Un contrat de plus contre la liberté de tous

Ils étaient trois face caméra à demander l’impossible: Martin Hirzel, président de Swissmem, l’association faîtière suisse de l’industrie des machines depuis le 1er janvier dernier, et ancien directeur général de l’équipementier automobile Autoneum; Christian Walti, directeur général de Starrag, un fabricant de machines-outil de précision; et Markus Herrmann, un représentant d’un institut de sondage. Trois messieurs à exiger que la Suisse taise ses critiques adressées à la dictature chinoise parce qu’«elles agacent les autorités» de ce grand pays.
Ce appel a été lancé mardi 13 juillet au matin via une conférence de presse par vidéo. Dans le détail, ces messieurs ont posé cinq exigences: que la Suisse ne se mêle surtout pas du conflit croissant entre les Etats-Unis et l’Union européenne d’une part, et la République populaire de l’autre. Qu’elle ravive les circuits multilatéraux, à commencer par l’OMC. Que la Confédération fasse tout son possible pour garantir aux entreprises suisses le meilleur accès possible au marché chinois. Qu’elle n’applique que les sanctions internationales décidées par le Conseil de sécurité de l’ONU et s’abstienne de toutes les autres, notamment celles décidées par les USA et l’UE. Enfin, «au lieu des critiques publiques magistrales et des initiatives parlementaires, les points de vue divergents sur les questions sociales devraient être abordés dans des échanges directs et à huis clos», pour reprendre les termes précis de l’association.
En bref, que la Suisse aligne l’intégralité de sa politique étrangère envers la Chine sur les seuls intérêts de ses entreprises et qu’elle renonce à manifester son rejet de la dictature de Pékin, de l’enfermement de son peuple dans un système de surveillance et de coercition toujours plus perfectionné, de la négation des droits fondamentaux, de la réécriture de l’Histoire et du mensonge généralisé. Et qui ne cache pas ses ambitions d’étendre ce mode de gouvernement dans le monde entier. La tentation de nouveaux contrats avec une économie chinoise dont la reprise s’est manifestée près d’un an avant toutes les autres est trop forte.
Le portemonnaie contre la liberté
Et ce qui leur donne encore plus la banane, c’est de pouvoir battre leurs concurrents européens, avant tout allemands, grâce à un avantage diplomatique et administratif: l’Accord de libre-échange conclu avec le géant chinois en 2013, et qui ouvre des perspectives bien plus vastes encore: celle de pouvoir accéder, grâce à ce texte, à un ensemble encore bien plus étendu en voie de constitution, Le partenariat régional économique global (RCEP), signé entre quinze pays d’Asie-Pacifique à la fin de l’année dernière, à commencer par la Chine, le Japon, l’Indonésie et l’Australie. Or, cet avantage, les industriels de l’UE ne l’ont pas car Bruxelles n’a pas conclu un tel texte avec Pékin, et que le projet d’accord sur les investissements est bloqué.
Curieusement, l’appel de Swissmem est lancé le jour même où tant Washington que Bruxelles édictent un ensemble de règles destinées à prévenir les entreprises occidentales de se laisser aller à n’importe quelle compromission avec le régime chinois. Et d’annoncer des contrôles quant aux importations provenant du Xinjiang destinées à décourager l’usage du travail forcé, à prévenir des risques croissants de faire des affaires via Hong-Kong, etc. Autant de mesures destinées à placer les entreprises devant leurs responsabilités: soit vous vous conformez aux règles occidentales, soit vous courrez le risque de vous compromettre avec un gouvernement aux pratiques inacceptables.
Or, pour Swissmem, la Suisse ne devrait surtout pas se joindre à ce mouvement: c’est à chaque entreprise de mesurer les risques – pour elle-même, et tant pis pour les valeurs fondamentales – de recourir éventuellement à du travail forcé.
Ce faisant, elle cherche à rompre l’unité en cours de constitution des démocraties libérales face à la dictature. Elle prend en otage l’avenir démocratique du monde occidental, Suisse comprise. Elle privilégie le portemonnaie de certaines entreprises, de leurs dirigeants et actionnaires au détriment d’un bien commun précieux entre mille: la liberté individuelle, collective et démocratique.
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