Le dumping salarial de Nestlé au Mexique, paradis du café

Publié le 14 juin 2024
Les producteurs de café mexicains sont depuis plusieurs mois en guerre ouverte contre leur principal acheteur, le groupe Nestlé. En cause, des prix d'achats réputés trop bas, des exigences de qualité malhonnêtes et de fausses promesses de développement qui peuvent se retourner contre les agriculteurs et leurs familles. L'ONG Public Eye a mené l'enquête au Chiapas, grande région caféière du Mexique.

Susanne Aigner, article publié sur Infosperber le 11 juin 2024, traduit par Bon Pour La Tête


Dans la région du Chiapas, dans le sud du Mexique, quelque 200 producteurs désespérés se sont mobilisés, en février dernier, contre les prix de vente de leur café, jugés insuffisants. A Tapachula, le chef-lieu de la région caféière de Soconusco, les producteurs furieux ont jonché les rues de sacs de café pleins auxquels ils ont mis le feu.

De nombreuses familles de petits paysans n’avaient déjà plus d’argent pour se nourrir six mois après la récolte du café. La population souffre d’une pauvreté généralisée, parfois extrême. Beaucoup sont tombés dans la spirale de l’endettement, avec des conséquences dévastatrices telles que la négligence des soins de santé, l’impossibilité d’accès à l’éducation et même la malnutrition. Le travail des enfants est également un problème majeur dans les petites fermes.

Selon une enquête de l’ONG Public Eye, le groupe alimentaire paie pour la saison de récolte de cette année des prix qui, en termes réels, sont encore plus bas que ceux de l’année dernière. Des prix qui s’avèrent inférieurs aux coûts de production.

«De facto, nous sommes esclaves de Nestlé»

Concrètement, les caféiculteurs et caféicultrices du Chiapas affirment recevoir de Nestlé moins d’un pour cent du prix de vente des produits Nescafé; alors que dans le même temps, les coûts de production augmentent. Durant la même période, le prix du robusta en bourse a augmenté de 50%. Nestlé au Mexique a renvoyé les paysans vers les intermédiaires locaux, mais ceux-ci sont tout aussi impliqués dans la spirale de l’exploitation et n’ont aucun pouvoir pour fixer les prix.

Un paysan se plaint d’avoir été convaincu de passer de l’arabica au robusta, ce dernier étant plus résistant, en lui promettant une meilleure productivité et des rendements plus élevés. Or, ce type de café est de moindre qualité et les prix sont donc plus bas. Comme personne n’achète de robusta, les cultivateurs sont entièrement dépendants de Nestlé pour les débouchés. « Nous sommes esclaves de Nestlé »: Marbella Salas, agricultrice, explique que la seule façon d’augmenter le rendement des plants de café est de les arroser d’engrais, or ces produits coûtent cher et beaucoup de producteurs ne peuvent se les payer. La sécheresse menace aussi les producteurs d’une récolte catastrophique.

Le plan Nescafé attire par de fausses promesses

En 2010, Nestlé lance une initiative spéciale, le plan Nescafé. Avec le slogan « Grown Respectfully – culture durable du café avec respect », Nestlé promet de travailler en étroite collaboration avec les cultivateurs et de les soutenir afin d’atteindre pour eux un niveau de vie plus élevé. Le café brut que Nestlé achète ici est même commercialisé avec l’étiquette « Produit de manière responsable ». Selon la promesse du groupe, les paysans bénéficient de formations, et de plants de robusta particulièrement productifs dans le cadre du Plan Nescafé.

Nestlé aurait aussi promis aux paysans qui participent au programme l’équivalent de six centimes de plus par kilo de grains de café. Sur le papier… Car les détracteurs de ce plan affirme que les acheteurs poussent quand même les prix à la baisse, notamment en contestant la qualité des produits.

Les producteurs réclament des prix équitables 

La pression sur les prix est en contradiction fondamentale avec l’engagement de la multinationale à promouvoir les intérêts des agriculteurs dans son « Living Income Action Plan ». Au vu des circonstances réelles, l’initiative marketing de Nestlé, le Plan Nescafé, relève plutôt de l’enjolivement et du cynisme. « Nous vivons du café, nous avons des familles à nourrir. Mais avec le prix que Nestlé nous paie, le compte n’y est pas », se plaignent les agriculteurs. 

Ils craignent que la multinationale ne renforce encore sa politique agressive d’achat à bas prix. Ailleurs dans le monde entier, les cultivateurs de café vivent parfois dans une extrême pauvreté avec moins de 1,90 dollar par jour. Dans une pétition, ils demandent que Nestlé leur verse enfin des prix minimums équitables couvrant les coûts de production.

Nestlé ne répond pas aux demandes

Interrogée par le journal en ligne 20 Minuten, la centrale de Nestlé a déclaré que le prix du café était déterminé par le marché commercial et que l’entreprise payait des prix compétitifs. De plus, Nestlé Mexique aurait participé à des réunions de travail avec les différentes parties et aurait travaillé à des solutions qui profiteraient à tous les acteurs de la chaîne de valeur du café. 

Au Chiapas, plus de 7’000 producteurs de café participent au Plan Nescafé, le projet phare mentionné plus haut. Celui-ci aide les producteurs de café à « augmenter leur productivité », à « optimiser leurs coûts de production » et à « diversifier leurs sources de revenus ». Il existe aussi une prime pour le café cultivé de manière responsable et pour la qualité.

Le groupe ne garantit pas de prix minimum, mais offre « les prix les plus compétitifs sur un marché ouvert » ainsi que, « selon l’origine et la qualité requise », une « prime pour le café issu de sources responsables », écrivait Nestlé dans une prise de position préalable à l’enquête de Public Eye.

Au Mexique, Nestlé s’engage « fortement pour un approvisionnement responsable et durable en café ». Mais le groupe n’a pas répondu aux questions concernant la situation spécifique de la région caféière de Soconusco et les protestations des familles de producteurs de café.

«Les multinationales doivent garantir des revenus minimums équitables aux producteurs»

La directive européenne sur la responsabilité des entreprises, récemment adoptée, prévoit que les entreprises devront respecter le droit à un revenu de subsistance dans le cadre de leur devoir de diligence.

Public Eye demande à la Suisse de combler les lacunes de la législation si la loi européenne sur la responsabilité des entreprises est adoptée. Elle doit veiller à ce que les règles relatives au respect des droits humains et environnementaux soient appliquées par les multinationales. Et notamment le géant Nestlé.

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