Le travail c’est la santé (eh oui)

Publié le 20 mars 2020

Jean Etienne Lìotard – Portrait de Maria Adélaïde de France habillée à la turque (1753). – © Wikimedia Commons

La plume qui caresse ou qui pique sans tabou, c’est celle d’Isabelle Falconnier, qui s’intéresse à tout ce qui vous intéresse. La vie, l’amour, la mort, les people, le menu de ce soir.

Après cinq jours, bonne nouvelle: on se souvient pourquoi on aime aller travailler.

Se retrouver à la maison, c’est faire un bond spatio-temporel de 50 ans dans le passé: fini la working girl, bonjour la Putzfrau, Sainte Bobonne & Cie. Où que vous décidiez de poser votre ordinateur – cuisine, chambre à coucher, salon –, tout vous rappelle que vous n’êtes pas dans votre environnement professionnel, où seule compte la haute mission que votre entreprise vous a assignée, mais dans un biotope hautement domestique. Repassage qui s’entasse, poussière sur les étagères, vitres sales, où que vous regardiez, ce dont le travail vous préservait, vous agresse désormais avec insistance. Plus possible de faire l’autruche: coincée à la maison, vous n’avez plus d’excuses. Alors, vous faites. CQFD.

Se retrouver à la maison en famille, c’est faire tous à la maison ce que chacun faisait de son côté, dehors, du matin jusqu’au soir: étudier, travailler, prendre ses repas, écouter de la musique, discuter avec ses collègues, discuter avec ses amis. S’il y a une semaine, on avait plaisir à se retrouver pour le repas du soir, désormais on lutte pour ne pas s’engueuler en se marchant sur les pieds dès le café du matin. CQFD: bonjour Bobonne, qui désormais tient la cantine et de l’école, et de l’entreprise, à la maison.

Le télétravail, c’est censé être chouette: plus de chef sur le dos, une machine à café qui fonctionne, enfin le temps de rédiger les rapports en retard et de planifier tranquillement le deuxième semestre! Mais pour les raisons évoquées ci-dessus, finalement on ne fait rien, mais en culpabilisant très fort. D’autant plus, pour les mêmes raisons, qu’après une semaine semi-confinement, on a déjà foiré le régime de printemps commencé bille en tête début mars. Normal: on a fait les courses, trop de courses, le frigo est plein, alors tu cuisines, les enfants cuisinent, ton homme cuisine, et on mange goulûment parce que sans le cinéma, sans les restos, sans les concerts, sans les fêtes avec les amis, sans le sexe parce que les enfants sont là, il faut bien qu’il reste un plaisir

Se retrouver à la maison, c’est se souvenir qu’on a des voisins, qui eux-mêmes ont des enfants, ou des chiens qui aboient, ou des guitares électriques, et qu’eux aussi s’occupent comme ils peuvent, en profitant forcément pour rattraper leur retard en matière de clous à planter au mur, ou d’engueulades de couples. 

Se retrouver à la maison, c’est l’effet vacances d’été moins les avantages: les couples n’y résistent pas. En Chine, depuis la fin du confinement, le nombre de demandes de divorces a explosé. Avant, trop de travail tuait le couple. Désormais, l’absence de travail tue le couple. «Le travail c’est la santé / Rien faire c’est la conserver / Les prisonniers du boulot / N’ font pas de vieux os», persiflait Henri Salvador. Il ne croyait pas si bien dire.


Isabelle Falconnier est de retour dans nos colonnes. Sa précédente chronique, Esprit de clocher, es-tu là? est à lire ici

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