A Tchernobyl avec l’homme qui guérit la terre

Publié le 12 novembre 2021
Se rendre à Tchernobyl en 2021 tient à la fois du «Voyage dans la cité fantôme» et du «Retour vers le futur». Cette année, la province ukrainienne de Tchernobyl a en effet célébré le 35e anniversaire de la catastrophe nucléaire d’avril 1986, qui a vu le réacteur numéro 4 entrer en fusion et relâcher dans l’atmosphère une radioactivité équivalant à environ 500 bombes d’Hiroshima.

La cité fantôme, c’est la ville de Pripyat, située à 15 kilomètres de Tchenobyl et à quelques kilomètres de la centrale, et dont les 50’000 habitants ont été évacués dans l’urgence sans avoir même eu le temps de boucler leurs valises. Aujourd’hui, le site, envahi par la végétation, les buissons, les animaux sauvages, frappé par la décrépitude des routes et des murs, avec sa fameuse roue géante rouillée et ses auto-tamponneuses abandonnées au milieu des débris, dégage un irrépressible sentiment de tragédie.

En déambulant entre les immeubles en ruines, le cœur se serre comme il se serre quand on visite les haies de barbelés d’Auschwitz ou les restes de l’école de Beslan. Comme à Pompei, la vie s’est subitement figée et le fantôme des milliers de gens frappés par la catastrophe semble encore errer dans les salles et les couloirs affaissés des immeubles.

Mais Tchernobyl est peut-être aussi une voie ouverte sur le futur. Il n’est pas impossible que cette ville martyre, devenue synonyme de catastrophe nucléaire dans le monde entier, renaisse un jour à la vie grâce à l’action d’une startup suisse active dans la décontamination des sols. Nous nous sommes rendus cette semaine sur le site, dans le laboratoire de l’Eco-Centre qui contrôle depuis les années 1990 l’état de la radioactivité sur les 2’000 km2 de la zone d’exclusion fermée au public, en compagnie des deux fondateurs de la société Exlterra, le Polono-Américain Andrew Niemczyk, et le Genevois Frank Muller, qui mènent depuis quelques mois une expérience inédite dans la zone contaminée.

Le Polonais est une personnage de légende. Echappé de l’école à treize ans, emprisonné après le coup d’Etat de 1981 qui a provisoirement mis fin à l’expérience du syndicat Solidarnosc, réfugié aux Etats-Unis en 1984 après avoir fui le régime du général Jaruzelski, Andrew Niemczyk est devenu une sorte de serial découvreur, inventant toutes sortes de techniques et de technologies aussi bien dans le domaine de l’acier que de l’agrologie. Sa spécialité, c’est la dynamique des fluides, et notamment de ceux qui circulent sous la terre, eaux et flots d’énergies. Grâce à un système de tubulures en polytéthylène (produit neutre pour l’environnement), il a été en mesure de régénérer aussi bien des sols qui manquaient d’eau que des sols qui manquaient de nutriments pour les arbres et la végétation, terrains de golfs, vignes, terres agricoles ou simples gazons.

Le projet, avec l’aide de Frank Muller qui apporte la dimension managériale et financière, est évidemment d’élargir le champ d’application de ces applications à des ensembles plus vastes et notamment à la décontamination des sites industriels ou nucléaires lourdement pollués. C’est le but de l’expérience menée à Tchernobyl. Sur un hectare de sol contaminé au Césium et au Strontium, il s’agit de prouver qu’il est possible de diminuer la radioactivité très rapidement, et même d’assainir la place complètement en cinq petites années au lieu des dizaines voire des centaines d’années habituellement prévues.

Bonne nouvelle, les résultats sont très encourageants, selon le directeur du Centre, Serhii Kirieiev. Les résultats officiels seront publiés dans une dizaine de jours à Genève. Reste maintenant à confirmer la tendance dans les années qui viennent pour établir un résultat indiscutable et passer à l’échelle supérieure.

Après tout, si une société suisse et le tandem Niemczyk-Muller, après être parvenus à faire pousser de l’herbe et des arbres sur des terres mortes, pouvaient assainir l’un des sites les plus pollués de la planète, qui s’en plaindrait?

S’abonner
Notification pour
0 Commentaires
Le plus ancien
Le plus récent Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires

À lire aussi

Accès libre

Stop au néolibéralisme libertarien!

Sur les traces de Jean Ziegler, le Suisse et ancien professeur de finance Marc Chesney publie un ouvrage qui dénonce le «capitalisme sauvage» et ses conséquences désastreuses sur la nature, le climat, les inégalités sociales et les conflits actuels. Il fustige les dirigeants sans scrupules des grandes banques et des (...)

Urs P. Gasche

Jean-Stéphane Bron plaide pour une diplomatie «de rêve»

Plus de vingt ans après «Le Génie helvétique» (2003), puis avec l’implication politique élargie de «Cleveland contre Wall Street» (2010), le réalisateur romand aborde le genre de la série avec une maestria impressionnante. Au cœur de l’actualité, «The Deal» développe une réflexion incarnée, pure de toute idéologie partisane ou flatteuse, (...)

Jean-Louis Kuffer
Accès libre

Des insecticides hautement toxiques dans nos forêts!

Le Conseil fédéral prévoit d’assouplir la réglementation sur l’utilisation des produits chimiques et de transférer les autorisations en la matière aux cantons. Il met en avant la protection des abeilles contre le frelon asiatique. Mais même les apiculteurs s’y opposent. Les organisations environnementales et les experts tirent la sonnette d’alarme.

