillent et cachottent sans être jamais dérangées.

Le chemin bénéfique est aussi celui de la destruction des idoles. Qu’une personnalité soit admirable, voire héroïque, est une chose; qu’elle en devienne une idole, c’en est une autre. Les Paroles de vie dans la Torah, autrement connues sous l’appellation des Dix commandements, n’insistent-elles pas sur le danger des idoles?

«Tu n’auras pas d’autres dieux en face de moi.

Tu ne feras aucune idole, aucune image de ce qui est là-haut dans les cieux, ou en bas sur la terre, ou dans les eaux par-dessous la terre.»

Nous reviendrons sans doute à l’occasion d’un autre article sur la profondeur des paroles citées. Ce qu’il y a à voir là, en attendant, c’est le mal qu’il y à se constituer des dieux, en somme à s’incliner servilement devant des idoles, qui en aucun cas ne méritent la moindre révérence. Le propre d’une idole c’est d’être fausse.

Je regrette que l’abbé Pierre, comme d’autres, soient malgré eux devenus des idoles. Le témoignage de l’une des plaignantes est flagrant. «J’ai l’habitude de me défendre, mais là c’était dieu. Comment vous faites quand c’est dieu qui vous fait ça?» La preuve que cette victime elle-même idolâtrait l’abbé et s’est retrouvée pétrifiée face aux avances et ce qui a suivi. Quand quelqu’un est considéré comme intouchable ou parfait, c’est forcément vous qui fautez lorsque vous rencontrez des difficultés avec cette personne, n’est-ce pas? Combien de femmes battues idolâtrent leur mari, ou combien de maris se laissent détruire et manipuler par leur déesse de femme… là encore, même si c’est un autre sujet, il est toujours question d’idolâtrie.

Ni un ange ni un porc

L’action de l’abbé Pierre pour les plus démunis, notamment à travers son engagement de député et l’œuvre si nécessaire d’Emmaüs, est profondément bonne et louable. L’abbé Pierre fut en outre un courageux résistant. Ce ne sont pas les révélations d’abus qui pourront ternir cette vérité. D’autant plus qu’avec Emmaüs, ou dans le domaine politique ou militaire, l’homme ne fut de loin pas seul à réaliser de grandes œuvres. Lui, seul, n’aurait rien pu faire. Il en a simplement été le visage et le porte-parole. Je me fiche d’ailleurs que son visage disparaisse; ce qui m’importe, c’est que l’œuvre à laquelle il a contribué, elle, continue.

L’abbé Pierre n’est pas un ange, ce n’est pas un porc non plus. Il a fauté, et même très gravement, et il est juste que ses victimes soient reconnues comme telles. Il faut tout de même reconnaître à l’homme d’avoir avoué à demi-mot s’être écarté de la chasteté dans l’un de ses derniers livres Mon Dieu… Pourquoi? (2005): «Le fait que j’ai consacré ma vie à Dieu n’enlève rien à la force du désir, il m’est arrivé d’y céder, de manière passagère, mais je n’ai jamais eu de liaison régulière, car je n’ai pas laissé le désir sexuel prendre racine. Cela m’aurait conduit à vivre une relation durable avec une femme. J’ai donc connu l’expérience du désir sexuel et de sa très rare satisfaction.»

Cela n’enlève rien à la culpabilité de l’homme, mais il faut avouer que peu d’agresseurs, notamment prêtres, auraient fait de tels aveux. Ce sont au contraire souvent les pires qui sont les plus moralisateurs; ce que lui n’a jamais été, en tout cas pas sur la question sexuelle, me semble-t-il. Je pense que cette révélation est un gage, aujourd’hui encore, de la sincérité de son engagement social.

Cet homme pâtissait sans doute profondément de ses graves écarts. De nouvelles révélations laissent même entendre qu’il souffrait de sa libido compulsive. Que cela serve maintenant de leçon à l’Eglise et à la société. Premièrement, protégeons et écoutons les plus faibles, les plus vulnérables qui sont victimes. Deuxièmement, ne nous faisons plus d’idoles, car nous savons tous, en nous regardant dans un miroir, que chaque homme a sa part d’ombre.

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