Nous ne sommes pas obligés de subir

Publié le 19 juillet 2024
En Oregon, un taureau s’échappe lors d’un rodéo tandis qu'à Manhattan, la doctoresse Ruth a tiré sa révérence après avoir décoincé pas mal de Romands sur la sexualité. Sinon, en Bretagne, un juge a dû se prononcer dans une affaire de glands; heureusement, il est clairvoyant. C'est dingue tout ce que nous apprennent les médias!

Au milieu des nouvelles habituelles qui déclenchent souvent des commentaires «réflexes», il y en a de plus surprenantes, de plus insolites qui poussent parfois à la réflexion. C’est le cas cette semaine avec ces trois actualités.

Il refuse de se soumettre

«Le monde va mal», entend-on parfois. Assez souvent même, surtout dans les milieux où tout va assez bien sur le plan matériel. «Le monde va mal», «l’époque va mal», «le pays va mal», «la planète va mal», «la civilisation va mal»… Voilà un étrange concept. Le monde ne va ni mal ni bien, il va. La planète aussi, et la civilisation, et même l’époque et le pays. Confondrait-on la projection − la prédiction – que l’on opère sur les choses avec ces choses elles-mêmes? Confondrait-on notre neurasthénie avec l’objectivité du monde? Plus simplement dit, est-ce parce que nos vies d’Occidentaux nous dépriment tellement que l’on pense que le monde va mal? Admettons-le, nous sommes très égocentriques. Surtout, rien ne nous oblige à subir les choses. Prenons exemple sur ce taureau qui, en Oregon, s’est échappé en plein rodéo, sautant dans les gradins tandis que les spectateurs chantaient un hymne patriotique. Il aurait pu, lui aussi, dire «le monde va mal…», et il aurait eu plus de raisons de le faire dans l’arène que nous dans nos salons. Mais non, il a agi plutôt que de gémir. C’est inspirant.

R.I.P Ruth

La doctoresse Ruth est morte. J’espère que ça ne va pas déclencher chez vous une crise neurasthénique. Les gens meurent, oui, surtout lorsqu’ils sont très vieux; elle avait 96 ans. Elle tenait une chronique dans Le Matin dans les années 1990. Il était à l’époque de bon ton de se moquer d’elle dans la petite-bourgeoisie culturelle, alors qu’elle participait avec bonne humeur à détendre le rapport à la sexualité des Suisses romands. Elle a sans doute dit des choses contestables, comme «Je suis très inquiète (…) d’entendre (…) qu’une femme et un homme (…) peuvent être dans le même lit nus, et que tout d’un coup, (…) elle pense qu’elle puisse dire: ‘J’ai changé d’avis.’ Une telle chose n’est pas possible. Dans le Talmud (…) il est dit que lorsque cette partie de l’anatomie masculine est en éveil et qu’il y a une érection, le cerveau s’éclipse…», selon The Times of Israël. Mais je me souviens d’elle de passage à la rédaction du Matin, souhaitant aux uns et aux unes, avec son accent américain, «Ayez du bon sexe aujourd’hui!» Ruth Westheimer avait une approche joyeuse de la sexualité, contrairement à cette Philippine – le pays, pas le prénom – qui a tranché le pénis de son mari car il a crié le prénom d’une autre femme pendant qu’ils faisaient l’amour. C’est curieux chez les hommes ce besoin de crier des prénoms.

Chute de glands

Pour terminer, voilà une excellente nouvelle. Dans la commune de Saint-Aubin-du-Cormier, raconte La Dépêche, un couple breton se plaignait des chutes de glands sur le toit de sa maison. Il estimait, ce couple, que la commune était responsable de ce désagrément, ayant mal élagué le chêne duquel tombent les fruits. La justice a été saisie, une indemnité de 6’000 euros demandée. Mais le tribunal de Rennes s’est prononcé en la défaveur des plaignants, les condamnant même à verser 1’500 euros à la commune pour ses frais de justice. Le juge «a estimé que le couple ne pouvait ignorer les nuisances potentielles au moment de l’achat du bien, ce chêne ayant plus de 160 ans». C’est formidable. Cela signifie que lorsque vous habitez sous un chêne, eh bien il y a des chances pour que des glands vous tombent dessus, que lorsque vous construisez votre maison au bord de l’eau, il y a des risques qu’elle soit inondée. Nous sommes tellement égocentriques, tellement concentrés sur le spectacle de notre épanouissement que nous n’acceptons plus aucune contingence, plus aucune conséquence. La campagne ne devrait pas sentir le fumier, la pluie pas mouiller et les voitures être électriques pour que nous ayons bonne conscience. Or, là-bas en Bretagne, il y a un juge philosophe qui nous suggère plutôt d’être présents au monde. Sachant cela, vous ne pourrez plus dire que le monde va mal…

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