Bon pour la tête
Accès libre

L’exorbitant coût environnemental et social du tourisme de masse en Croatie

Des villes qui accueillent jusqu’à 10 000 touristes par jour, un nombre effarant d’infrastructures construites dans des zones protégées, une augmentation de 25 % de la pollution microplastique dans l’Adriatique… Avec plus de 100 millions de nuitées en 2024, le tourisme est l’un des principaux moteurs économiques du pays. Mais (...)

Bon pour la tête

Vive la magie de Noël et tant pis pour le climat

En cette période de fêtes de fin d’année, nous aimerions pouvoir consommer tranquillement, sans avoir à penser aux dégâts environnementaux générés par nos achats fabriqués à des milliers de kilomètres par des esclaves sous-payés. Merci.

Catherine Morand
Accès libre

Contre la pauvreté et la faim: Lula laisse sa marque au G20

Les super-riches doivent donner davantage de leur fortune à leur pays. C’est ce sur quoi le G20 s’est mis d’accord lors de son sommet à Rio de Janeiro. Sous l’impulsion du président brésilien Lula, un impôt de principe pour les milliardaires a notamment été décidé. Il est question de mettre (...)

Bon pour la tête

A votre bon cœur! Nous, merci, ça va

Reçu au courrier: une grand enveloppe cartonnée, avec un calendrier aux belles images pour 2025. Et un appel aux dons. Pour qui, pour quoi? Pour «le bien-être animal dans le monde entier». La branche suisse de «Quatre-pattes». Son but? Sensibiliser l’opinion, la politique, l’économie à cette cause louable. Mais quand (...)

Jacques Pilet
Accès libre

Le défi de la réglementation de la pêche en mer

Le secteur est actuellement régi par des codes dignes du Far West. Puisque les poissons des océans du monde entier appartiennent à tout le monde, les Etats tentent encore de s’accaparer ce qui peut l’être à coups de milliards de subventions à l’industrie de la pêche. Comment y mettre bon (...)

Bon pour la tête

En Serbie, la bataille du lithium

D’énormes gisements de lithium reposent en Serbie occidentale. Ces perspectives attirent l’UE, essentiellement l’Allemagne et son industrie automobile. Les Serbes ne s’en réjouissent pas.

David Laufer
Accès libre

L’UE interdit désormais la destruction des vêtements invendus

En 2020, la France a fait les gros titres en annonçant l’interdiction de destruction des invendus, un geste significatif dans la lutte contre le gaspillage. L’Union européenne vient de lui emboîter le pas: un règlement sur l’écoconception vient d’être adopté. Il prévoit d’instaurer un cadre réglementaire général afin d’éviter la (...)

Bon pour la tête
Accès libre

Marioupol, Donetsk, Lugansk: reportage sur le front du Donbass

Comment ont-ils pu nous faire ça? Pourquoi Kiev veut-elle nous détruire? Telles sont les questions que se posent les habitants du Donbass depuis dix ans. Vues de Suisse ou de France, elles peuvent paraitre incongrues tant nous sommes habitués à penser que seuls les Ukrainiens souffriraient de la guerre. Nous (...)

Guy Mettan
Accès libre

La «Davos-isation» de la COP climat

Aux yeux de l’organisation GRAIN, la COP28 qui s’est tenue en décembre 2023 à Dubaï ressemblait davantage à une rencontre du Forum économique mondial de Davos (WEF) qu’à une conférence de l’ONU sur le climat. Comme Davos, c’est le lieu où désormais «milliardaires, PDG et hommes politiques de haut niveau (...)

Catherine Morand

A Ramallah, le football suspendu à la guerre

Le Sareyyet Ramallah est l’un des meilleurs clubs de football féminins de Palestine. Pourtant, leur saison, comme celle de leurs homologues masculins, est en suspens depuis le 7 octobre et le déclenchement de la guerre Israël-Hamas qui a suivi. Sportifs tués à Gaza, joueuses contraintes dans leurs déplacements en Cisjordanie, (...)

Giacomo Sini & Dario Antonelli
Accès libre

L’art, une arme contre la destruction de l’Amazonie

Photo Elysée présente «Broken Spectre» jusqu’au 25 février, une œuvre d’art engagé grandiose de l’artiste irlandais Richard Mosse (1980). L’expérience immersive narre la destruction en «live» du poumon de la planète. Aux images d’une nature intense à l’état pur, l’artiste oppose le carnage environnemental encore autorisé du temps de Bolsonaro.

Michèle Laird
Accès libre

Le 7 octobre a tué l’illusion israélienne

On a vite oublié les attaques du 7 octobre, ce que le Hamas avait d’ailleurs prévu, pour évoquer désormais la contre-attaque israélienne dans Gaza. Il est pourtant nécessaire de comprendre en quoi ces attaques ont fédéré toutes les peurs de la société israélienne, pour en faire le ressort principal de (...)

David Laufer
Accès libre

En Israël, et en toute subjectivité

Me voici de retour de deux semaines en Israël, courant les entretiens et le pays, mais aussi la Cisjordanie ainsi qu’un kibboutz martyrisé lors de l’assaut du Hamas. La série d’articles qui vient sera le récit ouvertement subjectif des réalités et des personnes rencontrées lors de ce périple solitaire, souvent (...)

David Laufer