Stratégies anti-covid: L’OMS et les gouvernements victimes d’une énorme fraude scientifique

Publié le 5 juin 2020

Une société américaine inconnue, Surgisphere, est à l’origine de données incorrectes qui ont conduit les gouvernements et l’OMS à modifier leur politique de santé. – © Pexels

Selon une enquête du journal britannique The Guardian, l'OMS et plusieurs gouvernements ont basé certaines de leurs décisions dans la lutte contre le Covid-19 sur une série de données traitées par une société américaine, Surgisphere, dont la crédibilité scientifique est très douteuse. Les données ont également été utilisées par The Lancet et le New England Journal of Medicine, deux des plus importantes revues scientifiques du monde. La formation des employés de l'entreprise a également attiré l'attention: elle est dirigée par un médecin accusé de faute professionnelle et compte parmi ses collaborateurs un auteur de science-fiction et une modèle de magazines pour adultes.

Apparemment, le désir de rendre les résultats scientifiques disponibles en un temps record a conduit à la publication de manuscrits de qualité douteuse dans deux des revues les plus prestigieuses du monde, The Lancet et le New England Journal of Medecine, sans procéder à une enquête approfondie sur leur provenance. Tout le monde est tombé dans le panneau. Même l’Organisation mondiale de la santé (OMS). 

Les résultats de ces études ont influencé la recherche et la politique dans la mesure où l’OMS a suspendu les essais de l’hydroxychloroquine, un médicament antipaludique, longtemps débattu pour le traitement du coronavirus, en raison de problèmes de sécurité (questionnement au sujet de son inefficacité et des risques secondaires graves que le produit pourrait générer).

Selon une enquête du Guardian, les résultats en question ont été présentés par la société américaine Surgisphere comme ayant été légitimement vérifiés par plus d’un millier d’hôpitaux dans le monde, mais sans jamais préciser la méthodologie appliquée. Ces mêmes données, ajoute le journal londonien, se sont donc récemment révélées inexactes.

Le journal britannique rapporte que ces fausses informations sur la santé ont entraîné un changement dans le traitement du Covid-19 dans les pays d’Amérique latine. Et plusieurs gouvernements ont modifié leurs recommandations

Les responsables des deux revues, qui ont pris connaissance ces jours-ci de l’enquête du Guardian, ont immédiatement exprimé leur profonde «préoccupation». De leur côté, les scientifiques qui ont jusqu’à présent signé de bonne foi les publications avec Sapan Desai, le directeur de la compagnie américaine controversée, ont commencé à invoquer la création d’une commission d’enquête indépendante sur la nature et l’exactitude des informations collectées par Surgisphere. Et ce n’est pas tout, trois des quatre auteurs de l’étude controversée publiée par The Lancet sur l’utilisation de l’hydroxychloroquine contre Covid-19 ont demandé le retrait de l’article.

Surgisphere, la société américaine quasi-inconnue, qui se présente comme spécialiste de l’analyse de santé, n’aurait jamais eu plus de six employés, accuse le journal d’outre-Manche, et l’effectif est actuellement réduit à trois. En faisant des recherches sur le web, le journal britannique, a également découvert que l’entreprise, qui se targue de gérer «l’une des bases de données hospitalières les plus importantes et les plus rapides du monde», n’a pratiquement aucune présence sur les réseaux sociaux. Par exemple, son compte Twitter compte moins de 170 followers, avec aucun post entre octobre 2017 et mars 2020, tandis que son profil Linkedin est suivi par moins de 100 personnes. 

En outre, The Guardian a constaté que de nombreux employés n’ont que peu ou pas d’expertise médicale. Par exemple, le rédacteur scientifique en chef de Surgisphere serait en fait un «auteur de science-fiction», tandis que la directrice marketing de la société incriminée aurait un CV de «modèle de magazine pour adultes» et d’«hôtesse de salons et de congrès».

Tout indique que cette publication pourrait devenir l’une des grandes fraudes scientifiques du siècle. Twitter l’a d’ailleurs déjà baptisée #LancetGate.

Entre temps, le directeur général de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), Tedros Adhanom Ghebreyesus, a annoncé, lors d’une conférence de presse à Genève, la reprise des essais de l’hydroxychloroquine.


L’enquête de The Guardian par ici.

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